A la tête du cortège de héros fraîchement décorés figuraient deux individus d'envergure : représentant l'armée hongwoise, Jinfa Biyan et Hell's Lièrén avaient été chargés d'accompagner les nouvelles pousses de l'Académie jusqu'à l'aéroport le plus proche, puis de l'aéroport jusqu'à Singapura, où ils avaient été contraints de réaliser une halte pendant une paire de jours. C'était chose commune : Hongwu étant situé à l'opposé de Terrafirma, le plus rapide était bien souvent d'apprêter un navire commun avec les forces d'un pays situé à l'est de Moderna. Et c'était précisément à cette fin que tout ce beau monde avait réalisé ce voyage en terre étrangère... Pas le temps de batifoler avec les locaux ou de profiter de leur architecture hétéroclite, toutefois : Jinfa Biyan n'était pas l'instructeur le plus conciliant, et même si les humeurs malines de Hell's Lièrén contribuaient pour beaucoup à détendre l'atmosphère, il allait sans dire que les deux guides conservaient leurs pensées braquées sur l'importance capitale de leur mission. Escorter les jeunots jusqu'à Antiqua, réaliser une première expédition routinière, puis ramener tout ce beau monde à Terrafirma. En un seul morceau, si possible.
Car la nouvelle était tombée le lendemain de la remise de diplôme : le gouvernement hongwois avait pris la décision d'envoyer les jeunes pousses au casse-pipe sans même leur donner l'opportunité de profiter d'une halte à Terrafirma. A contrario, la mission, qui allait être menée à bien avec un contingent de jeunes diplômés singapuriens, allait leur permettre de se confronter à la dure réalité antiquienne sans plus attendre. Ils allaient apprendre dans le dur les nécessités de communiquer et de s'accommoder avec autrui afin de mener les objectifs à bien. Ensuite, ils auraient droit à un brin de repos... Du moins ceux qui survivraient le pourraient. Les dépouilles des autres seraient sans doute abandonnées aux caprices gourmands de mère Nature et de ses hordes d'abominations.





Elle se rapprocha à pas feutrés de Sejeong, comme pour s'éloigner autant que possible des civils singapuriens qui grouillaient à proximité des installations portuaires. Fort heureusement, chaque foulée la rapprochait un peu plus d'un no man's land sur lequel des gardes armés veillaient au grain ; eux-mêmes étaient escortés de deux héros hongwois d'envergure, et elle se sentait finalement surprenamment à l'aise, quand bien même la gargantuesque ville qui s'étendait presque tout autour d'eux lui était parfaitement étrangère. Jinga Biyan, notamment, avait récemment été gratifié d'une médaille de platine. C'était un gros bonnet de l'OIH, et on savait, en haut-lieu, qu'on pouvait compter sur lui pour assurer la sécurité des jeunes pousses prometteuses de l'Académie Xiaolong. Quelques étudiants murmuraient qu'il ne rechignerait pas à abandonner à leur sort les éléments les moins aguerris, mais rien ne permettait d'entériner cette théorie glauque, si ce n'était son apparence altière et ses directives incisifs. Quant à Hell's Lièrén, médaillé d'or, il n'avait réalisé qu'une petite poignée d'expéditions à Antiqua. Il jouait sa médaille de platine, en fait : mais il avait le vent en poupe, grâce à son bagout et à son allure tapageuse. Bon nombre de jeunes hongwois avaient d'ores et déjà craqué pour lui, et les figurines qu'on réalisait en grands tirages le concernant s'écoulaient comme des petits pains. En somme, les étudiants hongwois étaient a priori entre de bonnes mains ; Dandan puisait dans cette certitude un soulagement colossal.



Et pour cause : en plus de leur groupe figuraient au sein de leur cohorte une bonne vingtaine d'étudiants, agrégés dans différentes bandes plus ou moins soudées. En l'occurrence, ils formaient sans l'ombre d'un doute l'équipe la plus impressionnante, sur le papier. Xiaodan aurait pu leur être utile, sans doute, mais Meng et Meixiu, en eux-mêmes, incarnaient une force de frappe bien suffisante pour relever avec brio la première étape de leur existence de héros.
Après cela, on leur offrirait une breloque d'or, et Cai Yan pourrait sans doute, comme il l'entendait avec enthousiasme, prendre le parti de rentrer au pays pour suivre une existence pleine de traque de vilains, de soirées en clubs huppés et de tête-à-tête exaltants. Ce serait le début de sa nouvelle vie : celle pour laquelle il était né, sans l'ombre d'un doute.
Il était prêt à se faire ascète au cours des semaines à venir si cela pouvait aboutir sur un tel épanouissement ; mais si une belle singapurienne s'avérait plus accorte que la moyenne, il pourrait bien goûter à quelques plaisirs étrangers. Histoire de voir si les ragots insolites d'Hell's Lièrén à propos de ces individus bigarrés étaient fondés.
Oui, ce n'était rien de plus que de la curiosité saine. Presque académique.





Il opina du chef, sûr de son fait. Leur expédition n'allait pas simplement bien se dérouler : elle allait être d'ampleur historique. Il entendait bien marquer les esprits...

-Oui. J’ai été obligée d’en mangée une fois quand j’étais en Francie, question de protocole. C’était ignoble. La bave, la sensation gluante sur la langue… murmura Manwol en se penchant vers son ancienne camarade de chambre.

En effet, lors d’une mission avec les Ombres d’Imjin, elle avait été contrainte de se faire passer pour une noble de Hongwu en voyage de plaisance dans une fête organisé par une société géré par un aristocrate francien. Afin de pouvoir dialoguer avec ce dernier et recueillir des informations pour ses collègues, afin qu’ils puissent assassiner leur cible qui était cadre dans l’entreprise, la femme à la chevelure magenta avait dû manger des escargots. Si les missions de la secte à l’extérieur d’Hongwu étaient rare, cela lui avait malgré tout permis de voir du monde. Singapura était également une destination qu’elle avait déjà eu l’occasion de parcouru. La Naksoo y avait manipulé la bande de petites frappes d’un certain Aiko afin que ces derniers s’en prennent à un gang dans le seul optique de tuer le mafieux à la tête de ce gang. Il s’avérait que l’assassinat avait été commandité par un des subalternes de ce mafieux qui désirait prendre sa place à la tête de l’organisation. Ces rues et ces bâtiments ne lui était pas inconnu par conséquent, même si la demoiselle était venu pour le travail et avait surtout côtoyer les racailles et truands des quartiers.

-Je parie qu’ils n’ont jamais tenté de manger des grillons grillés, ils devraient essayés. D’après l’herboristerie de ma famille, préparé avec d’autres en ingrédient en « Namtok », ça a un goût aigre-doux avec des nuances de noix qui vient du riz toasté et le goût rafraichissant de la menthe.

À vrai dire, elle avait déjà mangée des insectes, mais ne savait pas si dans la société moderne, influencé par les autres nations, cette tradition gastronomique s’était perdu et si par conséquent cela répugnerait également les membres de cette génération. Pour sa part, n’aimant pas la modernité qu’incarnait pourtant les mégapoles comme Singapura, que la « Jang » qualifiait volontiers de monstruopole, et avait grandit dans des traditions et coutumes anciennes que beaucoup jugeaient désuets et impropres au monde actuel.

-Ne t’inquiète pas, les singapuriens aboient, mais ne mordent pas, rigola la meurtrière face au comportement de Dandan, n’hésitant pas à lui tapoter l’épaule pour la rassurer. À part les délinquants, comme un peu partout j’ai envie de dire.

Concernant la question de Cai, l’Ombre d’Imjin qui avait rejoint l’académie sous l’identité civile que lui avait donné sa famille ne pu qu’hausser les épaules et supputer.

-Peut-être une promotion entière également. Il me semble que contrairement à nous, Wong est une académie à diplôme délibérée et que les effectifs sont plus réduits que par chez nous. Et à vrai dire il est difficile de parler de promotions par chez eux. Tout le monde est un peu mélangé et ils sont envoyés sur le terrain quand on les jugent assez bon. Ils ne fonctionnent pas du tout comme notre académie.

C’était tout du moins ce que lui avait raconté un étudiant ayant fugué l’académie Asakusa d’Edo et qu’elle avait ensuite égorgé lorsqu’il avait découvert que Manwol s’intéressait aux parents de ce dernier dans l’optique de les tuer. Enfin Meng et Meixiu s’encensèrent plus ou moins, ce qu’amuser davantage celle qui comptait se débrouiller pour envoyer à la mort la petite troupe et disparaître dans Antiqua, avec Dandan si possible, afin d’aller à la rencontre des autochtones d’Antiqua et se faire passer pour des personnes venant d’un autre village afin de se mêler à la population locale. C’était quelque chose que les expéditions militaires semblaient ignorés pour l’instant. Si les dangers d’Antiqua étaient préoccupants et légitimement sources d’inquiétudes pour y mener des expéditions, infiltrait la population locale pour tirer des informations de la part des natifs n’était pas, à première vue en tout cas, à l’ordre du jour. Peut-être certains agents haut-placé, comme le héros hongwois ayant disparu, étaient ils justement investis de pareille tâche, mais cela relevait alors que de tentatives isolées. En tout cas, la Naksoo avait hâte de découvrir les mystères d’Antiqua afin de comprendre comme Imjin avait façonné le monde. Car oui, pour elle ce continent nouveau révélait un pan de l’histoire mythologique que cultivait son culte à mystères. Certains adeptes ne la croyaient pas, mais elle ramènerait des preuves pour réunir les adeptes et voyager ensemble sur Antiqua afin d’y fonder une colonie religieuse, le début d’une nouvelle communauté embrassant la foi en Imjin sur la terre mère de ses croyances. La vérité dévoilé, Manwol pourrait partir en pèlerinage dans l’espoir d’atteindre le cœur de ce continent et y trouver certains des restes divins en plus haute quantité.

-En effet, certains qui fuiront après que leurs camarades aient été tués pourraient tenter de nous rejoindre… notifia celle qui se faisait Sejeong avant d’à nouveau tapoter l’épaule de Dandan. Mais ne t’inquiète pas… Ensemble, il ne peut rien nous arriver.

Il ne leur avait pas fallu chercher bien longtemps : une escorte de l'armée singapurienne s'était promptement portée à leur rencontre, et un émissaire avait été désigné pour les guider jusqu'au navire de guerre qui allait les porter jusqu'à Antiqua. Une bonne cohorte de soldats et de marins s'attelaient à remplir le paquebot de vivres en tout genre ; et, à en considérer l'absence d'autres navires similaires en pleins préparatifs, les hongwois pouvaient d'ores et déjà partir du principe qu'aucun autre bateau ne leur servirait d'escorte. La chose n'était pas incongrue, compte tenu du fait que la mission pour laquelle ils étaient en partance devait finalement s'avérer plutôt simple : il était rare qu'on donne à des héros tout juste diplômés des responsabilités trop imposantes. Tant qu'on ne pouvait pas estimer précisément leur niveau de fiabilité sur le terrain, on préférait partir du principe qu'ils étaient tout juste bons à compter des moutons, ou à dessiner des tracés sur une carte imprécise...
On leur somma ensuite d'attendre dans le silence et la discipline les étudiants de l'Académie Wong ; en vérité, on ne leur demanda rien de tout cela, mais Jinfa Biyan dut le comprendre comme tel, puisqu'il exigea de la part des étudiants qu'ils restent debout, en plein soleil, stoïques, jusqu'à ce qu'on daigne enfin les faire monter sur le pont du navire qui allait leur servir de dortoir flottant au cours des jours à venir. Ils n'eurent toutefois pas le temps de visiter les cabines ou de prendre place sur le pont supérieur afin de bénéficier d'une imprenable sur les installations portuaires de Singapura ; car, bientôt, une poignée de silhouettes se dessinèrent à quelques dizaines de mètres de là, empruntant la même passerelle qu'eux quelques minutes plus tôt. Les singapuriens étaient enfin en train de pointer le bout de leur nez.





Son identité ne faisait aucun doute. Même les hongwois les moins cultivés en la matière devaient avoir a minima vu passer son visage dans le journal ; et pour cause, il était l'un des acolytes favoris de Moving Fog, le héros de diamant de Singapura. Célèbre pour son cynisme et son efficacité, il était susceptible de déployer une force monstrueuse sur le champ de bataille : il était l'une des principales sources de fiertés de la cité-État, jouissait d'une popularité qui n'avait rien de comparable avec elle, pourtant respectable, d'Hell's Lièrén, et deviendrait sans l'ombre d'un doute l'un des fers de lance de l'armée singapurienne sur le long terme.
Sous le pseudonyme de Darken Wing, ce héros de platine figurait en bonne place pour prétendre, dans un futur plus ou moins proche, à une médaille de diamant.
Avec un sourire assuré, presque carnassier, il menait la file constituée d'une dizaine d'étudiants sans ressentir le moindre doute. Il se porta à la hauteur de ses deux vis-à-vis super-héroïques et leur tendit une main énergique ; il les gratifia tous les deux de ces salutations cordiales, mais se concentra bien davantage sur le profil de Jinfa Biyan lorsqu'il engagea la conversation.



Cette conversation anodine était à l'image des relations tissées entre les différents pays de Moderna. Dans la théorie, les héros devaient souvent travailler de concert dans un même but ; dans la pratique, ils passaient surtout le plus clair de leur temps à essayer de se supporter sans s'écharper. Mais au-delà de leur joute oratoire mielleuse, Jinfa Biyan et Darken Wing n'ignoraient pas qu'ils allaient devoir œuvrer communément au cours des jours à venir ; ils n'auraient jamais osé dépasser ce stade des politesses d'usage, et s'en tinrent d'ailleurs à là tandis que les étudiants singapuriens se rapprochaient enfin, destinant à leurs homologues hongwois des attentions plus ou moins chaleureuses.

Il n'y en avait pas beaucoup de sortir du lot. En fait, la plupart souffraient du même handicap : la présence d'un individu qui, impitoyablement charismatique, les écrasait tous du haut de ses généreux deux mètres.





Ils étaient peut-être deux fois plus nombreux qu'eux, mais aucun diplômé hongwois ne semblait être de nature à impressionner les singapuriens ; et pour cause, le vrai monstre se trouvait dans leurs rangs...

Alors que les « troupes » patientaient plus ou moins sagement à quai, Manwol ayant d’ailleurs beaucoup de doute sur la capacité de Meng à attendre sans faire de vague, l’Ombre d’Imjin profita de sentir les embruns marins. L’eau était plus ou moins son élément. Elle n’était pas en mesure de nager comme un poisson – en tout cas pas à ce moment de sa vie – néanmoins son entrainement intensif lui avait appris à y rester immerger et à s’y déplacer avec un peu plus d’aisance que la moyenne. C’était également son élément pour une autre raison évidente : son pouvoir était la génération d’eau. Certes pour voir manipuler uniquement l’eau que l’on créait pouvait sembler dérisoire une fois immerger, les liquides s’entremêlant, mais au contraire la femme à la chevelure violette prévoyait de développer ses aptitudes un jour afin d’un jour pouvoir faire du milieu aquatique son domaine de chasse. Si elle parvenait à générer suffisamment d’eau pour manipuler d’autres masses d’eaux par effet de courant, même des navires de guerre pourraient se plier à sa volonté. La Naksoo pourrait devenir un véritable atout, ou la némésis, de ceux qui voyageaient en mer. C’était en tout cas un rêve qui habitait l’assassine expérimentait, d’autant plus avec la place que l’eau revêtait dans l’histoire de son culte, tant en symbolique qu’en « réalité » mythologique. Le vaste océan était son ami, pour ainsi dire. Une fois sur le vaisseau, le roulis ne la gêna d’ailleurs pas plus que cela. L’Ombre d’Imjin, dans le cadre de ses missions à l’étranger, avait toujours privilégier le transport maritime aux autres moyens de déplacement en raison justement de son affiliation à l’eau. Si elle n’avait pas pour autant le pied marin, le mal de mer ne l’atteignait plus que assez rarement, quant Manwol se sentait déjà assez mal au préalable. Enfin, toutes ces pensées furent contraintes d’être dissipés lorsqu’un petit groupe différent commença à s’approcher et à les rejoindre sur le bâtiment qui allait faire cap sur Antiqua sans passer par la case Terrafirma.

-Darken Wing, c’est ça ? s’interrogea « Sejeong » lorsqu’elle reconnut enfin celui qui guidait les ressortissants de l’Académie Wong. Je l’imaginais un peu plus grand, lâcha-t-elle à Dandan avec désinvolture. En tout cas, je m’y attendais, ils sont plus triés sur le volet que notre promotion… Mais notre petit groupe n’aura pas à rougir.

Les échanges entre les héros confirmés permettaient de tâter le terrain sur les valeurs et opinions de ces éminents personnages. Manwol ne chercha pas à s’immiscer dans une telle conversation : ce n’était pas ses affaires et son opinion serait balayé par cet acolyte d’un héros plus célèbre encore que lui-même. Elle préféra se tourner vers ses camarades et à moduler sa voix pour ne pas se faire entendre des nouveaux arrivants.

-Pourquoi aurions-nous besoin de confort ? Notre académie nous a habitué à vivre frustement, de manière spartiate, afin que nous soyons efficace sur le terrain. Nous ne sommes pas venu là pour nous prélasser, mais pour partir au combat. Si eux ont besoin de réconfort avant l’effort, c’est qu’on est mieux préparés qu’eux.

Elle ne croyait pas totalement ce qu’elle disait là. Assurément, il y avait de meilleurs éléments dans le groupe qui venait de débarquer que dans les rangs de toute la promotion issu de Hongwu. Ses paroles avaient plutôt pour rôle d’essayer de motiver un peu les troupes hongwoise, histoire de les préparer aux potentielles provocations à venir de la part des singapuriens grâce à un premier élément à leur répliquer. Finalement, ces apprentis de l’Académie Wong s’approchèrent, presque diriger par un colosse de deux mètres et qui à l’image d’un Meng se la péter grave. Le meilleur de leur clic certainement.

-Ah lui il fait la taille que j’imaginais pour Darken Wing, s’amusa-t-elle alors qu’il les toisait. Au moins, si tes copains se perdent ça doit être facile pour eux de te retrouver… Et ils pourront se planquer derrière toi quand ça va dégénérer. Plus on est grand ou gros, plus on est une cible visible.

Pour l'assassine, le contraire était nécessaire. En territoire hostile, il valait mieux pouvoir échapper au regard de ses poursuivants ou des prédateurs.

C'était la première fois qu'elle avait l'occasion de poser les yeux sur un héros issu d'un pays étranger ; et cette occasion n'était pas anodine, dans la mesure où le cador qui faisait face à Hell's Lièrén et surtout à Jinfa Biyan incarnait quelque chose de poignant, de transcendant. Hongwu n'était pas Singapura, Jinfa Biyan avait sans doute raison de le souligner... mais Dandan avait d'ores et déjà la certitude qu'elle ne représenterait jamais l'avenir héroïque de son pays. Elle était bien partie pour incarner l'héroïne oubliable par définition, laquelle, tout en s'accrochant et en persévérant, ne réussissait jamais complètement à tirer son épingle du jeu. Sa survie serait peut-être assurée, au moins pendant un temps, par le partenariat qu'elle avait formé avec Sejeong et les autres... mais elle ne pouvait pas décemment s'attendre à marquer les esprits, encore moins à l'occasion de sa première expédition.



Meixiu esquissa un sourire mutin et opina du chef avec lenteur ; Cai Yan, enthousiaste et rieur, se gonfla le buste en imaginant avec fierté que la prédiction de son camarade avaient toutes les chances du monde de se réaliser. De son côté, il entendait bien jouer de prudence en utilisant les talents de Meng, de Meixiu et de Sejeong à son avantage ; Dandan, quant à elle, pourrait représenter le sacrifice idéal en cas de péril imminent. Elle n'était certes pas complètement une ratée, mais elle ne jouissait pas de leurs formidables dispositions. Si l'un d'entre eux devait y rester pour assurer la survie des autres, il semblait naturel et même légitime qu'il s'agisse d'elle...



Le regard que Saiful déposa sur Naksoo à l'occasion de sa boutade jeta un froid sur l'assemblée ; de part et d'autre, les profils héroïques semblèrent se tendre. Il allait sans dire que le cadre militarisé et très spécifique de cette rencontre contribuait tout un chacun à ménager ses réactions. Les héros eux-mêmes tâchaient de se faire moins virulents dans leurs rétorques... mais les allures de chien enragé de Saiful laissaient à entendre qu'il n'était lui-même pas disposé à garder le silence lorsqu'on lui distribuait une volée de boutades. Aussi répliqua-t-il avec un mépris relativement affiché :



Son culot estomaqua tout à la fois une partie de ses camarades et la quasi-totalité des étudiants hongwois ; les trois héros plantés à quelques pas de là, qui ne semblaient pas encore avoir constaté que la situation menaçait de dégénérer du côté de leurs poussins, demeurèrent aux abonnés absents quand Meng Wen, à son tour, se démarqua de la plèbe. Une foulée prononcée lui permit de se placer au-devant de ses compatriotes ; et, malgré la différence de taille significative qui jouait en sa défaveur, il répondit à Saiful avec au moins autant d'aplomb.



Derrière Naksoo, Dandan se mit à trembler comme une feuille ; la perspective d'être cernés de toute part par des héros et des soldats étrangers ne lui plaisait guère, maintenant que les relations débutaient sur un postulat aussi houleux. Et dire qu'ils allaient devoir compter sur l'assistance singapurienne au cours des jours, voire des semaines à venir... Meixiu, à ses côtés, semblait indéniablement plus détendue. Elle avait toute confiance en Meng, dont elle connaissait la force. Ce singapurien avait au moins pour lui sa carrure impressionnante, certes ; mais il était hautement improbable qu'il soit capable de tenir tête à son amant, lors même qu'il avait bénéficié d'un cadre d'étude nettement plus clément. Seule l'adversité pouvait permettre à un héros d'éveiller son plein potentiel. C'était, après tout, la raison pour laquelle on considérait qu'un héros de bronze n'était finalement rien de plus qu'un mort en sursis...





Wahyu opina du chef, mais n'ajouta rien. Elle et lui savaient d'ores et déjà que les prouesses de Saiful allaient leur être utiles dans un avenir plus ou moins proches ; et ils avaient déjà pu assister à assez de ses coups d'éclats pour savoir que tout le contingent hongwois assemblé n'aurait peut-être pas suffi à lui barrer la route. Leurs invités auraient sans doute été bien inspirés de les imiter, et de vouer à ce gargantuesque diplômé le plus grand des respects : c'était le meilleur moyen de ressortir d'Antiqua en vie...

Comme on pouvait si attendre avec son caractère et son comportement habituel, c’est Meng qui était le plus à même de réagir concernant une potentielle supériorité de ces singapuriens. L’orgueil, l’ « honneur » à défendre. Tout cela était bien excitant de voir comment les relations humains allaient bien pouvoir dégénérer. Cette traversée à venir donnait à Manwol l’envie d’un jour mener une mission d’assassinat sur un navire et, dans cette optique, de semer une telle zizanie que les uns et les autres s’entretueraient. Néanmoins, ici elle avait besoin des gens une fois qu’ils seraient arrivé à Antiqua afin de lancer les opérations. Survivre seule sur ce continent ne serait pas une partie de plaisir, alors elle devait s’enfoncer le plus loin possible avant de trahir son groupe pour partir à la recherche d’un village insulaire à infiltrer. Ainsi, la demoiselle à la chevelure magenta de bougea pas d’un poil face au regard noir de Saiful. La tension montait, mais elle ne sourcillait pas. « Sejeong » ne semblait ni en colère, ni dédaigneuse, simplement neutre, sans émotions apparentes. C’est ainsi qu’elle accueillit sans réaction visible la réponse à ses boutades qui étaient d’ailleurs davantage destinée aux autres ressortissant de l’Académie Wong qu’envers lui-même après tout.

-Je n’ai pas très envie de me mettre de la bave de monstre dessus, navré, répliqua la meurtrière en faisant là référence au fait qu’on se trouverait dans la bouche d’une créature et couvert de cette substance si l’on cherchait à « glisser » entre les dents.

Tandis que certains étaient déboussolés et estomaqués, Meng rejoint la fête, comme attendu. Est-ce que Meixiu viendrait soutenir son amant après… À moins que, sentant une supériorité potentielle des talents de Saiful, elle essayerait de séduire et se mettre dans la poche ce potentiel nouveau numéro 1 des aspirants envoyés en expédition. Ce serait une affaire à vérifier ultérieurement durant la traversée et permettrait de savoir si cette demoiselle avait bien des sentiments pour son petit ami et si la barrière patriotique était prise en compte. Un nouveau Singapurien rejoignit le « joyeux » premier échange. Il était temps de passer à la phase suivante de la discussion… Car il fallait éviter dans la mesure du possible que les hostilités entre les ressortissants des deux nations n’éclatent trop tôt. Ainsi, la « Jang » se mit à rire de bon cœur et s’approcha de Meng et Saiful.

-Eh bien, calmons-nous pour l’instant ! Nous allons vivre ensemble quelques temps alors évitons de nous entretuer à la première occasion. Pour départager qui sont les meilleurs, faire une petite compétition quant aux résultats de nos groupes durant l’expédition serait beaucoup plus pertinent que commencer à s’entretuer, ce qui serait contreproductif pour cette mission, sourit l’assassine qui espérait pouvoir manipuler d’une manière où d’une autre tout ce petit monde. D’ailleurs, nous ignorons tous de vos capacités et vous des nôtres, alors pourquoi pas en profiter pour faire quelques démonstrations ?

La main de Manwol était poser sur le manche de son arme, prête à dégainer au besoin de générer une lame d’eau. Néanmoins, la demoiselle avait noté les réactions d’Abyan et Wahyu face à la situation et retenait leurs visages. Pour avoir réagit en premier, c’était peut-être des « proches » de Saiful en terme d’équipes. Pour autant, la Naksoo avait bien envie d’aller à la rencontre de certains de ces Singapuriens la nuit venu pour faire connaissance et voire s’il n’y avait pas un moyen de conclure des accords… Notamment proposé discrètement à Saiful une sorte de duel avec Meng à un moment où à un autre… Voire de négocier une attaque du groupe de Saiful sur leur propre petit groupe durant l’expédition afin de pouvoir lancer sa trahison à ce moment-là. Cela se prêterait néanmoins mieux à une simple désertion qu’à une tentative d’éliminer les autres, les Singapuriens pouvant alors tenter de l’arrêter s’ils comprenaient, et la possible explosion du pouvoir de Dandan qu’espérait Sejeong ne pourrait pas s’accomplir ou offrir la victoire dans un tel contexte. Il lui fallait créer cette nouvelle carte à mettre dans sa manche, mais la considérer comme une autre manière d’arriver à ses fins, pas comme un ajout à la stratégie initiale.

L'intervention de Sejeong, supposée permettre aux singapuriens et aux hongwois de commencer à tisser un simulacre de camaraderie entre leurs deux bandes, eut au moins un mérite : celui de couper Meng et Saiful dans leurs mâles élans, les empêchant de s'écharper au vu et au su de tous avant même le début officiel de leur périple commun. Les deux héros prometteurs lui jetèrent effectivement un regard en biais ; si le premier, Meng, s'avéra circonspect, comme s'il cherchait à savoir où elle voulait en venir, le second, quant à lui, demeura nettement plus défiant. Jouer carte sur table pouvait-il leur bénéficier ? Peut-être. S'ils savaient ce que valaient leurs compagnons d'infortune, les apprentis héros seraient peut-être plus à même de travailler de concert, de se prêter main forte mutuellement afin de surmonter des dangers en apparence inextricables. Peut-être, oui ; mais cette éventualité en induisait une autre. La possibilité qu'on cherche simplement à se renseigner à leur sujet pour, à terme, avoir une idée plus concrète de leurs compétences. S'ils vendaient la mèche dès à présent, ils auraient peut-être un jour à le regretter. Qui pouvait confirmer avec certitude que jamais les troupes hongwoises et singapuriennes ne s'affronteraient ? Pour l'heure, les relations entre les deux nations étaient au beau fixe, certes... mais la géopolitique de Moderna était si sujette aux changements qu'il aurait été illusoire de parier sur la continuité ininterrompu de ce respect mutuel.
Pour autant, ce ne fut pas le scepticisme ou la paranoïa qui poussèrent Saiful à répondre, le premier, à l'invitation de Naksoo : il n'était pas vraiment homme à se soucier de l'avenir, des relations politiques, des talents de ses éventuels ennemis. Il était simplement un chien fou, un loup solitaire autour duquel tout le monde était amené à graviter, tant il incarnait une forme de transcendance rassurante...



La lueur qui brilla dans le regard de Saiful à l'issue de cette réponse lapidaire était très clairement du mépris ; et cela poussa presque Meng à sortir de ses gonds. Le hongwois s'apprêtait même à sauter à la figure de son interlocuteur lorsqu'enfin un tiers intervint dans la conversation ; il était grand temps que les adultes viennent tempérer les ardeurs de leurs cadets.





Ces quelques phrases, cet enthousiasme débordant, l'étreinte fraternelle qu'il offrit à Meng en lui passant un bras autour des épaules, tout cela sonnait faux, indéniablement. Pour autant, ni les hongwois ni les singapuriens ne pipèrent mot ; et alors que Darken Wing s'approchait des anciens élèves de l'Académie Wong pour les inciter au calme, Hell's Lièrén, de son côté, glissa quelques mots à l'oreille de Meng. Des mots que personne d'autre n'aurait le loisir d'entendre, mais qui, a priori, eurent l'effet de pondérer sa tension.



Il relâcha la pression physique qu'il exerçait sur Meng jusque-là, et prit la direction des entrailles du navire, quelques diplômes hongwois sur les talons. Les autres n'auraient, au final, d'autre choix que celui de lui emboîter le pas ; Darken Wing et les autres singapuriens semblaient demeurer sur le pont encore un petit bout de temps, en compagnie d'un Jinfa Biyan sévère qui s'assura qu'aucun apprenti ne jouerait les retardataires. Les coursives menant aux cabines communes seraient silencieuses et inoccupées ; suffisamment, sans doute, pour permettre aux hongwois de reprendre leurs conversations sans crainte d'être entendus par les mauvaises personnes.

Manwol observa les réactions à sa proposition et fut satisfaites de celle-ci. Le plus important était d’éviter que cela ne dégénère en bagarre des à présents. Certes, sa tentative d’empiler des renseignements sur les capacités des Singapuriens afin de les ajouter à ce qu’elle savait déjà sur les Hongwois n’allait pas forcément marcher, néanmoins les choses tournaient plutôt biens de son point de vue. Comme on pouvait s’y attendre du caractère des deux figures de leurs promotions, le duel d’égo ne s’arrêta au final que pour quelques instants, chaque réponse étant l’occasion de rebondir dans une ascension sans fin, l’absence d’une vérité qui les unifieraient sur un accord commun semblant certains. Il faudrait presque qu’un groupe détesté des deux étudiants se ramènent pour qu’ils aient en commun de critiquer ces nouveaux arrivants. En tout cas, l’intervention de l’instructeur pour couper cours à l’élan de Meng confirma à la Naksoo qu’il était habituel que les ressortissants de pays différents peine à se comprendre et se mettre d’accord. Quand bien une forme de mondialisation et de globalisation c’était enclenché à l’échelle de Moderna, les cultures restaient disjointes et les enjeux patriotiques étaient trop forts pour rassembler véritablement l’humanité en une grande communauté mondialisé. Cela allait parfaitement à l’Ombre d’Imjin tout droit venu d’un passé de traditions qu’elle protégeait. Uniformiser tout pour avoir des visions communes et que les différences culturels soient minimisés ne lui plaisait guère : il valait mieux préserver les particularismes locaux afin de protéger le passé, les coutumes et la pluralité de ce monde, une pluralité offerte par les divinités qui avaient laissé l’humain grandir et se différencier de ses congénères. C’était pourtant l’inverse que Hell’s Lièrén avait déclaré, mais « Sejeong » voyait dans le parallélisme entre ces prétendus « amitiés » cette réalité de rapports sociaux entre les communautés. Cette fausseté, elle n’était pas la seule à la sentir, bien entendu.

-Je n’ai jamais fait de colonie de vacances… Qu’est-ce que c’est ? s’interrogeait la « Jang » en se tournant vers Dandan.

La femme à la chevelure magenta observa le fameux Darken Wing tenter de gérer son propre groupe, mieux valait tard que jamais après tout, puis se décida à suivre Meng et Hell's Lièrén dans les profondeurs du vaisseau, dans la coque de cette arche qui les transporterait vers une terre de mystères et de morts. Alors qu’ils évoluaient dans les couloirs, Manwol s’approcha de Cai Yan pour lui murmurer une idée.

-Tu n’aurais pas repéré une fille ou deux qui t’aurais tapé dans l’œil chez les Singapuriens ? Si tu parviens à en séduire une, elle pourrait nous donner des informations et nous aider en trahissant leur petit groupe.

Un caractère séducteur et une dimension coureur de jupons d’une personnalité pouvait bien se révéler utile lorsque l’on se retrouvait face à des inconnus et que des cibles potentiels se dessinaient. Bien entendu, il pouvait se prendre des vents, notamment pour des questions de différences de pays d’origine, mais il n’y avait rien à perdre à tenter le coup. Toute aide était bonne à prendre et manipuler ces ressortissant de Singapura serait assez satisfaisant après les houleux échanges précédents. Après l’échange avec le séducteur, elle reviendrait vers Meng.

-La grande asperge semble bien sûr de lui. On va lui montrer à Antiqua ce qu’on vaut… Mais faisons attention de ne pas nous faire attaquer dans la nuit. On ne sait pas de quelles bassesses sont capables ces plébéiens.

Sa curiosité avait parlé pour elle : elle n'imaginait pas, jusqu'à présent, que qui que ce soit pourrait ignorer le concept de colonie de vacances au sein du grand pays d'Hongwu. Pourtant, cela semblait effectivement être le cas de Sejeong... Dubitative face à cet état de fait, Dandan demeurerait néanmoins trop timide pour relancer son interlocutrice si celle-ci bottait en touche, ou si elle se dirigeait simplement vers Cai sans prendre la peine de répondre à l'interrogation légitime de son amie. Le séducteur, de son côté, accueillerait son arrivée avec un sourire crispé. Les tensions naissantes entre leur camp et celui de Singapura ne lui convenaient absolument pas. Il aurait aimé que tout ce voyage ne soit rien de plus qu'une formalité, et qu'il permette à leur bande de tisser myriade d'amitiés fiables à exploiter une fois exposés au danger d'Antiqua. Or, il n'en était rien... Les apprentis héros singapuriens leur viendraient peut-être en aide s'ils constataient qu'ils pouvaient le faire tout en garantissant leur propre sécurité, mais il avait peine à croire que Saiful et ses séides se mettraient en danger dans la seule optique de leur sauver la mise. Les hongwois allaient, en quelque sorte, se retrouver livrés à eux-mêmes... Et ce constat était d'autant plus cinglant que c'étaient leurs hôtes qui prenaient en charge toute la partie logistique de leur expédition. En d'autres termes, les protégés de Jinfa Biyan et d'Hell's Lièrén devraient progresser à tâtons...



La séduction pouvait lui permettre de partiellement oblitérer les difficultés avec lesquelles il débutait son premier périple héroïque. Il avait choisi de jouer cartes sur table avec Sejeong, parce qu'il ne voyait, en l'occurrence, aucune raison de lui mentir. A contrario, il préférait demeurer sincère tant que cela pouvait lui permettre de s'attacher sa loyauté... Quant à la singapurienne, il avait effectivement l'ambition de réaliser une approche au cours des jours à venir. Si celle-ci s'avérait fructueuse, il essayerait néanmoins de la tenir secrète, de manière à garder dans son sac un tour précieusement caché. A moins, bien sûr, que la fine équipe à laquelle il appartenait dorénavant ne démontre sa supériorité sur le camp singapurien d'une éclatante manière...





Meixiu se fendit, à ses côtés, d'un sourire pudique. Elle peinait à croire que ce gigantesque étranger puisse représenter une menace digne de ce nom, du point de vue de Meng. Après tout, son cher et tendre était, sans l'ombre d'un doute, l'élément le plus prometteur de leur génération d'aspirants héros... L'Académie Xiaolong ne voyait quasiment jamais des profils aussi talentueux que le sien. Ils avaient beau trier leurs apprentis sur le volet et apporter à leur formation un soin considérable, les singapuriens ne pouvaient pas égaler la force du nombre hongwois en se contentant de faire sortir de leur pathétique académie une simple poignée de héros en herbe un fois tous les quatre mois ; et c'était sans doute pour cela, dans le fond, qu'il avait été choisi d'unir leurs deux contingents dans l'optique de réaliser une mission de routine.
Parce que les singapuriens, à eux seuls, ne représentaient pas une force de frappe convenable.





Il marqua un arrêt subit, contraignant les étudiants les plus proches à l'imiter ; les autres firent encore quelques pas avant de se figer à leur tour, conférant à leur petit contingent une allure de rassemblement dense. Tous eurent alors l'opportunité de constater que le visage de cet inénarrable plaisantin se déformait activement sous l'effet d'une rage incandescente ; ses yeux jetèrent des éclairs, et s'arrêtèrent notamment sur la silhouette de Meng Wen. Les propos incendiaires et fielleux qui suivirent s'avérèrent aussi frontaux qu'efficaces.



La transition entre sa bonhomie habituelle et sa répartie véhémente fut si saisissante que la plupart des étudiants se contentèrent de déglutir en signe de bonne compréhension ; Dandan elle-même se mit à trembler, d'inconfort et de frayeur, tandis que Meng jetait à son vis-à-vis un regard éloquent. Il refusait de courber l'échine, et il allait sans dire qu'il ne reconnaissait pas l'autorité d'Hell's Lièrén comme légitime. Il était même plutôt sain de partir du principe que personne ne pouvait, à ses yeux, représenter une forme d'autorité acceptable, devant laquelle il pourrait envisager de se soumettre...
Si personne ne lui répondait, ce qui semblait bien parti pour arriver, Hell's Lièrén se contenterait alors de reprendre la route en arborant, à nouveau, un sourire insouciant. Tout un chacun aurait néanmoins l'opportunité de deviner que cela n'avait rien d'anodin ; ce sourire n'était rien de plus qu'une façade...

La remarque que lâcha finalement Dandan amusa la meurtrière. Sa camarade de chambre se lâchait de plus en plus, signe qu’elle devenait à l’aise avec son « amie ». C’était bon signe pour le futur.

-Ahah ! En effet, je viens d’un trou paumée comme on dit. Je n’ai jamais eu de « vacances », même si je sais ce que c’est pour le coup, puisque l’on me faisait l’école à la maison et que je n’avais pas vraiment le droit de quitter le territoire de la demeure familiale… Mise à part si j’étais accompagnées par d’autres membres de ma famille. L’Académie était pour moi une découverte sur différents points, vue que je ne connaissais pas certains aspects du monde « extérieure ».

Son regard se dirigea vers sa camarade afin d’en échanger un.

-Disons que je n’ai pas eu une enfance et une adolescence normale… Je pense que tout le monde a dû le remarquer à l’Académie déjà. Je suis bizarre, s’amusa-t-elle. Mais j’aime ça. Je n’ai pas besoin de ressembler à tout le monde, j’aime être moi. Et moi je déteste la technologie moderne, ronchonna-t-elle. Un bon vieux navire à voile ça aurait aussi fait l’affaire… conclut-elle en louchant sur l’environnement.

C’est à ce moment que « Sejeong » s’en alla voir le séducteur qui appréhendait beaucoup la situation vu son air préoccupé.

-Eh bien… Autant tenter ta chance… D’autant plus que je suis sûre que tu y verras une belle porte de sortie si jamais notre petit groupe rencontrait des problèmes. Avoir une solution de secours sous la main te sera toujours utile, que ce soit pour terminer l’expédition ou pour rentrer.

La « Jang » incitait clairement Cai Yan à se préparer à une optique où leur association échouerais en établissant une alliance personnelle avec quelqu’un d’autres… Quelque chose que certaines personnes prendraient pour une trahison, mais qui ne semblait pas poser de problème à cette femme à la chevelure magenta qui, bien consciente des enjeux qu’un tel voyage impliqué pour chacun, savait que tous devaient se sentir en sécurité pour agir au mieux une fois au but. Un peu comme de l’escalade : être assuré par une corde tenu était mieux pour être efficace que forcer ceux qui avaient peur de la chute à le faire sans. Si Cai Yan se sentait mieux avec comme corde cette opportunité de s’en sortir vivant en cas de problème, c’était mieux pour l’efficacité du groupe entier. D’autant plus qu’il serait hypocrite d’empêcher les autres de préparer des plans vicieux en sous-main alors même que Manwol prévoyait l’assassina de plusieurs de ses confrères et à retourner le cerveau de Dandan au passage. Entre manipulateurs, il fallait se respecter, c’était l’opinion de la Naksoo sur le sujet.

La réponse de Meng était l’écho de ce qu’il avait déjà raconté et la meurtrière savait qu’en continuant sur cette voix elle pourrait encore continuer de faire accroître sa rage. Néanmoins, cette ire ne devait pas exploser dans l’immédiat, être suffisamment haute pour survivre à la traversée afin de se révéler une fois sur le terrain. « Sejeong » jugeait l’avoir suffisamment alimenté pour aujourd’hui… Et la menace du héros professionnel qui suivit ne faisait qu’aider Manwol dans son idée actuelle. Là où certains trembleraient peut-être de peur face à la menace qu’adressait Hell's Lièrén comme Dandan et que d’autres défieraient simplement l’autorité comme Meng, la Naksoo quant à elle souriait étrangement. Cela ne semblait pas être de la satisfaction ou un sourire nerveux, c’était quelque chose de plus éthéré. Comme si elle approuvait non seulement les paroles mais le comportement du héros qui avait fait une transition assez brutale avec son caractère d’origine. C’était un petit jeu, un petit jeu dans lequel elle avait bien envie de rentrer en prenant complétement le parti de la bonhomie précédente. Ce genre de façade, l’assassine les connaissaient, tant et si bien que parfois il lui était devenu compliquer de différencier ce qu’elle ressentait réellement des sentiments qu’elle affichait.

-À vos ordres chef ! lança, le sourire aux lèvres, la demoiselle à la chevelure magenta tout en passant son bras sur les épaules de Dandan et lever le pouce dans un signe positif. Personne n’a envie de voir son crâne dégouliner d’urine !

Après cela, si la marche reprenait, la tueuse s’occuperait de calmer les potentielles craintes de la Xie en lui disant qu’il n’y avait pas de raison pour que ça dégénère et que tant qu’elles ne faisaient rien, elles n’auraient pas à être visés par qui que soit. « Sejeong » proposa ainsi à son ancienne camarade de chambre de passer la traversée ensemble, tout comme elles avaient vécues ensemble les derniers jours avant la remise de diplôme.

-On veilleras l’une sur l’autre. J’ai confiance en toi tu sais ?

Aussi brutalement qu'il était passé de cette joie insouciante à ces menaces froides et sanglantes, il s'en était retourné à son masque coutumier, léger et spontané. Il reprit sa marche sans se soucier davantage des états d'âmes des anciens étudiants de l'Académie Xiaolong ; il partait du principe que le message était passé, en dépit des réactions différentes affichées par ses protégés. La frayeur de Dandan, la diplomatie affichée de Sejeong et l'ire tue de Meng étaient toutes les trois des émotions encombrantes dont il faisait fi ; parce qu'il avait la certitude que maintenant que les choses étaient claires, aucun des trois ne lui désobéirait frontalement. Surtout pas la fébrile demoiselle, bien sûr, qui eut bien besoin des encouragements emplis de sororité de cette chère Sejeong ; elle posa sur elle ses yeux larmoyants et, avec un sourire rasséréné, opina du chef généreusement, comme une gamine qu'on aurait appris à brosser dans le sens du poil. Son fonctionnement était, après tout, relativement binaire ; et puisque Naksoo avait appris à la manipuler, elle disposait désormais complètement d'elle...



Un dortoir collectif. Bien sûr ; la place venait rapidement à manquer, même sur des navires de cette envergure. Le nombre de marins et de soldats nécessaire à la bonne tenue de cette expédition était ahurissant... les vivres, eux aussi, prenaient une place considérable au sein des soutes de ce paquebot militarisé. En somme, le peu de place qu'on pouvait laisser à disposition des visiteurs tenait entre ces quatre murs... Ceci étant dit, on assurait plus que le strict nécessaire de leur confort vital ; les couchettes, individuelles, étaient toutes séparées grâce à une commode au sein de laquelle il leur serait possible de ranger les quelques effets personnels qu'ils avaient emmenés avec eux. Une grosse malle pouvait également remplir cette objectif, au pied des lits... Une fois allongés, ils n'auraient pas le loisir d'épier leurs voisins directs ; en somme, on avait tenu à leur préserver un semblant d'intimité.



Son rire cristallin ne parvint pas à détendre le parterre de jeunes diplômés qui, dorénavant, savait bien que cette bonhomie débordante n'était guère plus qu'une façade mièvre et manipulatrice. Mieux valait prendre cette menace humoristique au sérieux, donc : les douches seraient prises avec le plus grand des sérieux par l'ensemble des voyageurs à bord du navire singapurien...
Tout ce beau monde aurait à sa disposition une bonne douzaine de minutes pour commencer à s'installer ; une fois cela fait, un matelot ne manquerait pas de s'inviter dans le dortoir pour leur faire savoir que le départ était imminent. Comme pour corroborer ses dires, les machineries gigantesques de ce paquebot surarmé se mettraient alors en branle ; le boucan de leur démarrage s'atténuerait petit à petit, à mesure que le navire trouverait son rythme de croisière, mais il demeurerait là, en toile de fond, ne quittant jamais vraiment le dortoir hongwois. Le mal de mer, nuancé par la taille formidable de ce navire de guerre, pourrait également s'inviter au creux de quelques estomacs ; Dandan, notamment, n'avait pas l'air de disposer d'un pied marin très valeureux, et aurait besoin de plusieurs heures avant de retrouver un tant soit peu de contenance. Heureusement, la mer serait plate, au cours des premiers temps de navigation...

La réaction de Dandan satisfaisait la Naksoo qui resserra son emprise sur sa camarade. Mine de rien, c’était agréable d’avoir cette subalterne. Elle était plutôt ouverte à la manipulation, mais passé des moments avec quelqu’un comme cela était nouveau pour la meurtrière qui avait grandit dans une ambiance pesant et dans un contexte d’entrainement physique constant. Lié des amitiés n’était pas vraiment au programme et pour ainsi dire l’assassine découvrait les relations amicales au travers de celle avec son ancienne camarade de chambre… Quand bien même elle n’était pas vraiment sincère de son côté, c’était une expérience intéressant.

-Le grand luxe ! s’amusa « Sejeong ».

D’ailleurs, ce qui était intéressant c’est que Manwol pensait trouver des dortoirs collectifs lorsqu’elle avait rejoint l’Académie dont elle ressortait diplômé. Cela n’était donc pas dérangeant outre-mesure pour la demoiselle étant donné qu’elle c’était même préparé à vivre une année entière dans un tel contexte au préalable, donc le temps d’une traversée ce n’était pas la mer à boire. Installant ses quelques effets personnels assez sommaires, principalement des vêtements et quelques bocaux remplis de mixtures et plantes récoltés chez elle avec les Ombres d’Imjin. Il y avait également un pot de thé. Concernant l’épée avec laquelle elle se battait, la « Jang » dormirait avec, tout simplement. Une dague serait placé sous son oreiller, au cas où. Ecoutant les instructions concernant la salle d’eau, la demoiselle à la chevelure magenta hocha la tête et se tourna vers Dandan.

-Allons-y en même temps lorsque nous avons besoin, cela éviteras les mauvaises surprises, proposa la meurtrière.

Quel meilleur moment pour s’en prendre à quelqu’un que le moment où il se lave tranquillement ou se déplace désarmé. La Naksoo se demandait si elle devait proposait à Meixiu de venir en groupe avec elles, entre fille, mais cela mettrait mal à l’aise Dandan et le refus serait sûrement essuyés. Quant aux garçons, qu’ils y aillent entre eux. Est-ce les deux héros étaient du genre à vouloir séparer garçons et filles pour éviter des relations intimes indésirables ? Peut-être que Meng et Meixiu iraient ensemble pour profiter d’un peu d’espace pour leur couple… Manwol chercherait à prospecter quelques autres filles pour savoir si elles voulaient y aller en un gros groupe de sept ou huit personnes, mais avec les relations compliqués qu’elle avait avec le reste de la promotion ce n’était pas certain qu’on lui dise oui. Peu important tant que Dandan demeurait là. Puis finalement, un marin annonça le départ qui se manifesta par les machines générant un vacarme facilement audible. La demoiselle à la chevelure magenta eu un rictus de grimace, la technologie était si invasive. Des voiles ne feraient pas un tel raffut. Le vaisseau se mit à tanguer au rythme des quelques vagues qui défiaient la platitude de l’océan par une forme d’insurrection.

-Tu n’as pas eu le temps d’acheter des médicaments contre le mal des transports lorsque l’ont été à terre… Je peux tenter de faire une petite mixture qui pourrait t’aider à te sentir mieux, proposa l’Ombre d’Imjin à son ancienne camarade de chambre.

Ecrasant quelques herbes et les mêlant à un thé, Manwol reproduisait une « recette » que lui avait montré sa mère à l’époque. À voir si cela serait véritablement efficace ou si ce que certains pourraient dédaigner, l’herboristerie étant prise parfois pour de l’homéopathie qui était remise en doute par certaines personnes, serait accepté d’être ingurgité par des personnes subissant violemment les effets du mal de mer. Concernant ses occupations, une fois installée la Naksoo s'entraînerait à jouer avec de l'eau qu'elle générait et irait sur le pont du navire, avec qui voudrait, afin d'observer la mer.

Sa proposition de se rendre aux douches ensemble fut reçue par Dandan avec un sourire franc. La jeune hongwoise avait effectivement peur de tomber sur un os, même si son humilité naturelle la poussait à considérer qu'aucun singapurien ne la considérait comme une adversaire valeureuse et digne d'intérêt. Elle partait plutôt du principe qu'elle était oubliable, et qu'on lui décernerait tout juste un regard si on avait à croiser sa route... Un principe qui confinait sans doute au bon sens ; et les premières heures s'écoulèrent en ce sens, dans la mesure où aucun singapurien qui serait amené à croiser leur route, apprenti héros comme soldat en uniforme, ne prendrait la peine de briser la glace. Ils avaient à faire route communément, certes, mais il allait sans dire que leur présence à bord de ce navire était tout juste tolérée, et ce sans doute parce qu'elle avait été ordonnée par quelques lointaines autorités. Les quelques mixtures que Sejeong serait en mesure de créer pour son compte permettraient enfin à la Xie de retrouver un tant soit peu de sérénité stomachale ; ceci étant dit, elle devinait sans peine que sa première heure serait tumultueuse. Elle n'était d'ailleurs pas la seule diplômée dans ce cas ; d'autres hongwois passèrent une petite poignée d'heures à écumer les coursives du navire armés de leur seau, afin d'avoir toujours un récipient à portée de main en cas d'imprévu nauséeux.



L'opportunité était trop belle de déserter ce dortoir moribond au sein duquel il n'aurait pas la moindre intimité au cours des jours à venir. Il en désespérait par avance. Certes, il s'était fait une raison avant même de quitter l'Académie Xiaolong : cette expédition qu'on lui promettait de longue date allait s'avérer épineuse et périlleuse à plus d'un titre. Mais il avait jusqu'à présent cultivé l'espoir insensé qu'il parviendrait, comme à chaque fois, à mettre sa ruse au défi et à dénicher une opportunité de flâner çà et là à la recherche d'une jolie fleur à butiner... Or, il semblait évident qu'il ne butinerait rien ni personne s'il ne disposait pas de sa propre chambre : cruelle condition que celle d'un invité tout juste toléré à bord d'un navire peuplé d'étrangers surarmés. D'autant qu'Hell's Lièrén s'était fait particulièrement limpide : il ne tolérerait aucun écart comportement qui serait de nature à jeter le trouble sur leurs intentions et à causer des tumultes géopolitiques entre leurs deux nations... En d'autres termes ? Mieux valait laisser les scandales au placard, et se contenter, au moins pour l'heure, des embruns marins pour seule compagnie.

Une poignée de secondes suffiraient aux trois hongwois pour retrouver la lumière du plein jour ; celui-ci se faisait déjà déclinant, toutefois, et la plupart des occupants du navire semblaient avoir pris le parti de s'en retourner à leurs occupations diverses. Ce qui laissait aux trois diplômés une place généreuse, ainsi que la possibilité de profiter d'un soleil coucher absolument ravissant... Ce ne serait, par ailleurs, pas le seul spectacle sur lequel ils pourraient poser leurs regards.





D'une ruade, la jeune femme parvint à désaxer son vis-à-vis ; puis un croc-en-jambe menaça de le faire chuter lourdement. Il parvint à se rattraper in extremis en réalisant une roulade si fluide qu'elle sembla tenir du miracle ; il roula encore une fois en constatant qu'elle était sur ses râbles, et elle pesta en le voyant s'échapper avant de revenir à la charge. Les deux coups qui suivirent furent parés proprement, quoi qu'hâtivement ; le troisième fut esquivé, à nouveau d'un cheveu, et il essaya de riposter en saisissant le poignet de la demoiselle. Ce fut un échec retentissant ; il y parvint bien, mais dans un premier temps seulement, puisqu'elle lui enfonça le genou droit dans l'abdomen. Il s'effondra dans une quinte de toux misérable, son honneur relativement préservé par le masque chirurgical qui masquait la moitié basse de son visage. L'anonymat avait parfois du bon.



Ses sermons étaient intransigeants, particulièrement virulents ; pourtant, il aurait été absurde de soutenir que son interlocuteur présentait des facultés décevantes. Le héros au masque était effectivement assez mobile, réactif, adroit et attentif : elle était simplement rapide, bien trop pour lui. Sur le plan du pugilat pur, Dandan comme Cai étaient largement en mesure de constater qu'elle pouvait les écraser sans peine ; et le hongwois séducteur dut vivre cela comme un camouflet, puisqu'il ne tenta aucune approche, en dépit de sa jolie frimousse et de sa silhouette lascive, agréablement soulignée par des vêtements pratiques, près du corps.



Elle n'obtint aucune réponse.

-Ravie de pouvoir compter sur un galant jeune homme comme vous pour faire preuve d’amabilité, répondit « Sejeong » à son camarade, se moquant implicitement de lui mais n’ayant malgré tout pas osé usé du terme « gentilhommerie » pour que cela ne soit pas trop évident.

La lumière du jour finit par embrasser le trio de Hongwois tout comme l’air iodé porté par les vents marins. Arrivant sur le pont supérieur, la demoiselle à la chevelure magenta profita ainsi de la vue sur l’immensité aquatique, cet élément fluide porteur de vie qui était le cœur de son pouvoir et qui l’attirait immuablement. Jamais son œuvre n’égalerait la présence naturelle, l’océan dans sa forme la plus brute, mais observer la mer l’apaisait et la plongeait dans d’intenses introspections quant à la son pouvoir obtenu à l’éveil du monde ancien ayant surgit par-delà les limites du monde moderne. L’envie d’atteindre et découvrir Antiqua se faisait de plus en plus pressante. Néanmoins, des bruits s’élevaient et intriguaient la jeune demoiselle qui chercha l’origine de ces sons. C’est alors qu’elle pu observer qu’un combat avait lieu en ce moment même. Un entrainement avait lieu, des martialistes déployant leur savoir faire pour s’améliorer. La meurtrière était davantage une experte du maniement de l’épée, comme l’indiquait le jikdo noir qu’elle gardait à la main. Ainsi, ce serait certainement davantage Xiaodan, le membre de la famille Yu qu’elle avait affronté durant une nuit peu avant le diplôme, qui aurait pu fournir des éléments de commentaires plus détaillés.

-Cela me rappelle mon mentor, révéla la meurtrière.

Une sévérité à toute épreuve même lorsqu’une victoire était arraché. Oui c’était bien le genre de comportement de son oncle quand elle avait été formé à devenir une Ombre d’Imjin. Rien n’était jamais assez bien et une réussite était considéré comme une banalité, une normalité ne méritant pas d’être relevé. Or l’individu qui était ici en plein entrainement dévoilait lui aussi des capacités satisfaisantes ne méritant pas en soit réprimande, néanmoins le pousser ainsi dans ses retranchements visait assurément à le conduire à dépasser ses limites, dévoiler un potentiel pas encore atteint. Si dans le feu de la guerre, l’envie de protéger les siens pouvait servir de moteur pour dépasser ses limites, dans le cadre d’un entrainement sans enjeux réelle, la crainte de ne pas réussir et de décevoir une figure intransigeante pouvait remplacer ce moteur de l’évolution martial. En tout cas, un entrainement intensif à ce stade du voyage était dangereux car en cas de blessures, il ne serait pas remis pour le lancement de l’epxédition. La remarque de Dandan envers Cai Yan faillit déclencher un rire chez « Sejeong » qui vint se pincer les lèvres pour se retenir, afin d’éviter que le jeune homme ne le prenne mal. Toussant pour reprendre sa contenance, la Naksoo répondit à sa place.

-Quelque chose lui a coupé l’appétit peut-être.

Dégainant son épée traditionnelle, Manwol se mit à générer de l’eau sur son arme avant de projeter une lame liquide droit dans l’océan, observant les ricochets que certains morceaux de son attaque faisaient sur la surface saline.

-Je pourrais m’entraîner à faire des ricochets comme cela, réfléchissait-elle. Cela dépend de la maîtrise du dosage entre la vitesse de propulsion, la force placé dans le coup et l’eau généré.

« Sejeong » se tourna vers Dadan

-Et, comme mes cibles d’eau, tu peux aussi t’entraîner à viser l’eau de la mer sans craindre blesser qui que ce soit. En tout cas, cela nous permettra d’avancer pour créer une technique avec nos pouvoirs afin de créer des nuages de vapeur brûlante qui empêcherait des monstres de passer.

Son regard se reporta ensuite sur le jeune homme et son instructrice, au sens littéral du terme et non forcément en terme hiérarchique car en dépit de ses grandes capacités elle pouvait ne pas être une héroïne professionnelle membre du personnel académique. Si Meng et Meixiu étaient trop orgueilleux pour croire que Saiful pouvait les concurrencer, en dépit de ses paroles un peu plus tôt, l’assassine avait conscience que la promotion singapurienne pouvait disposer de meilleurs éléments qu’eux. Cela lui venait de son expérience passé : ne jamais sous-estimer une cible. Tout comme des personnes ne semblant pas savoir se battre pouvait révéler des talents cachés, il ne fallait pas présumés avant d’avoir vu les gens en action.

-Excusez-moi ! Quel art martial pratiquez-vous ? tenta Manwol comme approche pour gagner des informations tout en jouant de son jikdo avec sa main.

La virulence des coups qu'échangeaient ces deux singapuriens laissaient à penser qu'ils étaient coutumiers du fait. Cela avait tendance à la décontenancer, étant donné qu'on avait répété à l'envi que la formation hongwoise était la plus exigeante, physiquement parlant. Certes, elle aussi en avait bavé, pour devenir l'héroïne en herbe qu'elle était aujourd'hui... mais elle avait rarement eu à éprouver ses muscles d'une si sèche manière. Elle songea que ces deux diplômés voulaient peut-être parfaire leurs compétences avant de poser le pied en Antiqua ; cela aurait pu expliquer bien des choses, notamment l'absence d'un autre individu susceptible de les encadrer un petit peu.
Cai Yan ne répondit pas aux boutades de ses deux amies ; il avait bien compris qu'elles se moquaient gentiment de lui, mais il avait peine à décrocher son regard de la silhouette féminine de la pugiliste en mouvements, non loin. Elle était exquise, ravissante, sublime ; bon nombre d'autres adjectifs auraient pu lui convenir, sans l'ombre d'un doute. Mais elle était féroce, belliqueuse, impétueuse... Il n'aimait pas l'idée que ses partenaires puissent lui être supérieures ; raison pour laquelle il n'avait jamais songé à approcher Meixiu avec des intentions déplacées. Bien sûr, dans ce cas spécifique, l'ombre menaçante de Meng formait également une dissuasion plus que concrète ; mais, dans l'absolu, il ne voulait pas que ses amantes puissent le percevoir comme un être leur étant inférieur. Question de principes.
Il était donc tiraillé entre ses principes -rétrogrades et absurdes, lui-même en avait bien conscience- et son sens du devoir. Après tout, il avait conscience qu'une telle combattante leur serait plus qu'utile, s'ils avaient à affronter une situation tendue. En outre, elle pourrait jouer les médiatrices et permettre à leur groupe de bénéficier d'une image positive auprès des autres héros insulaires... Un cercle vertueux dont Cai Yan avait du mal à penser qu'il ne pourrait en aucun cas leur être salvateur. Et puisqu'elle était l'une des rares femmes du cortège singapurien, si l'on exceptait celle qui s'était flanquée aux côtés de Saiful et qui semblait, elle aussi, largement en mesure de lui broyer la tête d'un tournemain, il y avait fort à parier que son choix était finalement bien plus restreint que de raison.

En outre, c'était elle qu'il avait entraperçu lors des premiers échanges entre les deux contingents héroïques ; cela lui ressemblait-il, de faire volte-face à la première difficulté constatée ?



L'échange avec Saiful, sec et ombrageux, était encore trop frais dans son esprit. Elle espérait que les informations qu'elle et Sejeong pourraient donner à leur corps défendant ne seraient pas réutilisées contre elles, tôt ou tard. Malheureusement, si elles choisissaient l'une comme l'autre de ne rien montrer de leurs talents, il allait sans dire que leurs progrès le temps du voyage seraient nuls ; en somme, il s'agissait peut-être d'un mal nécessaire...



En constatant qu'on la hélait, la jeune femme fit volte-face et balada son regard sur les trois hongwois qui se tenaient à quelques mètres d'elle et de son partenaire de jeu. Lui-même en profita pour se redresser et passer une main dans sa chevelure jais ; son regard sombre surmonté de deux sourcils minces et perlant de sueur croisa notamment celui de Dandan, laquelle tressaillit et, mal à l'aise, entreprit d'entortiller ses doigts les uns dans les autres. Sous son masque, ce singapurien avait l'air d'être un bel éphèbe ; elle n'avait pas l'habitude d'attirer les regards de tels individus...



Balbutiant, trempé de sueur, les joues enflammées, Cai Yan perdit tous ses moyens dès lors que son regard assuré croisa celui, fiévreux, de son interlocutrice. Ses lèvres fines, son souffle encore court, sa poitrine qui se soulevait au rythme de ses inspirations... La diplômée, les yeux plissés, sembla se demander si cet étranger peinait à faire connaissance naturellement ; son partenaire, à ses côtés, soupira en comprenant d'où provenait ce soudain mal-être. La prestance de la jeune singapurienne ne faisait aucun doute... et Cai Yan, avec effroi, comprit à son tour ce qui était en train de se jouer.
Il était en train de tomber amoureux.

-Peu de monde voudrait de lui-même avoir un entraineur pareil, la rassura Manwol tout en se disant qu’elle faisait des rares personnes à apprécier cela.

Etait-elle masochiste ? Du point de vue de certains, cette pensée pourrait être prise pour une telle réalité. Mais la Naksoo savait précisément ce qu’elle était : un instrument de la volonté d’Imjin qui devait rapporté la vérité d’Antiqua sur Moderna. En tout cas, le duel qui avait lieu rappelait à « Sejeong » la confrontation qu’elle avait mené au cœur de la nuit avec Xiaodan. Mais l’absence total de réaction du jeune homme à leur côté devenait réellement préoccupant. D’habitude il aurait moins réagit avec une petite phrase non ? Elles n’étaient pas dans sa tête et ne comprenaient pas à quel point le jeune homme était troublé. Etait-ce de l’amour ? Manwol aurait bien été incapable de le dire, elle n’avait pas vécu une expérience lui permettant de dire qu’elle s’y connaissait en sentiment amoureux. Elle avait bien dû essayer de séduire des hommes dans le cadre de certaines missions, mais aucune Ombre d’Imjin n’était autorisé à entretenir une relation intime avec une autre, afin d’éviter les conflits d’intérêt s’il y avait besoin d’abandonner ou sacrifier quelqu’un pour le bien de la réussite d’une opération importante.

-Cai Yan ? tenta une dernière fois la demoiselle à la chevelure magenta.

Il ne semblait pas réagir davantage et par conséquent la meurtrière s’en retourna à la conversation sur les techniques à mettre au point avec son amie la plus proche, si tant est qu’on pouvait appelé cela une amitié. La question était pertinente, mais il y avait plusieurs éléments à prendre en compte.

-Certes nous devrions gardés au mieux nos capacités cachés, néanmoins, si nous voulons être au point et maximiser nos chances de réussites il faut profiter des dernières occasions de nous entraîner. De plus, en s’affrontant entre eux devant nous, ils nous montrent eux même leurs aptitudes physiques… Et au contraire cela peut-être l’occasion de les mener en bateau en faisant croire que nous maîtrisons un pouvoir différent. Si je me concentre à générer de l’eau à chacune de tes techniques, ont pourrait leur faire croire que ton pouvoir est la vapeur elle-même. Et moi, je peux laisse croire que je ne peut créer de l’eau qu’à partir de mon épée, ce qui est totalement faux.

Avec une petite combine du genre, des informations faussées pourraient allés chez leurs « rivaux » avec qui ils étaient pourtant sensé collaborés. En tout cas, quelque chose se passa quand la « Jang » tenta d’aborder la demoiselle qui s’entraînait là avec un autre Singapurien.

-Oh je vois je vois. Intéressant. Des Arts Martiaux Mixtes en sommes.

Si le terme était parfois connotés, le sens littéral de la terminologie signifiait au fond belle et bien un mélange de techniques provenant d’arts martiaux variés. De plus, le fait de considéré le jeet kune do hongwois uniquement par le biais technique alors que son essence était philosophique. Il n’était pas pour autant un neijia quan, un art martial interne puisqu’il avait également des aspects d’art martial externe, se situant donc dans une frontière penchant plus de l’un côté que de l’autre en fonction de qui l’employait et de quels aspects intéressaient le plus le pratiquant. Mais de ce que l’Ombre d’Imjin savait des traditions hongwoise, le jeet kune do avait été créer pour intégrer des mouvements d’arts martiaux d’autres pays à l’un des styles hongwois mais en le conceptualisant comme un ensemble englobant une diversité de stratégie de combat dans le but dans faire un aboutissement théorique. En tout cas, il était certains que, par ses influences étrangères, le jeet kune do était logiquement l’un des arts martiaux hongwois se mêlant le mieux à ceux d’autres nations. C’est tout du moins la conclusion qu’en tira la demoiselle à la chevelure magenta en confrontant ses connaissances issue de sa famille à ce que lui disait son interlocutrice. Mais le flux de ses pensées fut interrompu par les bafouilles de Cai Yan. Qu’est ce qui arrivait à ce grand coureur de jupons. Comment se faisait-il qu’il perdait toute sa contenance ? « Sejeong » haussa un sourcil, peinant à comprendre les sentiments de ce jeune mais commençant malgré tout à considérer l’hypothèse qu’un telle trouble ne pouvait avoir que des origines profondes. Il ne voyait pas cette femme comme toutes. Elle était différente à ses yeux et il en perdait ses moyens. Etait-il amoureux ? La Naksoo ne saurait le dire mais elle vint lui donner un coup de coude.

-Elle m’a l’air plus porter vers le combat que vers le flore si tu veux mon avis, chuchota-t-elle. Si tu veux essayer quelque chose c’est le moment. Ce sera difficile de se retrouver à nouveau en si petit comité. Je peux essayer de m’occuper du garçon à ses côtés pendant ce temps si tu veux.

Elle attendrait sa réponse puis se dirigerait par conséquent vers le jeune homme masqué en faisant signe à Dandan de la suivre, s’intéressant à l’échange de regard précédent.

-Dis-moi, est-ce que l’on pourrait te parler ? J’aimerais bien revoir les mouvements que tu as fait là, contre elle. La posture m’a rappelé quelque chose, un mouvement que pratiquait un ancien professeur de kung-fu.

C’était de l’impro total, mais il était vrai qu’un mouvement ressemblait à un exercice de Xiaodan.

Comme toujours, si sa nature précautionneuse la poussait à avoir quelques réticences lorsqu'on lui proposait quelque chose de neuf, Dandan cédait facilement face aux arguments pertinents que déployait son interlocutrice ; son esprit critique semblait de plus en plus anesthésié, à mesure que la confiance qu'elle plaçait en Sejeong continuait à se développer. A ses côtés, Cai Yan était bien trop décontenancé pour pouvoir souligner la facilité avec laquelle elle cédait aux propositions de sa vis-à-vis ; et puis, même s'il avait été complètement attentif, il n'en aurait probablement pas eu grand-chose à faire. Il savait bien que Dandan n'était pas au nombre des individus importants de leur petit groupe ; il aimait à croire qu'au sein de la hiérarchie de leur bande, elle était même tout au bas de l'échelle. Elle servait, après tout, aussi bien de servante à Meixiu que de faire valoir à Sejeong...



Cette singapurienne lui semblait pourtant inaccessible. Étaient-ce les différences qu'elle incarnait qui le poussait à faire montre d'une telle retenue, voire d'un tel défaitisme ? Peut-être. Force était d'admettre, en tout cas, qu'il ne s'était jamais senti aussi démuni face à une demoiselle. Il en avait pourtant connu des plus belles, des plus douces, des plus délicates, de plus raffinées... Alors pourquoi ne pouvait-il détacher son regard de ses joues rosies, de ses yeux céruléens ?



Elle se fendit d'un simple hochement de la tête lorsque Sejeong évoqua les arts martiaux mixtes ; c'en était, effectivement, et c'était bien la seule discipline qui pouvait permettre à ceux qui la pratiquaient de répondre à toutes les situations qu'ils étaient susceptibles de rencontrer une fois désarmés. Elle et son acolyte, bien sûr, disposaient de pouvoirs qu'ils pouvaient déployer en toutes circonstances, mais elle avait rapidement considéré que leurs facultés ne pourraient pas toujours incarner une réponse idéale. A contrario, l'usage de leurs muscles, c'était bien la dernière chose qu'on pourrait essayer de leur ôter... Apprendre à réagir en fonction de leurs assaillants et savoir comment les terrasser sans trop se mouiller, c'était tout ce pourquoi elle et lui apprenaient à combattre côte-à-côte. Ce pourquoi elle le formait, même ; dans la mesure où elle était, sur ce plan, nettement plus performante que lui...



Il avait l'air plutôt humble, ce singapurien planqué derrière son masque ; mais son ineffable beauté suffisait à impressionner Dandan, au moins autant que son caractère étranger. La demoiselle avait bien sûr suivi Sejeong à la trace lorsque celle-ci l'y avait convié, mais elle n'osait pas prendre part à la discussion qui s'amorçait, de peur, sans doute, de commettre une maladresse qui serait suffisante pour tendre l'atmosphère et pousser les singapuriens à leur fausser compagnie. L'intervention implacable d'Hell's Lièrén, par ailleurs, ne lui permettait pas non plus de recouvrer une sérénité à toute épreuve... puisqu'elle était sans doute la vingt-deuxième roue du carrosse hongwois, elle imaginait sans peine que leurs supérieurs l'auraient jetée en pâture sans hésiter si cela pouvait leur permettre de jeter les bases de bonnes relations entre les deux cortèges héroïques. Mieux valait donc ne frustrer personne, pour ne pas prendre le risque d'être sèchement recadrée...



Il retrouvait un tant soit peu de son inénarrable bagout ; mais cela demeurait pauvre, assurément pauvre, comme si la majeure partie de son cerveau demeurait court-circuitée par la seule proximité de cette prénommée Sasha. Et c'était sans doute le cas ; en plus de cette vision enchanteresse, il devait maintenant supporter son odeur, car il exhalait d'elle un parfum aussi âcre que printanière, comme si sa sueur cherchait à se frayer un chemin au travers de son parfum boisé. Des senteurs contradictoires mais synchrones, cherchant à prendre le pas l'une sur l'autre dans une ensorcelante symphonie olfactive...



Il s'apprêtait à rebondir lorsqu'il prit conscience des vertigineuses perspectives que cela induisait. Ce type au masque, un combattant à distance ? Lors même qu'il semblait plus rapide et aguerri que la moitié des membres de leur génération hongwoise ? Décontenancé, Cai Yan jeta un regard à Sejeong, trahissant sans doute sa surprise ; pour la première fois, Sasha fit preuve d'esprit d'initiative et se rapprocha de lui d'un pas.



Il ouvrit la bouche, cherchant à émettre une objection qui ne le ferait pas passer pour un couard ; puis, constatant qu'il n'en avait pas sous la main, il admit péniblement que sa mission le contraignait à accepter. Comment pourrait-il réussir à la séduire s'il n'acceptait pas une telle proposition ? S'il se défilait, même en invoquant tous les arguments les plus pertinents du monde ? En outre, Sejeong le lui avait soufflé, et il l'avait bien compris de lui-même : elle était une combattante. Il était évident qu'elle accordait bien davantage de respect à ceux qui brillaient armes aux poings qu'à ceux qui flambaient par le biais d'envolées lyriques techniques et chirurgicales.
Elle l'avait piégé.

Lorsque le jeune homme s’engouffra dans son manque de techniques pour la retourner vers l’autre combattante, cela fit sourire « Sejeong » qui s’attendait à ce que cet individu finisse par réorienter la Hongwoise vers sa professeure particulière.

-Mais justement, Sasha maîtrise assurément mieux que toi et n’a pas de besoin de le refaire… Alors que toi visiblement, même si tu as une maîtrise technique déjà satisfaisante, tu as encore besoin de pratiquer. Exécuter des katas dans le vide est aussi formateur que de les appliquer en combat. C’est bien plus formateur pour toi de nous montre ces mouvements que de faire appeler à Sasha… Après, si tu refuses de révéler des choses à cause du fait que nous venons de pays différents, je peux comprendre… Mais je ne vois pas pourquoi à leur de la mondialisation on garde autant d’animosité entre les nations, entre les gens de pays différents. Nous sommes tous humains, nous participons tous à la même expédition par-dessus le marché. Pourquoi le fait que nous venions de telle ou telle Académie devrait influer sur nos relations ? Qu’on se fasse une petite compétition pour savoir qui sont les meilleurs car les rivalités sont motivantes, pourquoi pas… Mais pourquoi ne pourrions-nous pas être amis ?

Certains des propos qu’elle venait de tenir lui arrachait la gorge, néanmoins être fausse et mentir était bien plus naturelle pour cette professionnel de l’infiltration et de l’assassinat qu’être s’insère. Se tournant pour observer Cai Yan et Sasha, la demoiselle à la chevelure magenta sentait bien que le coureur de jupon avait plus de mal que d’habitude. Elle l’avait déjà observé de loin manœuvré avec quelques proies, mais ici il était bien moins sûr de lui et cela se sentait quand on le connaissait un peu. La pression ? Des sentiments ? La peur ? En tout cas, la discussion s’engageait bel et bien, elle n’avait pas repoussé le jeune homme. Revenant à celui qui se nommait Neo, car la « Jang » était en mesure d’entendre l’autre conversation et avait donc récupéré cette information, la demoiselle relança la conversation.

-Je m’appelle Sejeong Jang et voici mon amie Dandan Xie, commença-t-elle en tapotant amicalement le dos de sa camarade. J’espère que l’on pourra faire fi des dissensions entre nos promotions… Entre nous, Saiful doit être difficile à vivre non ? En tout cas, de notre côté, Meng, le premier de la promo’, peut-être sacrément exécrable parfois.

Trouver des points communs pour faire naître les affinités, voilà une stratégie qui fonctionnait assez souvent. La demoiselle à la chevelure magenta observa le reste du pont, désert d’autres étudiants.

-Décidément personne d’autre ne semble motivé à venir s’entraîner à l’air du large. On se préparait à un petit entrainement nous aussi. Puisque tu es un combattant à distance qui s’entraîne pour le combat au corps à corps, si tu veux, puisque je suis bretteuse, je pourrais t’entrainer à l’esquive d’attaques tranchantes. Tempérer la situation en esquivant jusqu’à trouver une ouverture pour partir au corps à corps ou t’éloigner afin de te battre à distance est une bonne solution après tout et il doit assurément avoir des monstres à griffes tranchantes sur Antiqua.

Montrer qu’ils pouvaient collaborer de manière utile pour lui… C’est alors que Manwol capta la demande de Sasha à Cai Yan de démontrer ses capacités. Sous entendait-elle un combat amical entre eux ? Une démonstration de Cai Yan seul ? Ou un affrontement de Cai Yan avec une de ses deux camarades ci-présente ? En tout cas, s’il faisait face à Sasha, vu comment il agissait, il ne tiendrait pas longtemps vu son trouble.

-Est-ce que l’on ferai pas un entrainement à quatre ? Cela te permettra de montrer ce que tu as dans le ventre Cai Yan ! proposa-t-elle à ce dernier, si Neo se montrait ouvert à la proposition précédente.

Neo était suspicieux ; c'était même peu de le dire, et les yeux plissés qu'il dirigeait en direction de Sejeong laissait à penser qu'il ne voulait même pas le cacher. Les explications dont elle commença à l'abreuve en vue d'endormir sa méfiance parvinrent à le convaincre partiellement... mais c'était tout relatif, dans la mesure où s'il comprenait pourquoi les deux hongwois voulaient faire appel à lui pour observer quelques uns de ses mouvements, il n'était toujours pas persuadé que c'était la meilleure des choses à faire. Tout son laïus à propos de leurs différences qui ne devraient pas avoir tant d'impacts contribuèrent en revanche à réveiller ses soupçons, à leur rendre leur tonus d'antan. Car, pour lui, la réponse à de telles considérations naïves était assez limpide : personne ne pouvait savoir si la guerre n'éclaterait pas entre leurs deux pays, dans un avenir plus ou moins proche. Cela semblait inconcevable avant l'apparition du Naraka Catana et des pouvoirs ; mais, depuis, les cartes de Moderna avaient tant et tant été rebattues qu'il n'osait plus s'avancer sur des questions aussi hautement théoriques. En outre, il n'était pas nécessaire que leurs deux pays entrent en conflit ouvert pour que des liens tissés avec des étrangers puissent lui être nuisibles. Après tout, les racontars à propos de bagarres ou de meurtres étaient légions ; on disait de Terrafirma qu'il s'agissait d'un havre de paix au sein duquel il valait mieux savoir éviter les ruelles sombres... Cela ne devait pas être sans raison.
Vint ensuite le parallèle entre Saiful et Meng. Si, dans un premier temps, Neo se tendit d'autant plus en imaginant que son interlocutrice cherchait peut-être à obtenir des informations à propos de Saiful, voire tout simplement à le dresser contre le prodige de l'Académie Wong, il entendit néanmoins ses propres réflexions à l'égard de Meng, lequel semblait également disposer d'un tempérament bien trempé. Loin de lui l'idée de voler au secours de Saiful afin de réparer sa réputation : il avait lui-même fait les frais de ses caprices belliqueux à bon nombre d'occasions, dans la mesure où le colosse voyait en lui un adversaire divertissant.



Il n'avait pas besoin d'entrer dans les détails afin d'expliquer pourquoi : son audace effrontée était sans doute la première de ses tares que les hongwois avaient pu épier à l'envi, dans la mesure où il en avait fait l'étalage dès leur rencontre. Ceci étant dit, Neo ne croyait pas que le peu de qualités humaines dont Saiful était imprégné incarnait un problème insurmontable, compte tenu des rôles qu'ils auraient à jouer au cours des expéditions à venir. Ils n'étaient pas là pour se faire des amis, après tout : simplement pour continuer à progresser et à rendre des services à leur nation, à leurs compatriotes. Il aurait été illusoire de partir du principe que Neo et Sasha se souciaient de l'identité de leurs collaborateurs... Car l'un et l'autre ne mélangeaient pas l'affect et le devoir, comme le jeune homme masqué le souligna avec gravité.





La proposition qu'elle avait formulé d'un entraînement à quatre n'était toutefois pas tombée dans l'oreille d'un sourd ; si Neo en faisait assez peu de cas, Sasha, plutôt curieuse et confiante, la darda d'un regard scrutateur avant de lui répondre posément pour poser ses conditions.



Elle n'était pas certaine qu'un tel exercice serait du goût des trois héros professionnels chargés de les mener jusqu'à Antiqua ; mais, au contraire de Neo, elle n'était pas suffisamment réservée pour considérer cela comme un frein insurmontable. Le regard désapprobateur que lui jeta son partenaire laissa à entendre qu'il était, à ce titre, à deux doigts d'émettre une objection. Il n'en fit rien, toutefois, sans doute convaincu par l'assurance déterminante qu'elle affichait, comme de coutume ; et Cai Yan lui-même se chargea de balbutier en retour, bien incapable de s'imaginer affronter cette belle guerrière étrangère.



L'argument sembla faire mouche, mais n'acheva pas de convaincre Cai Yan pour autant ; ce dernier avait sans doute besoin d'un ultime argument pour le pousser à accepter l'éventualité d'un combat contre la ravissante singapurienne...

Neo plia les yeux et ne sembla pas particulièrement ouvert à accepter. Sa concision et sa posture semblait plutôt indiqué que le court monologue n’était pas à son goût et qu’il risquait même de finir par en avoir marre.

-Vous avez encore plus l’air de soldats que la plupart des étudiants hongwois. C’est fascinant, ne parvint pas à se retenir « Sejeong ».

L’affect et le devoir… Le devoir de Manwol était tout autre que celui de ces prétendus superhéros de pacotille. Un grand nom ? Un héros prometteur ? Le fait que des Saiful ou des Meng soient de futurs grands héros montraient à quel point les prétentions du superhéroïsme était une vaste fumisterie. Des chevaliers modernes volant au secours de la veuve et de l’orphelin, prêt à braver tout les dangers pour le peuple ? Que nenni. Gloire, puissance, orgueil, patriote avant tout, voilà les véritables principes qui se dévoilaient derrière l’image de marque de ces prétendus justiciers. Pour la Naksoo qui était habitué à l’ombre, à la rigueur et à la souffrance dans le silence muet, la gloire ne lui serait jamais connu : seule la gloire d’Imjin comptait, la cause passant avant soit même. À ce titre, la puissance qu’elle développait n’était pas à son propre service mais à celui de son culte, de sa foi, de ses missions. Concernant l’orgueil, avoir trop de certitude en ses capacités pouvait mener à la mort. Certes l’assassine se jugeait plus compétente que la plupart des étudiants de son académie, mais c’était en connaissant la différence d’entrainement qui les séparaient étant donné que pour sa part elle avait débuté durant l’enfance. En tout cas, présumé du niveau d’un adversaire, d’une cible, avant d’engager un affrontement était un risque important qui faisait négliger des paramètres. Cela pouvait précipité la tentative d’assassinat qui pouvait échoué et débouché sur un duel et dans ce cas tout un travail d’infiltration ou de traque pouvait tomber à la poubelle. De fait, un héros comme ces deux énergumènes ne ferait pas de bons assassins. Ils risquaient même de perdre la vie le jour où finalement ils tomberaient sur des personnalités plus fortes qu’eux. En bref, vivre avec une prochaine génération indiquait bien que les héros c’était de la merde en boîte et que les gens qu’elle respectait le plus en terme d’intellect n’étaient pas ceux disposés à embrasser cette carrière. Oui, Cai Yan et Meixiu Tan, si elle ne les appréciait pas personnellement, était ceux que Manwol respectait sur le plan intellectuel au sein de la promotion pour leurs propres capacités de manipulation.

-Je n’ai qu’une chose à dire : « Les ombres des feuilles viennent nourrir les racines de l’arbre. La masse s’accroit, piétinant les espoirs de ceux né de sa propre détermination. Sans appel, le vent masque la raison. »

Personne hors du culte ne comprenait jamais ses expressions hangeul de toute manière, alors au moins elle pouvait dire ce qu’elle pensait grâce à cela.

-Laissez-moi un instant.

Tandis que Cai Yan exprimait ses appréhensions, « Sejeong » sortit des cordelles de sa poche et, à leur aide, vint littéralement sceller son jikdo dans son fourreau. L’arme ne disposant pas de garde, tsuba ou panier séparant le manche de la lame, aucune aspérité n’empêchait de tendre les cordelettes. Ainsi, la demoiselle à la chevelure magenta pourrait user de son arme comme d’un cylindre d’entrainement, n’étant pas comparable à un bokken puisque non courbe.

-Savoir juger ta propre savoir pour être en mesure de la doser fait en soit partir des bénéfices des entrainements, souleva la meurtrière. À ce titre, n’ayez pas peur, je ne vais pas donner de grands coups violents. Après si malgré tout vous n’êtes pas ouvert à l’idée que j’utilise mon jikdo ainsi, je ferai sans. Ma défaite sera assurée, mais je m’y accommoderai, ricana-t-elle. En tout cas, Cai, l’important n’est pas de gagner. On est pas là pour savoir qui est le plus fort d’entre nous, mais si tu veux montrer ce que tu as dans le ventre à nos nouveaux amis c’est le seul moment que tu auras de la traversée.

La demoiselle à la chevelure magenta ayant prit la température, il était peut probable que les étudiants en face dépasse le stade du patriotisme pour nouer une amitié, mais cela tenait à la cohérence de son propos de continuer sur cette voie malgré tout… Et qui sait ? Peut-être qu’à un moment donné ils se laisseraient amadoués et comprendrais que devant Antiqua tout le monde était égaux, peu importe la nation. Bon, tout ces pseudo-héros semblaient tous tête de mule, peu importe l’Académie, donc il y avait peu de chances. En tout cas, concernant Cai Yan, elle essayait de lui faire comprendre que s'il voulait tenter sa chance avec Sasha, là encore il n'avait pas d'autre moment devant lui.

-Je suis ravi que tu reconnaisse le talent de Dandan en tout cas. Je ne pensais pas que tu te sentais moins maître de toi-même qu'elle. Notre camarade est vraiment douée pour jauger sa propre force après tout, sourit Manwol en se tournant vers son ancienne camarade de chambre. Si tu ne te sens pas à la hauteur, c'est comme ça.

Appuyer justement sur son orgueil, devant quelqu'un pour qui visiblement il avait un faible, c'était selon elle le meilleur moyen de le faire agir. Il ne pouvait pas accepter de passer pour une chiffe molle devant cette femme.

Elle fut ravie de constater que Sejeong n'attendait pas d'elle qu'elle prenne un rôle plus prépondérant au sein des tractations ou de la rixe d'entraînement supposément à venir ; elle ne se sentait ni en mesure de fournir des réponses pertinentes susceptibles de convaincre les uns ou les autres, ni de batailler fiévreusement jusqu'à ce que ces deux fringants singapuriens ne reconnaissent sa valeur sur le plan martial. Le fait était que Dandan n'avait jamais été très à l'aise, en ce qui concernait le combat au corps-à-corps. La proximité de l'adversaire, l'épée de damoclès qu'il représentait constamment, la possibilité de commettre une erreur regrettable sans avoir la moindre opportunité de la réparer, tout cela contribuait à la placer dans un état d'anxiété avancé. Elle avait conscience, bien sûr, que ses ennemis n'accepteraient pas éternellement de lutter contre elle avec force galanterie, en privilégiant les armes avec lesquelles elle se sentait le plus en confiance... mais elle préférait encore ne pas trop s'exposer aux coups ennemis, dans la mesure où la douleur, à ses yeux, avait toujours été une source d'humiliation. Elle avait obtenu son diplôme, à l'instar de tous les membres de sa promotion, parce que l'Académie Xialong ne faisait aucune distinction entre les bons et les mauvais éléments : mais elle savait avec toute la lucidité du monde qu'elle n'était pas prête à relever les défis qui l'attendaient de l'autre côté de l'océan. Elle courrait droit au fiasco... à moins, bien sûr, que ses partenaires n'acceptent de la prendre sous leur aile, de la choyer, de la tenir à l'écart des indigènes, qu'il s'agisse d'individus mal intentionnés ou de bêtes sanguinaires et imprévisibles.
Et cette petite rixe, à ce titre, n'était guère plus qu'un casse-pipe déplorable, qu'elle souhaitait à tout prix éviter. Parce qu'elle savait que Sejeong comme Cai Yan seraient plus à même de représenter leur glorieux état qu'elle ; et parce qu'elle savait que les diplômés de l'Académie Wong, triés sur le volet parmi des générations bûcheuses et prometteuses, seraient plus qu'à même de la terrasser et de lui faire ravaler le peu d'orgueil que sa médaille de bronze avait pu éveiller en elle.





Elle ne lui avait pas laissé le choix ; et il en avait pleinement conscience. Il avait peine à croire qu'elle agissait purement et seulement dans son intérêt ; mais, c'était souvent le cas avec Sejeong, il peinait à trouver un sens derrière ses agissements énigmatiques. Choisissait-elle sciemment de brouiller les pistes, de rendre son comportement sibyllin afin d'éviter qu'il ne puisse prévoir ses décisions par avance ? En l'occurrence, il avait le sentiment incommodant d'avoir été jeté sous les roues d'un bus. Il n'avait en aucune sorte le niveau qu'avaient affichés Sasha et Neo au cours de leurs passes d'armes amicales. Pas sans son pouvoir, à tout le moins. Il n'avait jamais franchement pris la peine de s'entraîner sans faire l'usage de ses compétences, d'ailleurs, puisqu'il ne parvenait pas à imaginer des circonstances qui pourraient l'y contraindre. Il y avait une nuance fondamentale entre la précaution et la paranoïa...
Le fait de savoir qu'elle allait pouvoir jauger sa valeur sembla ravir Sasha, laquelle afficha un sourire accort, l'espace d'un instant. Pour autant, la valeureuse singapurienne ne demeura pas bien longtemps focalisée sur Cai Yan ; elle était curieuse à son sujet, certes, mais elle n'était pas assez naïve pour ignorer que les trois hongwois cherchaient probablement à tisser une amitié factice avec eux deux pour bénéficier d'une éventuelle porte de sortie en cas de difficultés aussi imprévues que conséquentes. C'était donc, dans l'immédiat, plutôt l'exercice auquel ils allaient se livrer qui bénéficiait de toute son attention ; et elle se tourna en direction de Sejeong afin de clarifier un point, lequel lui semblait fondamental.



Elle aussi, semblait être vive d'esprit. Elle ne voyait pas l'intérêt de laisser à Sejeong l'opportunité de brandir une arme si tous les trois devaient, de leur côté, s'en passer. Cela aurait été induire un facteur d'iniquité dans une confrontation qui se basait pourtant sur des conditions relativement égales jusque-là... Comme, de surcroît, elle n'avait pas besoin de se plier aux conditions qu'exigeaient les hongwois, dans la mesure où c'étaient eux qui étaient venus à leur rencontre pour leur faire la proposition d'un entraînement commun, elle préférait ne céder aucun terrain aux caprices de ces étrangers. En d'autres termes : si Sejeong refusait catégoriquement de se passer de sa lame, avec ou sans fourreau pour la museler, il y avait fort à parier que les singapuriens laisseraient leur accord capoter et s'en retourneraient à leurs échanges didactiques.

Manwol avait bien conscience que Dandan n’était pas encore prête pour affronter d’autres humains en entrainement, si elle avait soumis son nom c’est car le 1v1v1v1 qu’elle avait proposé initialement aurait permis à la demoiselle de se focaliser sur sa camarade de chambre qui avait commencé à rendre possible le fait que la timide jeune femme essaye de combattre. Le pouvoir de Dandan était très puissant, mais cette dernière avait en horreur de risquer faire du mal à qui que ce soit, raison pour laquelle elle n’était pas parvenu à les utiliser véritablement durant les cours. Néanmoins, l’eau étant l’opposé du feu, la Naksoo était parvenu à lui faire exécuter des exercices de tirs de boules de flammes sur des cibles aqueuses générées par le pouvoir de l’Ombre d’Imjin. Ce n’était qu’un début, mais cela montrait bien que sur des cibles non vivante la flamboyante était désormais en mesure de franchir un cap. « Sejeong » était ainsi certaine que si c’était elle qui se trouvait en face de Dandan, sa camarade serait prêt à tenter quelques coups, timide certes, mais qui serait déjà un début, le tout grâce à la confiance qu’elle aurait pour sa partenaire. En tout cas, dans un 2v2, il était hors de question d’exposer Dandan de la moindre manière… La question de la façon de Manwol parviendrait à faire exploser son pouvoir, essayer de la rendre hors de contrôle, pour qu’elle ravage tout à commencer par Meng, Meixiu et Cai restait à régler néanmoins. Les mots seraient très important et l’échec un peu trop probable. Néanmoins, qui ne tentait rien n’avait rien.

-Je compte sur toi pour nous encourager, lança la « Jang » à la Xie en posant la main sur son épaule. Même si je compte bien perdre, vint-elle lui ajouter à l’oreille avant de lui faire un clin d’œil. Garde moi Larme de Lune s’il te plait.

Tendant son jikdo vers son amie pour que cette dernière veille dessus, Manwol se plia aux conditions des Singapuriens et se détâcha donc de sa fidèle allié pour finalement s’avancer vers les deux adversaires.

-Voilà. Contente ? Nous allons pouvoir y aller donc.

Inspirant et expirant, la meurtrière se mettrait donc en position pour attendre ses adversaires. Puis qu’elle ne pouvait pas compter sur ses compétences d’escrime, il lui faudrait se focaliser sur des enseignements plus ancien dans sa mémoire et sur les mouvements d’entrainement de Xiaodan qu’elle avait eu l’occasion d’observer. Néanmoins, son style n’était pas celui de la demoiselle qui était davantage dans l’agilité que dans la force brute. Pliant à l’extrême sa jambe arrière ainsi que légèrement celle de devant, l’assassine leva les deux bras dans l’axe des jambes, la paume étiat présenté face aux adversaires tandis que la main à l’arrière adopté la forme de la mante religieuse dans le tang lang quan. Dans cette posture hybride entre attaque et défense, 70% du poids était répartit sur le pied arrière, ne laissant que 30% sur le pied avant. C’était la posture Bàn mǎ bù. Cette répartition du poids était un atout pour le style de la Naksoo : cela lui permettait plusieurs axes d’esquives potentiels mais également des angles d’attaque, des rotations possibles en fixant comme axe le pied arrière ou déposer un avant-bras ou une main au sol afin d’y placer tout son poids pour effectuer des mouvements ascendants et descendant avec les jambes.

-Tu es prêt Cai Yan ?

Décontenancée, Dandan accepta de conserver l'épée de son amie tandis que celle-ci se rapprochait des trois autres aspirants héros, dans l'optique de prendre part à cet entraînement de pugilat improvisé. Elle croyait avoir mal entendu les quelques mots que Sejeong lui avait glissé à l'oreille. Perdre ? Pourquoi voulait-elle perdre, sciemment ? De nombreuses hypothèses plus ou moins farfelues se bousculaient dans l'esprit de la jeune Xie, qui n'imaginait pas cela envisageable quelques secondes plus tôt seulement. Quel pouvait être l'intérêt de participer à un exercice de cette nature tout en se sachant condamné ? Ou en cherchant à l'être ? Elle aurait aimé pouvoir questionner son amie à ce sujet, mais se retint de le faire, sachant que les singapuriens pourraient en entendre trop et agir en conséquence. Il n'était pas question de mettre en péril la stratégie de sa camarade de chambrée, même si les objectifs de cette dernière demeuraient sibyllins. Qu'une seule solution, donc : prendre son mal en patience, observer la situation, la voir progresser, et demander à son amie lorsqu'elle en aurait l'opportunité ce qu'elle entendait réaliser en croisant le fer si prématurément avec deux singapuriens qui ne lui avaient, par ailleurs, rien demandé.
Cai Yan, plus nerveux encore que Dandan, se contenta de se planter aux côtés de Sejeong tandis que cette dernière demandait avec désinvolture si Sasha était satisfaite.





Elle marquait un point, et c'était sans doute la raison pour laquelle Manwol avait été si prompte à abandonner son arme de prédilection : le risque de voir les deux singapuriens rompre tout contact et leur fausser compagnie était trop grand, a fortiori si son intention était de commencer à tisser des liens trans-nationaux. Lorsqu'elle prit sa posture élaborée, cherchant à favoriser une approche clairement défensive de la petite confrontation qui les attendait, Sasha et Neo comprirent que leur adversaire n'était pas exactement une néophyte : elle ne se sentait peut-être pas excessivement confiante au corps-à-corps, une fois dépossédé de son épée, mais elle aurait probablement de quoi leur donner un petit peu de fil à retordre. Les deux insulaires prirent une posture bien plus proche de celle de la boxe britannienne ; pieds fermement ancrés au sol, bustes légèrement inclinés vers l'avant, tête abaissée, poings redressés pour pouvoir interposer les avant-bras n'importe où en un claquement de doigts. Face à ce qu'il considérait être une posture assurément plus offensive que celle embrassée par sa partenaire, Cai Yan déglutit ; mais la question qu'on lui jeta au visage le contraignit à prendre sa propre posture en veillant à avoir l'air aussi aguerri et léger que possible.



Il se mit lui-même en position, dans un maintien qui rappelait très franchement celui du karaté. Ses jambes fléchies laissaient entendre qu'il ne manquerait pas la moindre opportunité de gratifier ses opposants de coups de pieds bien sentis... et c'était évidemment un piège. En combat comme en amour, Cai Yan n'était pas du genre à faire montrer de sincérité face au premier venu, fut-il une belle guerrière en provenance d'un pays étranger. Il était assez bon au pied, certes, comme bon nombre de hongwois se destinant à une carrière héroïque ; mais sa vraie force résidait dans l'usage de ses poings, et il espérait bien que ses ennemis tomberaient dans le panneau en se focalisant surtout sur ses foulées et sur son équilibre apparent. Avec un petit peu de chance, cela lui permettrait d'offrir à l'un des deux singapuriens une leçon d'humilité de premier ordre...



La voix de Sasha demeura en suspens pendant quelques instants ; elle balada son regard sur l'un puis sur l'autre de ses deux rivaux... avant de finalement bondir en direction de Cai Yan. Neo, quant à lui, demeura en retrait en conservant son propre regard braqué en direction de Sejeong, comme s'il cherchait à lui signifier qu'il interviendrait instamment si elle cherchait, de quelque manière que ce soit, à nuire à Sasha. En d'autres termes : le moins adroit des deux insulaires demeurait légèrement en retrait tandis que la plus aguerrie fondait sur le hongwois qui, manifestement, avait l'air d'être le moins débrouillard des deux. L'idée était limpide, enfantine même : si Sasha parvenait à terrasser Cai Yan en vitesse, elle et son acolyte se retrouveraient en supériorité numérique claire et marquée face à Sejeong. Ils n'auraient dès lors aucun mal à la faire capituler.

S'il comptait sans doute sur Sejeong pour lui sauver la mise, Cai Yan ne pouvait toutefois pas se contenter de demeurer passif pendant que deux demoiselles s'écharpaient devant lui : alors il se mit en tête qu'il devait bien pouvoir tenir son adversaire en échec au moins un court instant durant. Il fit mine de projeter son pied en direction de la guerrière rousse, dans une feinte grotesque qui la dupa pourtant ; mais, plutôt que de continuer son approche ou que de marquer un arrêt soudain, Sasha fit très exactement ce à quoi Cai Yan ne s'attendait pas. Elle vint à la rencontre de sa jambe... et sauta dessus de façon à lui saisir la cheville.
La lutte. Elle voulait utiliser la lutte pour le faire capituler promptement : en recourant à des prises précises et incisives, elle voulait lui tordre la jambe jusqu'à ce qu'il implore son pardon. Cai Yan comprit cela un instant trop tard pour se dérober ; mais ses poings, eux, parfaitement libres, menaçait de pleuvoir sur Sasha d'une seconde à l'autre. Impossible de dire lequel des deux combattants devrait essayer de battre en retraite le premier ; Sejeong avait peut-être une carte à jouer... sauf, bien sûr, si elle décidait plutôt de se diriger vers Neo.

Manwol resta aux aguets et observa Sasha fondre sur Cai Yan. Dommage, ce n’était elle qui était visé. L’adversaire avait certainement comprit qu’en se dirigeant vers elle, il y avait plus de chance de se faire contrer. La Naksoo c’était mise volontairement dans une posture plus défensive afin d’attendre l’adversaire et réagir en fonction des coups de celui-ci. L’assassine ne pouvait pas blâmer la Singapurienne d’avoir fait le bon choix. Observant Neo, la meurtrière constata que celui-ci n’en profitait pas tout de suite pour venir vers elle. Il était donc nécessaire de profiter de son manque de réactivité pour aller venir en aide au coureur de jupon pour le tirer des griffes de celle dont il était tombé amoureux avant de se retrouvé en 1v2.

-Par l’héritage du Sonmudo.

La référence à cet art martial pouvait être une forme d’indice, mais il était a priori bien trop peu connu comparé aux grands arts martiaux d’Edo ou Hongwois pour que cela soit compris par les Singapurien. À vrai dire, comparativement au Kung fu qui était l’image de l’art martial de moines-guerriers par excellence, la demoiselle à la chevelure magenta se disait que nombre d’Hongwois devaient tout ignorer de cette pratique issu d’un temple du vieux Gogukje, ce royaume absorbé par Hongwu il y a bien longtemps et où le Culte d’Imjin prenait racine.

S’élançant donc droit vers Cai Yan, la meurtrière ne semblait pas du tout se préparer à attaque Sasha. À vrai dire, Dandan devait même penser que sa camarade de chambre se préparer à s’en prendre au Dom Juan de leur académie. Avait-elle organisé tout ça pour l’humilier purement et simplement et se retourner contre lui ? Ses actions étaient si cryptique dans la globalité que cela permettait à n’importe quelle scénario d’être envisageable. Être imprévisible était un avantage dans ces aspects du combat. Ainsi, la « Jang » sauta dans les airs avec une amplitude telle qu’on la connaissait pour cette combattante aérienne qui s’entraînait en fait à se déplacer dans les airs comme elle voudrait le faire sous l’eau un jour. Levant ses jambes en grand écart facial, il s’avéra finalement qu’elle ne se laissa pas retomber sur Cai mais passa tout simplement au-dessus du Yan et de Sasha. Utiliser le grand écart permettait de permettre l’ « esquive par le haut » tout en minimisant malgré tout la distance de saut afin de préserver ses forces en évitant de déployer trop d’énergie pour la propulsion. Néanmoins, cela ne cherchait pas à distraire uniquement l’attention des deux combattants. Alors qu’elle passait au-dessus de la jambe de Cai tenue par la rousse, l’Ombre d’Imji amorça une roulade en l’air, profitant du mouvement allant vers l’avant pour rabattre ses jambes jusqu’à joindre les genoux et les pieds. Alors qu’elle commençait à retomber, « Sejeong » déploya finalement ses deux jambes afin que ses deux pieds viennent frapper le dos de Sasha. La douleur délivré devait déstabiliser cette dernière, même dans le cas où elle parvenait à l’encaisser. C’était au coureur de jupon de profiter de l’occasion.

De l’autre côté, cela permettait aussi en soit de se servir du dos de la Singapurienne comme appui pour s’élancer droit vers Neo. Etant désormais assez basse, plus proche du sol, la distance à avaler était trop grande pour l’atteindre, alors la meurtrière plongea vers le sol afin d’atterrir en roulade. Avançant une jambe, la Naksoo fit mine de se relever pour donner un coup au jeune homme, mais la demoiselle plongea à nouveau vers le sol au milieu de sa trajectoire, révélant sa feinte. Allait-elle rouler entre les jambes de son ennemi afin d’essayer de passer dans son dos ? Allait-elle attaquer ses jambes ? Non. Son avant-bras gauche vint se placer au sol, déployant tout son poids via celui-ci tandis qu’elle envoyait ses jambes en l’air par l’arrière. En somme, c’était comme si elle envoyait ses jambes pour se mettre en poirier, sauf qu’au lieu d’avoir les deux mains au sol et sa tête pour gérer le poids, il n’y avait qu’un seul bras. Le but n’était pas de toute manière de trouver la position d’équilibre, mais simplement d’envoyer sa plante de pied droit dans la figure de Neo. Elle avait donc feint une attaque vers son visage pour ensuite se diriger vers le bas, menaçant le bas du corps de son adversaire, ce qui était aussi une feinte puisque sa cible était bel et bien le visage du masqué. En général les coups de pieds étaient donné en allant vers l’avant, même lorsque l’impulsion et une rotation leur donnait une trajectoire d’origine latérale. Il était bien rare que la jambe vienne de l’arrière, passant littéralement au-dessus du dos.

Une fois cette attaque portée, la position du corps impliquait le mouvement inverse. Ainsi sa jambe revint vers l’arrière dans un mouvement qui lui permit de transférer son poids vers la jambe et donc de retirer sa main. Pour un observateur extérieur, on pourrait presque croire qu’elle rembobinait le temps en faisant exactement les même geste ayant eu lieu depuis son atterrissage mais dans l’autre sens. Quel était le plan maintenant ? Sasha, si elle était perturbé par le coup que lui avait donné « Sejeong », devait avoir maintenant constater que l’Hongwoise s’en prenait finalement à Neo, que ce soit par une vérification visuelle ou en considérant qu’aucune autre attaque n’avait suivis. Feinte là encore une fois. Elle avait bien donné un coup à Néo, annonçant à ses deux adversaires qu’elle allait se battre avec lui, mais Manwol voulait filer sur Sasha pour mener un nouvel assaut. Lançant son buste vers l’arrière dans la continuité de son mouvement, elle envoya ses mains au sol en sautant, y placçant son poids, puis en sautant sur avec les mains elle envoya directement les jambes de l'autre côté du corps (Exemple de la seconde une à trois). Elle aurait pu réitérer le tout rapidement plusieurs fois afin de reculer en rythme, mais vu la distance il lui suffisait de la faire deux fois. Arrivant ainsi rapidement vers Sasha, c’est en donnant plus de force à son deuxième saut sur les pieds qu’elle envoya ses jambes droit vers le ciel en plaçant tout son corps à la verticale. Puis, la gravité repris ses droits et Manwol descendit ses genoux vers le bas, en direction de la nuque se Sasha afin de cumuler à l’énergie de la chute le mouvement des jambes pour frapper, telle une masse d’arme employée comme guillotine, le corps de la Singapurienne. (Cela, mais dans les airs et vers la nuque)