Samedi matin. Je n'ai pas dormi de la nuit, la passant à binge-watcher sur un site de streaming. Les premiers rayons du soleil éclairent doucement ma chambre, me signalant déjà la fin de la nuit. Emmitouflée dans la couette, la culpabilité m'envahit. Je n'ai rien foutu de la soirée. Certes c'est le week-end mais habituellement j'en profite pour réviser mes cours à la bibliothèque. Sauf qu'aujourd'hui, je risque d'être claquée, d'autant plus que je n'ai plus rien à grignoter. J'ai entendu parler d'un marché dans le centre-ville de Saint-Maisigny, au pied de la cathédrale. Le moment idéal pour faire une petite sortie saine qui va me faire oublier mon hygiène de vie déplorable.

Je me libère de l'emprise de mes draps pour filer dans la douche. De l'eau chaude couplée à quelques minutes d'eau froide devrait bien me réveiller. Je m'habille sobrement, je me maquille pour masquer la fatigue, je saisis mon cabas et je déguerpis.

Le marché est bondé de petits vieux, de gens très matinaux quoi. Ils se jettent sur les plus belles pièces de chaque stand, connaissant probablement tous les bons plans. Je flâne d'échoppe en échoppe, le ventre qui gargouille. Je crève de faim mais il n'y a pas moyen que je ne mange pas quelques choses de diététiques, même si le rayon charcuterie et fromager me font de l’œil. Je me dirige plutôt vers un commerce de fruit, avec ses jolies fraises rouges qui attirent mon regard.  Sans broncher, mes sous partent directement pour ces mets merveilleux. Ah, c'est le pied. J'adore grignoter en faisant du lèche-vitrine, j'ai oublié à quel point le bonheur est simple.

Soudain, une odeur de pain chaud titille mes narines. Instinctivement, mon odorat me guide vers une roulotte bien garnie. Une multitude de gens s'affaire autour de la petite entreprise, visiblement très populaire. Je fais sagement la queue en observant la population. Le petit vieux qui a du mal à donner sa monnaie, une maman excédée par son mouflon, un couple matinal, un rendez-vous entre deux mémés super copines et un mec qui pique un morceau de viande pendant que le vendeur est occupé. Hein ? Pardon ? Je viens d'assister à quoi là ? C'est un vol nan ? Voilà que l'avorton se tire avec la marchandise ! Je fais les gros yeux, ne croyant pas ce que je viens de voir. Que dois-je faire ? Qui dois-je appeler ? Mais bouge ton cul Marie-Lou ! T'es une héroïne après tout alors c'est à toi de le rattraper !

❝ E-eh ! ❞ mon cri s'étouffe avec le brouaha de la foule.

Je poursuis le voleur à toute berzingue. C'est mort, il ne m'échappera pas, quitte à bousculer quelques passants. Je ne suis peut-être pas aussi rapide que l'assaillant mais j'ai beaucoup d'endurance. Le souffle régulier, je finis par le rattraper dans une ruelle alors qu'il pense s'en sortir en toute impunité. Une petite portion de sable se libère de ma sacoche et se transforme en une boule compact. Cette dernière est propulsée à quelques centimètres de la cible, faisant office de prévention.

❝ Plus un geste. Tu bouges, j'te vise les jambes. ❞

En effet, trois autres petites balles de sable flottent autour de moi. Le majeur et l'index pointée sur le malfaiteur, je simule une arme avec mes doigts. Une nouvelle technique que j'ai acquis il y a quelques jours. J'avoue, je me la pète un peu. Le regard noir, je finis par rattraper l'homme et je saisis son poignet contenant le met volé.

❝ Tu vas rendre ça tout de suite au marchand et tu vas t'excuser. J'te laisse pas d'autres choix. ❞

Mon ton se veut sévère et assuré mais une pointe de doute subsiste. Je ne suis pas sûre que ce soit la bonne méthode, c'est plutôt maladroit comme intervention. Malgré toutes mes bonnes intentions, je ne suis pas sûre que mon action soit si bénéfique que cela. Après tout, n'est-ce pas risqué, une fille seule dans une ruelle avec un homme malveillant ?

Le jeune homme tente de m'avoir par les sentiments. Prenant une voix fluette, il demande pardon, insistant pour ne pas que je le dénonce. A priori, il doit donner à manger à son frangin. Le sourcil arqué, je décortique du regard l'individu. Ses vêtements sont presque en lambeaux et des marques rouges et bleutés sont apparent sur sa peau. Mince, j'éprouve de la compassion à son égard. Mon regard se fait moins dur mais mon pistolet imaginaire est toujours braqué sur lui.

❝ Volé n'est pas la solution. T'imagines si tout le monde faisait comme toi ?! ❞

L'inconnu poursuit ses plaintes en touchant mon point faible. Voilà qu'il me dit qu'en tant qu'héroïne, je me dois de défendre les faibles. Il excuse son acte par le fait que le commerçant a beaucoup de clients donc une viande de plus ou de moins ne change pas grand chose. Il arrive à semer le doute dans mon esprit. Je pousse un râle d'agacement avant de saisir le produit volé.

❝ Pourquoi tu mendies pas comme tous les autres ?! Pourquoi t'essaies pas de te faire un peu d'argent en rendant des services ? Tu choisis la facilité là. La vie c'n'est pas ça. ❞

Je joue les moralisatrices alors que j'ai déjà chouré des trucs étant plus jeune et lui semble avoir beaucoup plus avoir de raison de voler que moi à l'époque. Finalement, être héroïne c'est savoir être hypocrite. Désemparée par son récit criant de vérité, je décide de ne pas lâcher l'affaire tout en donnant en partie raison au type.

❝ Suis moi. Il va falloir que tu assumes tes actes. ❞

Je lui tiens la main comme une grande sœur à son petit frère. Pour être sûr qu'il ne s'enfuit pas, j'attache son poignet au mien par des menottes de sable. Les grains virevoltent autour de son bras, bien déterminés à ne jamais le lâcher. D'un ton plus doux, je le rassure :

❝ Fais moi confiance, je ne vais pas te dénoncer. Je vais aller payer ce que tu as pris. Tiens, mange cette fraise. ❞

Je lui fourre un fruit rouge dans la bouche en espérant que ça l'occupe. Nous revenons vers la roulotte un peu moins bondé et je glisse deux pièces au marchand.

❝ Désolée, je n'avais pas vu mais mon p'tit frère vous a prit ça. J'en suis navrée. ❞

Je fusille l'inconnu à mes côtés, appuyant sur sa tête pour le forcer à s'excuser. Le marchant ne semble pas lui en vouloir – même s'il tire la grimace – et me demande si je souhaite autre chose. Suite à ça, je commande de sandwichs chauds au monsieur avant de nous en aller.

❝ Tu vas manger avec moi. Viens, on va vers le clocher. ❞

À quelques mètres du marché, nous grimpons des escaliers menant tout droit vers un petit clocher. Le lieu est calme, surplombant la ville et nous offrant un panorama imprenable sur l'horizon bleuté. Habitant tout près de la mer, nous avons un cadre idyllique pour un pique-nique improvisé. Sans jamais lâcher le voleur, je lui mets la barquette de fraise sous le nez avant de lui tendre le sandwich.

❝ Tiens, c'est pour toi. Les fraises et la viande tu pourras les ramener pour ton petit frère. ❞

Dans un élan de naïveté, je le lâche, sans que mon sable ne le quitte. Ainsi s'il s'enfuit, je pourrais retrouver sa trace. Cependant, je m'en fiche un peu qu'ils partent avec ma marchandise. En effet, j'ai choisi délibérément de lui donner ce que j'ai donc j'en assumerais les conséquences. Prenant un croc dans mon sandwich, j'aborde le garçon de la rue.

❝ Comment tu t'appelles ? Mh-hm ! ❞

Je me brûle la langue avec mon casse-croûte. Je couvre ma bouche avec ma main en expirant l'air chaud, tel un dragon en pleine crise d'asthme. Après avoir avalé le morceau, je saisis ma gourde pour m'abreuver puis je reprends la discussion.

❝ Moi c'est Marie-Lou. Quelle est ta situation ? Je peux peut-être t'aider. ❞

C'est bien beau de vouloir arrêter les vilains mais est-ce que cela résout vraiment le problème ? Peut-être qu'en essayant de comprendre ce voleur, j'intégrerais un peu mieux le fonctionnement des délinquants. Je souhaite viser le fond du problème et pas juste me contenter de la forme.

❝ Tu sais, il existe pleins d'organismes qui aident des personnes comme toi … alors pourquoi tu voles ? Et ne me sort pas l'excuse de : « les autres ont tout et moi j'ai rien donc j'ai le droit de voler », hein. Dis moi les vraies raisons. ❞

Malgré mes sourcils froncés, mes yeux sont empreints de douceur et d'empathie. Je lui tend la main, à voir si il veut me la prendre.