# Alone in the Dark. [Solo]Mar 16 Juil 2024 - 23:00
Alone in the Dark
Après la fin d’une journée éreintante, alors que la nuit assombrissait les impressionnantes tours de Glamis, donnant à leurs hautes silhouettes des airs menaçants de créatures gigantesques s’infiltrant au creux de l’enceinte de l’école, Isaac se repérait avec la lumière des lampadaires disséminés ici et là, éclairant le sol de leur lumière circulaire blafarde. Cette ambiance, tout droit sortie d’une oeuvre qui pouvait aussi bien être d’horreur que de fantasy, plaisait au Kleinschreiber, qui arpentait, la tête légèrement relevée et le pas relativement pressé, les chemins nimbés dans la nuit menant aux salles d’entraînement.
Il n’était pas loin de vingt-trois heures, le couvre-feu n’allait pas tarder à tomber et les vigiles à patrouiller à la recherche d’élèves qui auraient décidé de braver les interdits. Que faisait-il, dans la nuit, dehors ? Il partait s’entraîner. Seul. Sans Alphonse, sans le moindre autre camarade, dans une salle qu’il avait réservé pour lui tout seul. Pour que personne ne vienne le déranger. Ce pourquoi il le faisait à cette heure si tardive, aussi.
Arrivé à destination, il prit bien garde à fermer la porte de la salle d’entraînement, bien trop grande pour lui tout seul, avant de s’aventurer plus en avant dans la pièce et d’aller poser ses affaires sur l’un des nombreux bancs qui en peuplaient les contours.
Cette fois, il ne prit pas ses écouteurs. Cette fois, il enleva la veste de son survêtement… et après un instant d’hésitation, se débarrassa de son t-shirt, se retrouvant ainsi torse nu, seul, au milieu d’une vaste pièce.
Son premier réflexe fut de réprimer un frisson, de croiser les bras sur son torse, dans une position relativement pudique et de laisser son regard couler sur son environnement.
Son rang de noble - et ses parents - l’avait contraint à ne porter qu’un certain type de vêtements, ceux qui, en général, composaient une tenue dite correcte, et qui laissaient voir relativement peu de peau. Il n’avait jamais porté de short, lorsqu’il revêtait un t-shirt, c’était toujours avec une couche de vêtement supplémentaire par-dessus, avec des manches. Et, bien sûr, on ne l’avait jamais vu torse nu autre part que sous la douche. Donc, à part lui-même, personne ne l’avait vu à moitié habillé depuis longtemps.
Il n’y avait personne. Personne à part lui. Isaac se répétait ces mots, en regardant autour de lui, en laissant ses yeux sauter jusqu’à la porte, s’attendant presque à ce qu’elle s’ouvre sur quelqu’un, quand bien même il avait pris toutes les dispositions pour que cela n’arrive pas. Le caprice de venir ici à vingt-trois heures, quand la majorité des étudiants de Glamis choisissaient de se mettre chaudement sous leur couette, était mûrement réfléchi.
Alors il prit le temps, de prendre sur lui, de se dégager de la pudeur qui l’avait saisi par les tréfonds du passé. Ses bras finirent par se délier pour se retrouver le long de son corps, avant que le jeune noble ne décide de fourrer ses mains dans les poches de son pantalon, pour ne pas succomber à la tentation de les remonter et de voir ses petits efforts réduits à néant. Puis il prit le parti de marcher au travers de la pièce, les mains dans les poches, le torse nu, auparavant efflanqué, ayant pris, au fil des semaines depuis qu’il avait décidé de se prendre en main à l’Académie, de la graisse et du muscle, laissait deviner encore par endroits les contours fins de certains de ses os.
Ses épaules, ses bras, ainsi qu’une petite portion de son dos et de ses pectoraux étaient constellés de timides et discrètes taches de rousseur, qui donnaient l’impression que quelqu’un en hauteur s’était amusé à les semer sur lui comme une pluie de confettis. Certaines venaient jusqu’à se camoufler sous les poils auburn qui garnissaient son torse.
Le Kleinschreiber avait la chance - ou la malchance, suivant le point de vue - de ne pas avoir cette particularité physique sur le visage.
Toujours est-il qu’il continua ses pas, laissant son regard errer aux alentours et son esprit se perdre dans ses pensées, avant que ses yeux ne se baissent sur son torse nu. Il n’avait jamais trop aimé son corps. Enfin, plus exactement, il ne savait pas s’il l’appréciait ou non… mais il l’avait accepté. Ce n’était pas si courant, les roux. Et pourtant, il en avait déjà croisé plus ou moins régulièrement deux à Glamis, pendant un temps : Jake Harris et ce félon de Stuart.
Isaac décida de se rapprocher de l’endroit où il avait déposé ses affaires, et s’assit en tailleur sur le sol, en sortant ses mains de ses poches et en les posant sur ses genoux.
Si ce soir il était là, seulement un jour après l’affrontement avec Alphonse, Darrel et Tao, ce n’était pas pour s’entraîner physiquement. C’était pour son pouvoir.
Il avait besoin de le comprendre. Il avait besoin de se comprendre.
Et de connaître ses limites. Et les repousser.
Ses yeux se fermèrent, laissant le néant l’envelopper.
Il s’en était passé des choses, dans le monde, entre la matinée en compagnie des trois étudiants et cette fin de soirée en solitaire qu’il s’octroyait dans un gymnase.
Un attentat avait eu lieu à Singapura. Un attentat perpétré par un type nommé Sakae Rahim. Si Isaac avait été le témoin en direct sur Voiceless, comme des milliers de personnes, de son discours alarmiste sur bien des plans, il l’avait quitté avant la fin, ayant amplement entendu ce qu’il avait à entendre. Il avait, par la suite, appris que le stream avait été coupé abruptement mais non sans que le criminel n’aligne quelques mots supplémentaires. Et quels mots…
Isaac avait vu l’extrait tourner sur Voiceless même, s’était fait violence pour écouter ce qu’il avait manqué… et avait trouvé celui qui se faisait le chantre d’atrocités plus hésitant, plus naturel, plus mesuré dans sa façon de parler. Et comme avait pu l’imaginer l’apprenti enquêteur, les propos du Sakae avait déjà trouvé des partisans, plus ou moins sérieux, plus ou moins à l’abri grâce à l’anonymat des réseaux sociaux. Il avait fait exploser une partie d’Internet, ce jour-là, et quelques agneaux s’étaient laissés tenter par les douces paroles qui étaient sorties de la gueule bardée de crocs du loup... Ce qu’avait révélé Rahim en dernier l’avait fait réfléchir, en le prenant toutefois avec des pincettes. Tous ceux pourvus de Naraka Catana étaient-ils naturellement plus sensibles à cette matière, comme il avait l’air de le sous-entendre ? Par quel biais ? Pourquoi… pourquoi lui ?
Pourquoi lui, Isaac Kleinschreiber, s’était vu doté d’un pouvoir incendiaire et très probablement meurtrier ?
Rahim, en plus de lui donner raison quant à ses aspirations et les causes qu’il avait envie de défendre, lui rappelait aussi qu’il avait encore beaucoup de choses à apprendre sur le Naraka Catana et surtout, sur le don qu’il lui avait octroyé. S’il était là, ce soir, c’était en petite partie à cause de Sakae Rahim.
Son pouvoir faisait partie de lui. C’était quelque chose dont Isaac avait pris conscience peu à peu. De là à l’accepter… C’était complexe, et probablement ralenti par la crainte de faire souffrir autrui. Ce pouvoir… c’était lui. Comme il était un romantique, un féru de lecture, un passionné de culture en général, un jeune homme discret, contraint de cacher certaines de ses facettes, à la préférence sexuelle et romantique atypique. Il avait accepté tout cela, parfois plus ou moins difficilement, au fil des ans. Il s’était juste accepté lui-même. Il devait juste… s’accepter de nouveau. Comme il était. Comme il voulait être. Et embrasser cette flamme ardente qui vivait en lui, pour le meilleur comme pour le pire. Pour la salvation comme la damnation.
Mais quelque chose bloquait en lui.
La peur.
La peur de faire mal, la peur de se transformer en quelque chose qu’il ne souhaitait pas, alors qu’il était prêt à se damner en mettant à mort des criminels avec son feu.
Il était encore au centre d’un paradoxe monumental.
Mais peut-être devait-il simplement accepter cela, finalement. Embrasser toutes les ambivalences qui le caractérisaient, sans chercher à les repousser, sans chercher à les résoudre. Juste… les accepter. S’accepter.
Le jeune homme tourna ses mains, paumes vers le plafond et fit naître des flammes dans chacune d’elles.
Alors, il chercha à les percevoir. D’abord, le néant, l’obscurité derrière ses paupières closes. Puis, le crépitement discret, un ronflement, un bourdonnement, émanant du feu qui brûlait au creux de ses mains. Ensuite, la petite odeur, presque inaperçue, qui venait s’insinuer dans ses narines.
Enfin, le toucher. Il les sentait sans en ressentir le mordant ou la chaleur. Comme il sentait l’air se frotter à sa peau, caresser ses poils, comme si son toucher les percevait au travers de leur intangibilité, comme s’il arrivait à comprendre instinctivement, naturellement, ce qu’il avait dans les mains, alors qu’il aurait eu dix fois le temps de finir au service des grands brûlés du meilleur hôpital de la Britannia.
Isaac les fit disparaître d’un coup, ouvrit les yeux, concentra son regard sur sa main droite, la leva quelque peu et colla son pouce à son majeur, avant de claquer des doigts et qu’une petite flamme n’apparaisse au bout de son pouce. Il s’était un peu entraîné, pour réussir à se synchroniser, les jours précédents. Cela ne devrait pas lui servir dans beaucoup de contextes… mais quand on ne savait pas qu’il était capable de laisser ses flammes naître à peu près partout sur sa main, cela pouvait peut-être induire en erreur… Parce que cela rappelait un briquet. Cela rappelait le frottement, l’étincelle qui était à l’origine de la flamme. Alors, si certains arrivaient à croire qu’il avait besoin de créer l’étincelle… il était preneur.
L’exercice contre le pangolin, fait en duo avec Conrad lui avait permis de réfléchir et de démontrer qu’il n’avait en réalité besoin que d’un comburant pour activer son pouvoir : la chance, c’était qu’il y en avait un naturellement dans l’air, l’oxygène. Ce qui laissait à Isaac la tâche d’être le combustible et la source de chaleur et de faire ses propres étincelles sans un quelconque artifice. Comment, il n’en avait toujours aucune idée, et n’était pas sûr d’avoir le besoin de le comprendre, en réalité.
Certes, la question qu’il se posait le plus, en ce moment, était de savoir si tout son corps abritait son pouvoir, ou s’il était seulement dans ses mains. Parce qu’il était localisé, c’était sûr. Il se manifestait localement sur ses mains. Mais pourtant, le reste de son corps n’était pas sensible. Avait-il développé une protection naturelle ?
Il ferma de nouveau les yeux, éteignit toute flamme qu’il avait créée par la pensée, avant de se concentrer sur lui. Simplement sur lui.
Et si de nouveau l’obscurité et le calme régnaient dans son esprit, Isaac avait l’impression que le feu était là, tapi au fond de son être, dans son coeur, parcourant chacune de ses veines, inondant la moindre parcelle de sa chair, prêt à sortir… Non, ce devait être son imagination qui lui jouait des tours. Mais… il devait quand même être sûr. Une nouvelle fois. Tant de choses avaient changé depuis son arrivée à Glamis.
Alors il essaya de faire naître une flamme sur son torse, pile entre ses deux muscles pectoraux. Il ouvrit les yeux, timidement, mais il n’y avait rien, pas l’ombre d’une flammèche rouge, à part quelques poils de la couleur si flamboyante qui lui servait de crinière. Et cela le rassura. Non, rien n’avait changé sur ce plan-là, au moins.
Et comment diable arrivait-il à réagir à ses émotions ? Là aussi, Isaac était bien en peine de répondre. Il ne voyait que deux hypothèses : que son pouvoir s’éveillait et se mettait en branle dès qu’il avait une saute d’humeur conséquente, que lui réussissait à l’éveiller quand il était relativement calme et à le manipuler selon sa volonté, ou bien qu’il ne le bride en permanence, qu’il le contrôlait inconsciemment à tout moment, qu’il prenait les rênes quand il souhaitait en faire quelque chose, et qu’il lâchait complètement la bride quand il était dépassé. Mais il ne voyait aucunement comment prouver l’une ou l’autre de ces théories.
Le noble se leva, épousseta sommairement son pantalon, releva la main droite, la déplia et plongea son regard dessus.
Comprendre et accepter. Il ne ferait pas tout ce soir, mais ce n’était pas si grave, tant qu’il arrivait à saisir le plus de choses possibles les semaines à venir.
Ne restait donc… qu’à accepter. Il enflamma de nouveau ses deux mains, les observa une paire de secondes, se laissa à contempler les multiples formes courbes que les flammes créaient d’elles-mêmes comme autant de dents acérées, puis fit en sorte d’amplifier l’ardeur de cet élément primaire avant de rendre ses créations courbes, sous forme de boules. Deux boules de feu incandescentes, animées, au coeur tourbillonnant d’impétuosité, qu’il garda en main avant de les faire se croiser en rapprochant ses propres mains l’une de l’autre.
Selon sa volonté, les boules redevinrent des flammes à la forme sauvage, avant de s’agglutiner les unes aux autres, de fusionner, de former, entre les paumes du jeune homme, une seule et unique source incendiaire, qu’il transforma de nouveau en boule de feu.
Il passa ensuite près de cinq minutes à se concentrer, à essayer de la faire grossir, de plus en plus, de dépasser toutes les limites qu’il avait réussi à atteindre précédemment. Soixante-dix centimètres de diamètre.
C’était bien, mais pouvait-il faire mieux ? Cette question, il se la posa régulièrement pendant la demi-heure qui suivit, où il s’efforçait de pousser toujours plus loin dans la génération, se fatiguant mentalement plus que physiquement, travaillant autant sa respiration qu’à éviter de polluer son esprit en pensant à autre chose. Mais c’était relativement laborieux, même s’il réussit deux ou trois fois à réitérer l’exploit, avec à chaque fois plus d’aisance, comme s’il s’autorisait à accéder à ce palier sans galérer outre mesure.
Il finit, en nage, le torse et le dos ruisselants de sueur, mais encore debout et insatisfait.
- Une dernière tentative.
Il n’avait pas décroché beaucoup de syllabes au cours de la soirée. Pourtant, le Kleinschreiber parlait assez régulièrement seul, en temps normal. Ces derniers mots, il les prit comme un dernier défi, comme un engagement mettant sa parole en jeu. Alors il fit une dernière tentative.
Les flammes grossirent, se tordirent, s’agrandirent encore et encore tandis qu’il écartait ses propres paumes au fur et à mesure, s’appliquant à ne briser aucunement ce qu’il était en train de façonner.
Quatre-vingt dix centimètres de diamètre.
Quatre-vingt dix centimètres de feu tournoyant sur lui-même, encastré, suspendu dans les airs par la force d'une pensée entre deux mains l'une face à l'autre.
Ce n'était pas suffisant. Ce n'était pas la pensée première qui heurta l'esprit d'Isaac, mais l'instinct, plutôt, qui vint lui souffler qu'il n'avait pas à forcer, qu'il pouvait faire mieux. Qu'il ne devait plus forcer. Alors... il se laissa aller. Il se laissa aller à la contemplation distraite de ses flammes, laissa ses pensées s'évaporer de son cerveau, se laissa gagner par une espèce de plénitude passagère tout en écartant les mains, devenait presque spectateur silencieux de sa propre personne. Il ne cherchait plus le contrôle. Il ne cherchait plus à se battre avec lui-même. Il cherchait la simplicité, la communion, l'unité. Et ce changement de mentalité, son pouvoir le lui rendit, il se le rendit de la meilleure façon qu'il pouvait le faire.
Un mètre de diamètre. Il avait atteint la création d'un projectile enflammé d'un mètre de diamètre.
La boule de feu se désagrégea juste après, laissant le Kleinschreiber les mains moites. Mais c’était trois fois plus gros et impressionnant que ce qu’il avait réussi à Stuttonhouse contre Romuald. Après une bonne minute à s’octroyer un peu de répit, toujours debout, il baissa son regard bleu sur ses mains une nouvelle fois, ferma ces dernières, monta un peu le bras gauche, déplia la main droite et l’embrasa.
Isaac passa sa main enflammée sur son avant-bras gauche, laissa les flammes épouser sa peau, la caresser jusqu’à contourner la forme de cette partie de son corps, comme si elles savaient que cette chair n’était qu’un insignifiant obstacle à leur propre vie, comme si elles le voyaient comme un pilier sur lequel se reposer. Elles ne lui faisaient rien. Aucun mal, mais aucune chaleur. Aucun bien. Aucun mal, aucun bien. Cette simple formulation amena un peu plus de légèreté au sein de l’esprit de l’étudiant.
Il enflamma sa seconde main, remonta la droite jusqu’à son épaule gauche, plaça la main gauche sur son bras droit, dans une sorte d’étreinte solitaire infernale et flamboyante. Sa tête se pencha légèrement sur le côté, il augmenta l’intensité de son pouvoir, laissa les flammes rouges lui lécher une partie du visage et de la tête jusqu’à perturber sa vision et ferma les yeux, continuant à se faire le compagnon et le berceau de ce brasier qui avait élu domicile dans son être.
Aucun mal, aucun bien.
Sa damnation, sa salvation.
Elles. Lui.
Les accepter, simplement s’accepter.
Il n’était pas loin de vingt-trois heures, le couvre-feu n’allait pas tarder à tomber et les vigiles à patrouiller à la recherche d’élèves qui auraient décidé de braver les interdits. Que faisait-il, dans la nuit, dehors ? Il partait s’entraîner. Seul. Sans Alphonse, sans le moindre autre camarade, dans une salle qu’il avait réservé pour lui tout seul. Pour que personne ne vienne le déranger. Ce pourquoi il le faisait à cette heure si tardive, aussi.
Arrivé à destination, il prit bien garde à fermer la porte de la salle d’entraînement, bien trop grande pour lui tout seul, avant de s’aventurer plus en avant dans la pièce et d’aller poser ses affaires sur l’un des nombreux bancs qui en peuplaient les contours.
Cette fois, il ne prit pas ses écouteurs. Cette fois, il enleva la veste de son survêtement… et après un instant d’hésitation, se débarrassa de son t-shirt, se retrouvant ainsi torse nu, seul, au milieu d’une vaste pièce.
Son premier réflexe fut de réprimer un frisson, de croiser les bras sur son torse, dans une position relativement pudique et de laisser son regard couler sur son environnement.
Son rang de noble - et ses parents - l’avait contraint à ne porter qu’un certain type de vêtements, ceux qui, en général, composaient une tenue dite correcte, et qui laissaient voir relativement peu de peau. Il n’avait jamais porté de short, lorsqu’il revêtait un t-shirt, c’était toujours avec une couche de vêtement supplémentaire par-dessus, avec des manches. Et, bien sûr, on ne l’avait jamais vu torse nu autre part que sous la douche. Donc, à part lui-même, personne ne l’avait vu à moitié habillé depuis longtemps.
Il n’y avait personne. Personne à part lui. Isaac se répétait ces mots, en regardant autour de lui, en laissant ses yeux sauter jusqu’à la porte, s’attendant presque à ce qu’elle s’ouvre sur quelqu’un, quand bien même il avait pris toutes les dispositions pour que cela n’arrive pas. Le caprice de venir ici à vingt-trois heures, quand la majorité des étudiants de Glamis choisissaient de se mettre chaudement sous leur couette, était mûrement réfléchi.
Alors il prit le temps, de prendre sur lui, de se dégager de la pudeur qui l’avait saisi par les tréfonds du passé. Ses bras finirent par se délier pour se retrouver le long de son corps, avant que le jeune noble ne décide de fourrer ses mains dans les poches de son pantalon, pour ne pas succomber à la tentation de les remonter et de voir ses petits efforts réduits à néant. Puis il prit le parti de marcher au travers de la pièce, les mains dans les poches, le torse nu, auparavant efflanqué, ayant pris, au fil des semaines depuis qu’il avait décidé de se prendre en main à l’Académie, de la graisse et du muscle, laissait deviner encore par endroits les contours fins de certains de ses os.
Ses épaules, ses bras, ainsi qu’une petite portion de son dos et de ses pectoraux étaient constellés de timides et discrètes taches de rousseur, qui donnaient l’impression que quelqu’un en hauteur s’était amusé à les semer sur lui comme une pluie de confettis. Certaines venaient jusqu’à se camoufler sous les poils auburn qui garnissaient son torse.
Le Kleinschreiber avait la chance - ou la malchance, suivant le point de vue - de ne pas avoir cette particularité physique sur le visage.
Toujours est-il qu’il continua ses pas, laissant son regard errer aux alentours et son esprit se perdre dans ses pensées, avant que ses yeux ne se baissent sur son torse nu. Il n’avait jamais trop aimé son corps. Enfin, plus exactement, il ne savait pas s’il l’appréciait ou non… mais il l’avait accepté. Ce n’était pas si courant, les roux. Et pourtant, il en avait déjà croisé plus ou moins régulièrement deux à Glamis, pendant un temps : Jake Harris et ce félon de Stuart.
Isaac décida de se rapprocher de l’endroit où il avait déposé ses affaires, et s’assit en tailleur sur le sol, en sortant ses mains de ses poches et en les posant sur ses genoux.
Si ce soir il était là, seulement un jour après l’affrontement avec Alphonse, Darrel et Tao, ce n’était pas pour s’entraîner physiquement. C’était pour son pouvoir.
Il avait besoin de le comprendre. Il avait besoin de se comprendre.
Et de connaître ses limites. Et les repousser.
Ses yeux se fermèrent, laissant le néant l’envelopper.
Il s’en était passé des choses, dans le monde, entre la matinée en compagnie des trois étudiants et cette fin de soirée en solitaire qu’il s’octroyait dans un gymnase.
Un attentat avait eu lieu à Singapura. Un attentat perpétré par un type nommé Sakae Rahim. Si Isaac avait été le témoin en direct sur Voiceless, comme des milliers de personnes, de son discours alarmiste sur bien des plans, il l’avait quitté avant la fin, ayant amplement entendu ce qu’il avait à entendre. Il avait, par la suite, appris que le stream avait été coupé abruptement mais non sans que le criminel n’aligne quelques mots supplémentaires. Et quels mots…
Isaac avait vu l’extrait tourner sur Voiceless même, s’était fait violence pour écouter ce qu’il avait manqué… et avait trouvé celui qui se faisait le chantre d’atrocités plus hésitant, plus naturel, plus mesuré dans sa façon de parler. Et comme avait pu l’imaginer l’apprenti enquêteur, les propos du Sakae avait déjà trouvé des partisans, plus ou moins sérieux, plus ou moins à l’abri grâce à l’anonymat des réseaux sociaux. Il avait fait exploser une partie d’Internet, ce jour-là, et quelques agneaux s’étaient laissés tenter par les douces paroles qui étaient sorties de la gueule bardée de crocs du loup... Ce qu’avait révélé Rahim en dernier l’avait fait réfléchir, en le prenant toutefois avec des pincettes. Tous ceux pourvus de Naraka Catana étaient-ils naturellement plus sensibles à cette matière, comme il avait l’air de le sous-entendre ? Par quel biais ? Pourquoi… pourquoi lui ?
Pourquoi lui, Isaac Kleinschreiber, s’était vu doté d’un pouvoir incendiaire et très probablement meurtrier ?
Rahim, en plus de lui donner raison quant à ses aspirations et les causes qu’il avait envie de défendre, lui rappelait aussi qu’il avait encore beaucoup de choses à apprendre sur le Naraka Catana et surtout, sur le don qu’il lui avait octroyé. S’il était là, ce soir, c’était en petite partie à cause de Sakae Rahim.
Son pouvoir faisait partie de lui. C’était quelque chose dont Isaac avait pris conscience peu à peu. De là à l’accepter… C’était complexe, et probablement ralenti par la crainte de faire souffrir autrui. Ce pouvoir… c’était lui. Comme il était un romantique, un féru de lecture, un passionné de culture en général, un jeune homme discret, contraint de cacher certaines de ses facettes, à la préférence sexuelle et romantique atypique. Il avait accepté tout cela, parfois plus ou moins difficilement, au fil des ans. Il s’était juste accepté lui-même. Il devait juste… s’accepter de nouveau. Comme il était. Comme il voulait être. Et embrasser cette flamme ardente qui vivait en lui, pour le meilleur comme pour le pire. Pour la salvation comme la damnation.
Mais quelque chose bloquait en lui.
La peur.
La peur de faire mal, la peur de se transformer en quelque chose qu’il ne souhaitait pas, alors qu’il était prêt à se damner en mettant à mort des criminels avec son feu.
Il était encore au centre d’un paradoxe monumental.
Mais peut-être devait-il simplement accepter cela, finalement. Embrasser toutes les ambivalences qui le caractérisaient, sans chercher à les repousser, sans chercher à les résoudre. Juste… les accepter. S’accepter.
Le jeune homme tourna ses mains, paumes vers le plafond et fit naître des flammes dans chacune d’elles.
Alors, il chercha à les percevoir. D’abord, le néant, l’obscurité derrière ses paupières closes. Puis, le crépitement discret, un ronflement, un bourdonnement, émanant du feu qui brûlait au creux de ses mains. Ensuite, la petite odeur, presque inaperçue, qui venait s’insinuer dans ses narines.
Enfin, le toucher. Il les sentait sans en ressentir le mordant ou la chaleur. Comme il sentait l’air se frotter à sa peau, caresser ses poils, comme si son toucher les percevait au travers de leur intangibilité, comme s’il arrivait à comprendre instinctivement, naturellement, ce qu’il avait dans les mains, alors qu’il aurait eu dix fois le temps de finir au service des grands brûlés du meilleur hôpital de la Britannia.
Isaac les fit disparaître d’un coup, ouvrit les yeux, concentra son regard sur sa main droite, la leva quelque peu et colla son pouce à son majeur, avant de claquer des doigts et qu’une petite flamme n’apparaisse au bout de son pouce. Il s’était un peu entraîné, pour réussir à se synchroniser, les jours précédents. Cela ne devrait pas lui servir dans beaucoup de contextes… mais quand on ne savait pas qu’il était capable de laisser ses flammes naître à peu près partout sur sa main, cela pouvait peut-être induire en erreur… Parce que cela rappelait un briquet. Cela rappelait le frottement, l’étincelle qui était à l’origine de la flamme. Alors, si certains arrivaient à croire qu’il avait besoin de créer l’étincelle… il était preneur.
L’exercice contre le pangolin, fait en duo avec Conrad lui avait permis de réfléchir et de démontrer qu’il n’avait en réalité besoin que d’un comburant pour activer son pouvoir : la chance, c’était qu’il y en avait un naturellement dans l’air, l’oxygène. Ce qui laissait à Isaac la tâche d’être le combustible et la source de chaleur et de faire ses propres étincelles sans un quelconque artifice. Comment, il n’en avait toujours aucune idée, et n’était pas sûr d’avoir le besoin de le comprendre, en réalité.
Certes, la question qu’il se posait le plus, en ce moment, était de savoir si tout son corps abritait son pouvoir, ou s’il était seulement dans ses mains. Parce qu’il était localisé, c’était sûr. Il se manifestait localement sur ses mains. Mais pourtant, le reste de son corps n’était pas sensible. Avait-il développé une protection naturelle ?
Il ferma de nouveau les yeux, éteignit toute flamme qu’il avait créée par la pensée, avant de se concentrer sur lui. Simplement sur lui.
Et si de nouveau l’obscurité et le calme régnaient dans son esprit, Isaac avait l’impression que le feu était là, tapi au fond de son être, dans son coeur, parcourant chacune de ses veines, inondant la moindre parcelle de sa chair, prêt à sortir… Non, ce devait être son imagination qui lui jouait des tours. Mais… il devait quand même être sûr. Une nouvelle fois. Tant de choses avaient changé depuis son arrivée à Glamis.
Alors il essaya de faire naître une flamme sur son torse, pile entre ses deux muscles pectoraux. Il ouvrit les yeux, timidement, mais il n’y avait rien, pas l’ombre d’une flammèche rouge, à part quelques poils de la couleur si flamboyante qui lui servait de crinière. Et cela le rassura. Non, rien n’avait changé sur ce plan-là, au moins.
Et comment diable arrivait-il à réagir à ses émotions ? Là aussi, Isaac était bien en peine de répondre. Il ne voyait que deux hypothèses : que son pouvoir s’éveillait et se mettait en branle dès qu’il avait une saute d’humeur conséquente, que lui réussissait à l’éveiller quand il était relativement calme et à le manipuler selon sa volonté, ou bien qu’il ne le bride en permanence, qu’il le contrôlait inconsciemment à tout moment, qu’il prenait les rênes quand il souhaitait en faire quelque chose, et qu’il lâchait complètement la bride quand il était dépassé. Mais il ne voyait aucunement comment prouver l’une ou l’autre de ces théories.
Le noble se leva, épousseta sommairement son pantalon, releva la main droite, la déplia et plongea son regard dessus.
Comprendre et accepter. Il ne ferait pas tout ce soir, mais ce n’était pas si grave, tant qu’il arrivait à saisir le plus de choses possibles les semaines à venir.
Ne restait donc… qu’à accepter. Il enflamma de nouveau ses deux mains, les observa une paire de secondes, se laissa à contempler les multiples formes courbes que les flammes créaient d’elles-mêmes comme autant de dents acérées, puis fit en sorte d’amplifier l’ardeur de cet élément primaire avant de rendre ses créations courbes, sous forme de boules. Deux boules de feu incandescentes, animées, au coeur tourbillonnant d’impétuosité, qu’il garda en main avant de les faire se croiser en rapprochant ses propres mains l’une de l’autre.
Selon sa volonté, les boules redevinrent des flammes à la forme sauvage, avant de s’agglutiner les unes aux autres, de fusionner, de former, entre les paumes du jeune homme, une seule et unique source incendiaire, qu’il transforma de nouveau en boule de feu.
Il passa ensuite près de cinq minutes à se concentrer, à essayer de la faire grossir, de plus en plus, de dépasser toutes les limites qu’il avait réussi à atteindre précédemment. Soixante-dix centimètres de diamètre.
C’était bien, mais pouvait-il faire mieux ? Cette question, il se la posa régulièrement pendant la demi-heure qui suivit, où il s’efforçait de pousser toujours plus loin dans la génération, se fatiguant mentalement plus que physiquement, travaillant autant sa respiration qu’à éviter de polluer son esprit en pensant à autre chose. Mais c’était relativement laborieux, même s’il réussit deux ou trois fois à réitérer l’exploit, avec à chaque fois plus d’aisance, comme s’il s’autorisait à accéder à ce palier sans galérer outre mesure.
Il finit, en nage, le torse et le dos ruisselants de sueur, mais encore debout et insatisfait.
- Une dernière tentative.
Il n’avait pas décroché beaucoup de syllabes au cours de la soirée. Pourtant, le Kleinschreiber parlait assez régulièrement seul, en temps normal. Ces derniers mots, il les prit comme un dernier défi, comme un engagement mettant sa parole en jeu. Alors il fit une dernière tentative.
Les flammes grossirent, se tordirent, s’agrandirent encore et encore tandis qu’il écartait ses propres paumes au fur et à mesure, s’appliquant à ne briser aucunement ce qu’il était en train de façonner.
Quatre-vingt dix centimètres de diamètre.
Quatre-vingt dix centimètres de feu tournoyant sur lui-même, encastré, suspendu dans les airs par la force d'une pensée entre deux mains l'une face à l'autre.
Ce n'était pas suffisant. Ce n'était pas la pensée première qui heurta l'esprit d'Isaac, mais l'instinct, plutôt, qui vint lui souffler qu'il n'avait pas à forcer, qu'il pouvait faire mieux. Qu'il ne devait plus forcer. Alors... il se laissa aller. Il se laissa aller à la contemplation distraite de ses flammes, laissa ses pensées s'évaporer de son cerveau, se laissa gagner par une espèce de plénitude passagère tout en écartant les mains, devenait presque spectateur silencieux de sa propre personne. Il ne cherchait plus le contrôle. Il ne cherchait plus à se battre avec lui-même. Il cherchait la simplicité, la communion, l'unité. Et ce changement de mentalité, son pouvoir le lui rendit, il se le rendit de la meilleure façon qu'il pouvait le faire.
Un mètre de diamètre. Il avait atteint la création d'un projectile enflammé d'un mètre de diamètre.
La boule de feu se désagrégea juste après, laissant le Kleinschreiber les mains moites. Mais c’était trois fois plus gros et impressionnant que ce qu’il avait réussi à Stuttonhouse contre Romuald. Après une bonne minute à s’octroyer un peu de répit, toujours debout, il baissa son regard bleu sur ses mains une nouvelle fois, ferma ces dernières, monta un peu le bras gauche, déplia la main droite et l’embrasa.
Isaac passa sa main enflammée sur son avant-bras gauche, laissa les flammes épouser sa peau, la caresser jusqu’à contourner la forme de cette partie de son corps, comme si elles savaient que cette chair n’était qu’un insignifiant obstacle à leur propre vie, comme si elles le voyaient comme un pilier sur lequel se reposer. Elles ne lui faisaient rien. Aucun mal, mais aucune chaleur. Aucun bien. Aucun mal, aucun bien. Cette simple formulation amena un peu plus de légèreté au sein de l’esprit de l’étudiant.
Il enflamma sa seconde main, remonta la droite jusqu’à son épaule gauche, plaça la main gauche sur son bras droit, dans une sorte d’étreinte solitaire infernale et flamboyante. Sa tête se pencha légèrement sur le côté, il augmenta l’intensité de son pouvoir, laissa les flammes rouges lui lécher une partie du visage et de la tête jusqu’à perturber sa vision et ferma les yeux, continuant à se faire le compagnon et le berceau de ce brasier qui avait élu domicile dans son être.
Aucun mal, aucun bien.
Sa damnation, sa salvation.
Elles. Lui.
Les accepter, simplement s’accepter.
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