La musique entêtante battait son plein ; les jeunes âmes abondaient, se vidaient la tête sur le dancefloor, se payaient des bouteilles d'une vodka hors de prix, et les deux adultes, assurément plus âgés, pas forcément plus raisonnables, allèrent prendre place au comptoir auprès duquel ils avaient leurs habitudes. Rosamund, la serveuse, les accueillit d'un sourire accort et s'empressa de leur préparer leurs deux cocktails favoris ; le professeur la salua à son tour, mais reprit promptement la conversation avec Cheryl, qu'il peinait à quitter du regard. Certes, son dernier arrêt sur Singapura ne datait pas tant que cela... mais la halte ne s'était pas vraiment prolongée, et ils n'avaient pu passer qu'une paire d'heures ensemble, en tout et pour tout.



Les deux verres aux breuvages colorés enfin déposés devant eux, ils s'en emparèrent, trinquèrent, s'offrir chacun une gorgée généreuse avant de reprendre la discussion là où ils l'avaient délaissée ; à quelques pas de là, un groupe de jeunes hommes s'extirpa de l'établissement à la hâte après avoir reconnu le redoutable Red Spirit, professeur de la non moins prestigieuse Académie héroïque singapurienne. Son franc parler avait tendance à lui causer des inimitiés ; mais rien que sa force ne lui permettait pas de résoudre. Ceux-ci avaient déjà fait les frais de son direct particulièrement ravageur.



Ethan afficha une moue dubitative, pas forcément convaincu que ce procédé était pertinent. Lui, en tant qu'enseignant, avait à cœur de suivre les progrès affichés par ses ouailles. Il croyait que le travail sur le long terme était toujours plus performant et pertinent que les missions plus courtes, plus intenses, et il imaginait que ce constat pouvait aisément être établi dans le cadre d'équipes destinées à enquêter de concert. Il fallait du temps, pour s'acclimater aux méthodes de travail des uns et des autres... une réelle synergie ne pouvait pas naître en un claquement de doigts, dans des domaines si spécifiques.



Ethan opina du chef, en comprenant le sentiment qui habitait Cheryl. Elle n'avait jamais tari d'éloges à propos de Saad, qu'elle décrivait fort volontairement comme un individu ayant à cœur la protection des plus démunis. Elle le dépeignait comme étant guidé par des principes moraux forts, comme souhaitant avant toute autre chose préserver les faibles des maux qui pouvaient les assaillir. Raison pour laquelle il s'étonnait jusque-là de la voir si détendue à l'idée de ne plus travailler sous ses ordres...



Il sirota son cocktail, en songeant que cette fois-ci, au moins, il aurait tout le temps requis pour profiter un petit peu de sa présence ; il était rare que leurs emplois du temps puisse concorder à ce point...