Aenekion était une ville au patrimoine historique rare. Un certain temple surplombant la métropole était l’un des nombreux vestiges en témoignant, mais ce rôle ne lui suffisait plus exactement. En effet, il avait su traverser les âges pour finalement se soustraire à son ère en jouant un rôle clé dans la nouvelle ; il s’agissait de l’Académie Palestria, un lieu où passé et présent convergeaient pour l’avenir de l’Eleftheria dans son ensemble. Cette bâtisse à l’architecture unique dans tout Moderna était le berceau des héros d’hier et des Héros de demain. À l’intérieur, au premier étage pour être précis, il y avait une salle autrefois réservée au stockage des parchemins vierges selon les historiens. Depuis, cet espace modeste avait été rénové, à la fois dans un souci de consolider les lieux et de les remettre aux goûts du jour. L’endroit faisait désormais office de bureau pour un éminent personnage de cette institution éducative : Atticus Sebastia, professeur de son état. Il n’officiait pas à l’Académie depuis très longtemps comparé à certains de ses collègues, mais il était tout de même regardé en haute estime par ceux-ci ainsi que le corps estudiantin. Comment pourrait-il en être autrement ?

Du haut de ses trente-trois ans, Atticus commençait – de son propre aveu, tout du moins – à se faire vieux. Cela ne l’empêchait pas de disposer d’un certain charme. Chaque matin, il faisait l’effort de se lever une trentaine de minutes avant le lever du soleil. C’était le temps qu’il estimait nécessaire pour se débarbouiller, se coiffer, s’habiller, et se maquiller ; se faire beau, en somme. Oui, il aimait prendre soin de son apparence, et c’était un homme de goût. Par ailleurs, ses choix d’eau de Cologne en disaient long sur lui : il ne poursuivait pas le meilleur produit où le plus abordable, mais celui qui lui paraissait juste, tout simplement. On le connaissait comme un homme cultivé, adepte dans l’art de mener une conversation. Jeunes ou vieux, ses interlocuteurs s’accordaient à dire qu’il avait toujours un bon mot à dire ou, à défaut, une opinion pertinente à partager quel que fût le sujet. Le poster de Pink Apink et le vieux tourne-disque présents dans son bureau étaient autant de preuves s’il en fallait de sa tendance à ne pas limiter ses goûts en fonction de son âge. De plus, son caractère aimable et avenant était plus que suffisant pour le placer dans les bons papiers de quelqu’un.

Néanmoins, toutes ces qualités ne jouaient qu’un rôle secondaire dans la popularité de cet homme à Palestria. La véritable raison de son succès n’était autre que le pouvoir dont il tirait son surnom : Power Lens. Ce don était à la fois simple comme bonjour et fort utile dans sa profession ; il permettait dans un premier temps d’identifier les capacités d’un individu et de les aiguiller dans un second afin de leur permettre de s’épanouir. Peu étaient ceux pouvant se vanter d’avoir une faculté plus adaptée au cadre de l’Académie. Encore moins ceux se donnant les moyens de la mettre pleinement à profit. Or, il se trouvait justement que monsieur Sebastia en était tout à fait à même. Il l’avait démontré à maintes reprises, et il ne s’était jamais privé d’user de son pouvoir à bon escient, y compris pour aider des élèves n’appartenant pas à sa classe, un fait que sa toute nouvelle élève était bien placée pour savoir.

En parlant d’elle, Atticus lui avait justement donné rendez-vous dans son bureau. Il tapait furieusement sur son ordinateur portable en l’attendant ; il devait avouer que c’était une journée chargée pour lui dans la mesure où il devait assister à une réunion dans l’après-midi. Cependant, il avait considéré nécessaire pour la suite d’organiser une petite séance d’entraînement dans la matinée. Rhéa Notaras – c’était le nom de la nouvelle – était un élément fort prometteur aux yeux de Power Lens, littéralement et figurativement. Il avait eu tout le loisir de constater cela lors de leur première rencontre. C’était un accident en plein cours qui avait mené à celle-ci ; un projectile avait été malencontreusement dévié de sa trajectoire, manquant de frapper un groupe de passants dont la concernée faisait partie. Si l’objet avait pu être intercepté de justesse, cela avait dû être un choc pour Rhéa dans la mesure où elle s’était découvert un pouvoir dans la foulée.

Effrayée, la jeune fille s’était enfuie, et le trentenaire n’avait eu d’autre choix que de courir après elle pour assurer sa sécurité et celle des autres. De fil en aiguille, ils avaient entrepris de déterminer la nature et les limites du don de la Notaras lors de la semaine suivante. Le médaillé d’or n’étant pas étranger aux événements, il s’était tout naturellement dévoué à suivre son cas jusqu’au bout. C’était notamment pour cette raison qu’elle avait fini par rejoindre Palestria, et plus particulièrement la classe du Sebastia ; elle avait une faculté formidable, mais ce n’était qu’une raison de plus d’apprendre à maîtriser cette dernière. L’entraînement prévu ce jour-là visait justement à cela. Il s’agissait aussi d’une bonne occasion pour la nouvelle de se familiariser avec ses camarades de classe. Après tout, durant les quelques jours passés à l’Académie en tant qu’élève, elle n’avait eu l’occasion de rencontrer qu’une poignée d’entre eux ; l'enseignant avait jugé plus prudent de passer par une période d'adaptation avant de la laisser aller en classe. Un sourire se dessina sur le faciès d’Atticus en s’imaginant la suite des événements. Il espérait que tout se passerait bien et qu'elle pourrait assister aux cours dès la semaine prochaine.