Les écouteurs enfoncés au creux de ses oreilles, la musique s’écoulait sur la chair, glissant langoureusement dans les tympans qui s’articulaient tranquillement. Pourtant, le corps en mouvement de la fidèle des préceptes d’Imjin était tout sauf tranquille. Les jambes ayant crocheté une barre de traction, le corps de la Naksoo tomba dans le vide jusqu’à se retrouver à la verticale, puis elle contracta ses abdominaux afin d’à nouveau remonter son buste le plus haut possible en conservant les deux mains derrière la tête pour soutenir l’action sans donner d’impulsion. Tournant la tête et, alors que le monde se dessinait à l’envers dans sa rétine non tel un miroir mais par inversion axial des ordonnées, celle qui se faisait appeler Jang Sejeong en ces lieux observa des nouveaux arrivants tentés leur chance avec l’un des équipements de la salle de sport de l’Académie. Ils peinaient à s’adapter au rythme infernal imposé par le corps professoral, rythme découlant de l’idéologie de pédagogie extrême que portait l’établissement. Les portes coulissantes de ce dojo étaient grandes ouvertes, laissant entrevoir les étudiants s’entraînant sur le terrain qui se dessinait entre les arbres de la forêt juste à côté de ce bâtiment. Ces derniers étaient bien plus au fait des usages que ces petits nouveaux qui se plaignaient de courbatures. Les cicatrices de son corps couvert par sa tenue, son jogging et son t-shirt à manches longues, étaient le reflet de ses expériences passés et des entrainements qu’elle avait subit durant sa jeunesse. Si elle n’irait pas jusqu’à affirmer être au niveau d’athlètes mondiaux, la douleur était un langage qui parlait à la peau de Manwol, une douce amie inscrite dans ses muscles depuis tant d’années qu’elle était bien plus préparé à la formation de l’Académie Xialong que la grande majorité de ceux qui débarquaient là avec des rêves pleins la tête.

Reprenant sa respiration, l’assassine laissa son corps glisser avant d’envoyer ses jambes dans le vide afin d’atterrir sur ses pieds. L’heure du cours approchait. Qu’allaient-ils abordés comme thématique aujourd’hui ? Sortant de la bâtisse, la demoiselle à la chevelure magenta s’enfonça dans la forêt tout en continuant d’observer les étudiants en action, jouant à la balle au prisonnier. Un sport très pratique pour s’entraîner à l’esquive. De ce que la mudang voyait, aucun d’eux ne faisait partie des « faiblards », ceux qui demeuraient assez peu doué malgré l’enchaînement des mois de formations. Beaucoup d’entre eux étaient rackettés à ce qu’elle avait entendue, chose intéressant dans la mesure où le genre de héros qui aurait un tel comportement tirait plus vers la racaille que vers le véritable serviteur de la justice. Autant dire qu’il y avait plus de chances que de tels personnages soient de potentiels alliés. C’était un point qui pourrait être intéressant si elle trouvait certains de ces faiblards, néanmoins la Porteuse des Larmes des Ombres d’Imjin s’intéresser aussi à ces derniers dans l’optique de sa stratégie pour disparaître une fois sur Antiqua. Ils devaient mourir sans qu’il n’y ait de survivant pour qu’elle, ainsi que les alliés qu’elle aurait rassemblés, puissent passés pour morts eux aussi. Est-ce qu’il faudrait que les criminels révélés tuent ces héros de pacotillent eux même ou il suffirait simplement de les abandonner à leur sort ou même qu’ils engagent le combat contre une chose tout droit sortir de cet autre monde né du cratère solaire à l’origine du monde ? Sifflotant, la demoiselle se dirigea vers le bâtiment principal pour assister au cours tout en éteignant le walkman pour économiser ses batteries. Elle avait volé dans les affaires d'un héros en herbe afin de découvrir l'étrange appareil.

Cai était en train de se morfondre dans un coin de la salle d’entraînement. En toute logique, il aurait dû profiter de l’équipement comme tout le monde pour s’endurcir davantage, mais il n’avait clairement pas la tête à cela. Une semaine ; c’était le temps lui étant alloué avant de recevoir son diplôme et d’être envoyé sur le terrain… Dans tout autre établissement scolaire, cela aurait dû être un moment de joie intense à fêter avec ses proches. Néanmoins, ce n’était pas le cas à l’Académie Xiaolong pour la simple et bonne raison que cela revenait à aller au casse-pipe… Enfin, pas tout à fait : c’était plus le début d’une partie forcée de roulette Russe. S’il y survivait, il pourrait tout à fait essayer de faire carrière à Moderna : il ne doutait point de sa capacité à se rendre utile au sein même du pays. En somme, il lui fallait juste revenir en vie d’Antiqua – et en un seul morceau, si possible – pour atteindre son objectif de toujours : mener une vie pépère entouré de jolies filles. En vérité, il s’était inscrit à Xiaolong exactement dans l’optique de pouvoir impressionner plus tard la gent féminine. Il s’en était bien entendu mordu les doigts lorsque la sévérité de son nouvel environnement lui était apparue évidente. Heureusement, il ne s’était pas laissé aller au désespoir trop longtemps et s’était échiné à augmenter ses chances de réussite durant cette longue année. Au final, le coureur de jupons avait même réussi à se faire une certaine réputation. Certes, il était surtout connu comme un dragueur invétéré avec plus ou moins de succès, mais cela ne l’empêchait pas non plus de casser une gueule ou deux lorsqu’on lui manquait de respect… sauf quand le gars d’en face était susceptible de lui tenir tête. Dans ce genre de situations, il était plutôt connu comme le type qui s’excusait plus vite que son ombre.

Malheureusement, ne pas être mauvais n’était clairement pas suffisant pour rasséréner Cai quant à son séjour prochain sur le nouveau continent. Une expédition, ça ne se menait clairement pas en solo, et il était loin d’être assez doué pour attirer l’œil des petits génies de leur classe. En d’autres termes, le gars normal qu’il était devait recruter ses propres boucliers humains s’il ne voulait pas rejoindre une équipe entièrement composée d’inconnus. Le problème, c’était qu’il ne savait pas trop par où commencer. Force était de constater qu’il passait la majorité de son temps non pas avec des élèves de sa classe, mais avec ceux – ou plutôt celles – des autres… Cela n’avait pas toujours le cas, toutefois. C’était juste qu’il avait fini par se faire prendre en flagrant délit d’infidélité avec sa copine du moment, et plus aucune demoiselle n’avait jugé bon de lui accorder une chance dans son entourage proche. Quant aux hommes de sa classe… Autant dire qu’il ne s’entendait pas vraiment avec eux. La seule exception était Meng, qui lui avait demandé des conseils d’amour une fois. L’évidence le frappa alors comme le nez au milieu de la figure : il pouvait faire équipe avec Meng ! En toute logique, il devrait être en mesure de le convaincre sans trop de problèmes. Si on ajoutait la dulcinée du concerné à l’équation, ils formeraient déjà une équipe de trois relativement équilibrée. Cependant, ils auraient probablement un peu de mal lors des combats à distance... Pensif, Cai ne remarqua que tardivement que l’heure. Soupirant, il commença à se diriger en classe lorsqu’il aperçut une personne familière. Comment s’appelait-elle, déjà ? Sejung ? Non, Sejeong, Sejeong Jang. Elle n’était pas particulièrement son type et il faisait peu attention à ses camarades pour commencer. Pourtant, il s’était à peu près souvenu de cette accroc de la gymnastique pour la simple et bonne raison qu’elle était l’une des rares personnes à pouvoir attaquer à distance au sein de leur classe. En y repensant, le destin était peut-être à l’œuvre sur ce coup-ci : ne ferait-elle pas une bonne addition à sa future équipe ?

Les iris dorées se tournèrent pour attraper dans leurs serres immatérielles la silhouette qui s’approchait d’elle. Un visage plat, une coupe de cheveux standard, une mine mielleuse… C’était ce fameux dragueur. Il avait tenté de l’approcher au tout début… A moins qu’elle n’ait surinterprété son insistance à ce qu’elle l’aide sur un « devoir ». En tout cas, cela semblait étonnant à la mudang qu’il vienne lui parler alors qu’il avait tendance à éviter les membres de sa classe depuis un certain nombre de mois. Que mijotait Cai Yan cette fois-ci. Se retenant de froncer les sourcils, la demoiselle attendit qu’il ne prenne la parole pour dévoiler ses intentions, se contentant de continuer d’avancer en tournant légèrement la tête mais en conservant un regard neutre. Alors que celle qui se faisait appeler Jang Sejeong commençait à se demander s’il n’avait pas encore rompu et que faute de cibles il se rabattait finalement sur sa propre classe malgré tout, l’étudiant se mit à parler, commençant par un simple constat des événements de la matinée… Agrémenté d’un compliment gratuit sortie de nulle part. Cherchait-il vraiment à la draguer ? Sortant un éventail que l’assassine déplia en un geste ample, cette dernière plaça sa main sur sa poitrine, y prenant appuis tandis que le papier couvrait sa bouche de la même manière que le faisait son masque d’Ombre d’Imjin. Cela pouvait paraître pour un geste créant de la distance, un écran physique, mais la concernée faisait cela depuis son arrivée à l’Académie et bon nombre de personnes avaient appris à ignorer cela ou le prenaient comme une manière de se canaliser pour passer outre une forme de timidité.

-Bonjour Cai Yan…  Je te remercie gracieusement pour cette comparaison avec mes pouvoirs, nota-t-elle. Pour ta part, tu es tout aussi élégant qu’à l’accoutumée.

Peu importait ce que cela voulait dire pour elle : sur une échelle d’élégance, elle le plaçait en bas, mais toujours au même stade que précédemment ce qui faisait que Manwol ne mentait pas tout en tournant la vérité à l’avantage de la conversation. L’art de faire la conversation avait été important dans son éducation, notamment pour satisfaire les personnes venant aux mudangs pour connaître leur destin.

-Mais te voilà bien loquace soudainement. Combien de temps cela fait-il que nous ne nous sommes pas parler ?

À ce moment, les deux étudiants approchaient de la salle. À moins que Cai ne l’empêche de rentrer pour discuter à l’extérieure, la demoiselle pénétrerait dans la pièce et irai s’installer en tailleur en déposant son gunsen à côté d’elle. Le Yan pouvait la rejoindre pour poursuivre la conversation à voix basse si besoin.

-Aurais-tu besoin de moi pour quelques affaires dont tu aurais l’urgence ? Souhaites-tu profiter de mes talents en cérémonie du thé après le cours pour discuter autour d’un breuvage ? J’ai récupéré du thé des champs d’Ujing lors de ma dernière sortie.

Allait-il se dévoiler ou essayer de la charmer ? Que ce soit son objectif premier ou dans l’optique de demander par la suite quelque chose d’autre, sa réelle motivation.

Si le double-sens était voulu, Cai n’avait – en toute franchise – pas essayé de comparer la beauté de son interlocutrice à celle de son pouvoir. En vérité, les seules choses dont il se souvenait réellement de ce dernier étaient une sorte d’enrobage sur une arme et des gouttelettes projetées à distance. Ni l’un ni l’autre ne lui avait fait forte impression, mais leur professeur l’avait complimentée à ce sujet… Cela devait bien avoir un certain attrait pratique si même ce vieux schnock le disait. Il n’avait tout du moins jamais dit pareille chose au sujet des capacités du second fils de la famille Yan… Une certaine envie de crier à l’injustice s’empara de ce dernier ; heureusement pour lui, il réussit à la contenir sans rien laisser paraître. Ses séances de drague intempestives lui avaient au moins appris à garder une poker face plus que respectable pour arriver à ses fins. Dans le cas présent, le malentendu jouait indéniablement en sa faveur, alors il se garda bien de rectifier le tir ou de commettre un impair. Au vu de sa réputation peu reluisante auprès des femmes de sa classe, il était fort possible que Sejeong lui répondait plus par politesse qu’autre chose. En d’autres termes, il se devait de jouer ses cartes correctement pour ne pas revenir  à la case départ avant même d’avoir abordé le sujet l’intéressant vraiment. Un problème se posait néanmoins, et l’Héroïne en face de lui ne tarda pas à le souligner : il n’avait pas pour habitude de discuter avec ses camarades, surtout pas celle qu’il avait sous les yeux. Les rouages encrassés et fraîchement relancés de son esprit se mirent à tourner à plein régime pour offrir une réponse décente face à cette évidence un peu trop gênante.



Ses traits s’assombrirent quelque peu et son regard enjoué devint vague, comme s’il ne voyait plus l’être athlétique sous ses yeux, mais plutôt une menace inévitable planant sur eux. Une fois n’est pas coutume, Cai n’eut nullement le besoin de compter sur son jeu d’acteur cette fois-ci. Il ne faisait que laisser paraître son ressenti profond vis-à-vis de toute cette histoire. Passer une année entière à se démener dans ce trou à rats paumé qu’ils osaient appeler une académie sans pour autant garantir ses chances de rentrer un jour à la maison… Il y avait de quoi sentir l’amertume monter, à n’en point douter. Toutefois, cette frustration n’était pas inutile en l’occurrence puisqu’elle lui permettait de sublimer son numéro de chien battu. À moins d’avoir affaire à une demeurée ou une tarée – et rien n’indiquait que Sejeong était de ces bords-là –, il devrait avoir réussi à gagner quelques points auprès d’elle à l’instant. Après tout, à quoi servait-il de ressasser son passé de tombeur invétéré lorqu’ils étaient tous sur le même bateau voguant en eaux troubles ? Dans le pire des cas, ce rappel des dangers les attendant lui servirait au moins pour entrer naturellement dans le vif du sujet. En parlant de cela, il ne se souvenait décidément pas que Jang était si directe – dans tous les sens du terme.

Le charme naturel du brun aurait-il triomphé des calomnies à son sujet pour se frayer un chemin jusqu’au cœur d’une donzelle de plus ? Le médaillé de bronze aurait aimé y croire, mais il était plus qu’au fait de la nature de la dite demoiselle. Pour rester poli, elle était conservatrice ; pour être franc, elle était carrément vieux jeu. En tout cas, c’était l’impression générale que toute sa classe avait d’elle. Certains se demandaient même si elle n’avait pas vécu dans une grotte durant le plus clair de sa vie… Le Casanova de service pensait qu’ils exagéraient un peu, qu’elle n’était pas si mal informée que cela, juste un peu mal à l’aise – quelque chose d’étonnamment plus courant qu’il n’y paraissait compte tenu des mœurs de leur pays. Toutes les familles d’Hongwu n’étaient pas nécessairement prêtes à embrasser les valeurs véhiculées par la modernité, et certaines disposaient de membres un peu trop zélés dans la protection de leurs filles, leurs sœurs, et leurs mères. Cai ne savait pas spécialement si c’était une bonne ou une mauvaise chose – pas que cela l’intéressait, de toute façon. Ce qu’il savait avec certitude, c’était qu’il pouvait bien souvent utiliser cette surprotection à son avantage, car celle-ci engendrait bien souvent du mécontentement chez les femmes en question – tant de combustible auquel il ne fallait qu’une toute petite étincelle bien placée pour allumer les flammes de la rébellion. De quoi passer quelques moments torrides avec l’instigateur de ce soulèvement impromptu… Cependant – et ceci était bien dommage aux yeux du coureur de jupons qu’il était –, ce genre d’éducation avait aussi parfois l’effet inverse puisqu’on ne pouvait pas se languir d’un mets que l’on ne pouvait même pas s’imaginer tant il était éloigné, défendu.



Si beaucoup auraient pu croire que ce bourreau des cœurs avait accepté ce tête-à-tête avec l’intention d’ajouter une victime de plus à son tableau de chasse, il n’en était en fait rien. Les quelques interactions qu’il avait eu le loisir d’avoir avec Sejeong Jang l’avaient convaincu qu’elle appartenait plutôt à la seconde catégorie. Elle était sans doute bien trop prude pour envisager une quelconque relation amoureuse hors d’un cadre officiel, et toute proposition allant dans ce sens vaudrait probablement une expression outrée – voire une gifle – au Yan. Ce n’était peut-être qu’une impression, mais c’était là la source de son désintéressement rapide en ce qui concernait le joli minois-ci vers les débuts de leur formation. D’un autre côté, c’était peut-être mieux, car il aurait tout à fait pu détruire toutes ses chances de mener une conversation normale – et encore moins fructueuse – avec la concernée s’il y avait eu quelque chose entre eux, à fortiori après le petit scandale le concernant dans leur classe. Il estimait qu’elle ne daignait s’entretenir aussi sérieusement avec lui que parce que l’eau avait su couler sous les ponts, emportant avec elle les éventuels sentiments négatifs issus d’une affaire ne concernant que de loin son interlocutrice. En tout cas, il prenait l’offre fort utile de Sejeong comme un bon signe quant aux chances de réussite de cette tentative de recrutement, mais il restait encore à la faire mordre à l’hameçon, et rien de mieux qu’un appât mêlant mensonges et vérités pour cela.

-La gent masculine a besoin de moins d’efforts que la gent féminine pour revêtir ses atours, néanmoins la plupart des hommes n’en prennent pas la peine. Cela est tout à ton crédit.

Elle ne trouva rien de mieux pour le complimenter davantage. Cai Wan en vint cependant à présenter une justification à la raison de sa venue, bien que son hésitation première laissait transparaître qu’il avait dû y réfléchir. Etait-ce de la gêne car il aurait réellement développé une attirance pour elle ou bien cela était-il simplement la marque du temps passé à trouver une réponse adéquate pour ne pas se dévoiler.

-C’est très aimable à toi de prendre des nouvelles de tout le monde pour voir le moral général avant que le moment fatidique n’arrive. En effet, il sera bientôt l’heure pour nous de faire face à la réalité et de répondre aux engagements que nous avons prit.

« Mon œil » pensa-t-elle. Lui, s’intéresser aux autres ? La dualité du questionnement, drague ou tentative de manipulation, ne pouvait toujours pas être trancher en tout cas. En tout cas, dans la seconde option, cela pouvait entre lien avec ce qu’il mentionnait. Il n’arrivait pas à mettre des mots sur l’expédition à Antiqua : cela révélait sa peur de l’événement. Son comportement physique trahissait cet éclair d’effroi qui traverser son corps. Voilà quelque chose d’intéressant pour elle, peu importait la motivation de son interlocuteur à abordé le sujet. Le professeur n’avait jamais vraiment prêté intérêt aux capacités de Cai et par conséquent il n’était pas vraiment dans les meilleurs de la promotion. Pouvait-elle en faire sa chair à canon tant convoité ? Un sourire de satisfaction se dessinait derrière l’éventail tandis que le second fils de la famille Wan jouait son jeu de chien battu. Il n’aurait pas pu faire davantage pour lui plaire, mais pas dans le sens qu’il aurait espéré assurément. Peu importe qu’il cherche à la manipulé ou non, si Manwol parvenait par la suite à faire croire à ce benêt qu’elle tombait dans le panneau c’est elle qui parviendrait à le manipuler… Et ses caractéristiques de mudang pourraient s’avérer fort utile pour le persuader, même si cela passait par échanger du thé avec cet énergumène. La satisfaction se poursuivit quand il plongea à pieds joints dans la gueule du loup en saisissant l’opportunité gracieusement offerte.

-J’en serai ravie, répondit-elle avec le geste associé à la révérence traditionnel tout droit issue de l’Empire Han : joindre les mains avant de s’incliner, les yeux baissés vers le sol.

Le fait qu’elle ne reculait pas de deux mètres montrait, en vertu des codes de la tradition certainement tombé en désuétude en dehors des élites héritières de l’ancienne noblesse, qu’elle ne le considérait officiellement pas comme un être supérieur à elle. Le fait qu’il ne s’en offusque pas marquerait implicitement selon ces mêmes traditions qu’il acceptait d’être son égal ou son inférieur. La stratégie de la jeune femme se mettait en place dans son esprit et pourrait peut-être surprendre ce bourreau des cœurs.

-Voilà une preuve de sagesse, ponctua-t-elle, même si c’était plutôt de la ruse en l’occurrence. Prendre des dispositions à l’avance est nécessaire. S’organiser au dernier moment mène à l’erreur et potentiellement à la mort. Je cherche moi-même à intégrer une équipe au préalable afin de nous soyons prêt le moment venu.

Si cela convenait, le cours se déroulerait sans heurt et la demoiselle se tournerait vers son homologue au moment d’en sortir.

-Je dois passer à mon dortoir pour récupérer de quoi faire le thé. Donnons-nous rendez-vous dans une demi-heure au vieux sanctuaire si cela te convient. Nous serons à l’abri des oreilles indiscrètes.

Manwol était a peu prêt certaine que Cai avait déjà investit les lieux pour une partie de jambe en l’air. Cette localisation perdue dans la forêt de Shengdi ne devait pas lui poser de problème.

Le tombeur était plus que ravi du train où allaient les choses. Selon toute vraisemblance, il était très bien parti pour ajouter le nom de cette demoiselle à la liste de camarades en mesure de se sacrifier héroïquement pour permettre la réalisation de ses ambitions. Aussi, il ne s’embarrassa nullement des gestes subtils de Sejeong qui n’avaient que difficilement survécu au passage impitoyable du temps. Ce n’était pas que le membre de la famille Yan n’était pas du tout au fait de cette vieille coutume, mais celle-ci influençait si peu la vie du plus grand nombre qu’il aurait été ridicule pour lui de relever la chose au premier coup d’œil. De toute façon, il n’avait aucunement espéré être considéré comme le supérieur de son équipe pour la simple et bonne raison qu’il lui aurait fallu s’encombrer des plus faibles de la promotion pour arriver à ce résultat. Certes, il pourrait plus aisément se servir de ceux-là comme chair à canon, mais quelle utilité s’il ne pouvait pas les forcer à lui obéir aveuglément ? En l’état, il valait bien mieux s’entourer d’une fine équipe d’égaux avec des défauts exploitables pour ses besoins. C’était d’autant plus pertinent lorsque l’on savait que ni lui, ni ses camarades ne pouvaient véritablement prétendre à une position de pouvoir lors de leur première exploration.

Le but de l’Académie était de former des individus capables de se rendre utiles d’une manière ou d’une autre, et un homme mort ne l’était guère. Il était donc tout à fait normal qu’une première expédition fût lourdement encadrée par des experts et menée en grand comité dans une partie relativement peu dangereuse d’Antiqua. Bien entendu, la nature imprévisible et sauvage du continent garantissait peu ou prou des pertes humaines même dans de telles conditions… C’était pour cette raison que se faire des amis – ou au moins des alliés de fortune – à un moment ou à un autre était primordial. Deux paires d’yeux valaient toujours mieux qu’une ; par conséquent, un homme bien entouré voyait ses chances de s’en tirer indemne augmenter de façon exponentielle. La stratégie de Cai reposait à moitié sur ce proverbe, et à moitié sur sa capacité à faire montre de ruse pour éviter d’avoir à se salir les mains si possible. Par exemple, il s’imaginait aisément mettre à profit l’orgueil démesuré de Meng et sa relation avec Meixiu pour inciter le premier à mener un combat à sa place. D’autant plus qu’ils devaient tous deux avoir des sentiments assez positifs envers lui, le philanthrope avisé qui avait permis à leur petite amourette de voir le jour. Dans le cas de Sejeong, il ne savait pas trop s’il pouvait faire quelque chose de similaire, mais elle ne serait fort probablement pas un poids dans tous les cas – pas si elle souhaitait vivre, tout du moins… Il ne serait de toute façon pas trop tard pour l’inciter à se rapprocher d’autres membres lors de l’expédition si sa présence devenait gênante.



La journée de cours avec l’instructeur Jin s’était bien passée dans l’ensemble. Sans surprise, rien de nouveau n’avait été abordé : il aurait été bien trop tard de toute façon à ce stade de la formation. Les dernières heures avaient plutôt été consacrées à revoir les bases, plus précisément les détails les plus importants qu’il ne valait mieux pas oublier avant de se lancer corps et âme dans cette aventure folle qu’était l’exploration d’Antiqua. Cette fois-ci, il avait jugé bon de rappeler à tout le monde que si les peuples du nouveau monde étaient des sauvages, il ne fallait assurément pas les asticoter sans raison valable. Aussi, le professeur s’était permis de rappeler à la classe que le dernier jour de cours, qui était aussi l’avant-dernier jour de leur formation dans le cas présent, serait réservé à une séance spéciale. Il avait insisté sur le fait de ne pas la manquer, mais Cai se demandait franchement s’il n’était pas devenu un peu sénile. Qui donc irait rater volontairement un jour de cours lorsqu’il était communément admis que ce vieux schnock favorisait ouvertement celles et ceux ayant le moins d’absences ?

En toute franchise, le jeune homme était persuadé que la seule raison pour laquelle il ne s’était jamais fait complimenté était sa tendance naïve à sécher les cours lors du premier mois. En tout cas, le Casanova de service comptait bien mettre à profit le temps imparti pour aller chercher les fameux biscuits qu’il avait promis de ramener. La chose n’était pas bien compliquée puisqu’il lui suffisait d’embobiner un peu l’une de ses conquêtes les plus récentes. Cette dernière, qui venait tout juste d’arriver à l’Académie, ne réalisait pas encore tout à fait la valeur de sucreries de ce genre en ces lieux où le luxe devait bien souvent se mériter à la sueur du front. Le brun n'éprouvait pas de remords à l'idée de la tromper. De toute façon, il pourrait toujours repayer cette dette avant son départ, voire plus si jamais elle revenait en vie l’année prochaine… En attendant, il comptait attendre un peu dans les environs du temple et se pointer exactement à l’heure, pensant qu’arriver à l’avance pourrait être perçu comme impoli puisqu’il fallait donner le temps à son hôte de se préparer.







Alors que Manwol approchait de sa chambre, elle fut accueillie par un spectacle dont elle avait quelque peu l’habitude. Sa voisine de chambre et camarade de classe, Dandan Xie, se faisait remonter les bretelles par une autre camarade beaucoup moins timide : Meixiu Tan. Cette dernière avait pour ainsi dire converti la pauvre fille en sa bonniche personnelle, l’incitant à faire un grand nombre de corvées ingrates en échange d’une protection relative. En vérité, cette scène pouvait aisément paraître surréaliste pour celles et ceux qui étaient conscients des pouvoirs respectifs de chacune. Si Meixiu possédait la capacité de contrôler n’importe quelle forme de tissu au contact – comme un foulard, par exemple –, Dandan pouvait produire des gerbes de flammes semblables à des pétales de fleurs depuis ses mains. En somme, la seconde devrait posséder un avantage écrasant sur la première, et pourtant… Les seules fois où les deux s’étaient affrontées sous l’impulsion du professeur, la brune n’avait jamais réussi à mettre à profit cela contre l’ennemi.

C’était bien simple, cette fille était incapable de faire du mal à autrui, et elle éprouvait même une certaine peur au sujet de son pouvoir au début. C’était la raison pour laquelle elle s’était enrôlée à Xiaolong : pour apprendre à contrôler ses capacités qui lui faisaient tant peur. L’instructeur Jin lui avait permis de se familiariser avec son pouvoir et d'apprendre à l’accepter comme une part d’elle, quelque chose qu’il ne fallait pas craindre. Toutefois, cela s’arrêtait là ; il n’avait jamais pu la convaincre d’utiliser sérieusement son don contre une personne, même dans un cadre contrôlé où il lui avait assuré que rien de grave ne pouvait véritablement arriver. En somme, la majorité estimait qu’elle avait peu de chances de réchapper d’une expédition… En l’occurrence, Dandan se faisait rabaisser car elle avait mal plié les vêtements de l'autre demoiselle, qui refusait de compter sur la laverie de l’Académie pour le nettoyage de ses affaires. Après avoir remis à sa place celle qu’elle appelait sa « protégée », la fille des Tan s’en alla vers la sortie. Elle destina au passage un léger hochement de tête en guise de salutations à Sejeong Jang, qu’elle venait de remarquer. Peu après son départ, la dénommée Xie s’adresserait poliment et avec une certaine gêne à la nouvelle arrivante.

Pénétrant dans la chambre de ce dortoir, qui n’était pas aussi militaire que la majorité des autres éléments de l’Académie, Manwol observa attentivement la scène tout en se dirigeant vers son lit. Aucunement offusqué par cette scène devenue par la force des chambres d’une récurrence lassante. L’assassine préférait attendre le départ de Meixiu Tan avant d’adresser la parole à sa camarade chambre. Un comportement ne traduisant aucunement une forme de crainte de la part de la Naksoo. Ce n’était pas une de celles qui seraient en mesure de se réveiller pour empêcher la Porteuse de Larmes d’Imjin de l’assassiner dans son sommeil. Répondant au hochement de tête de la Tan de manière formel, Manwol laissa cette dernière prendre la poudre d’escampette. Tandis que sa camarade de chambre remarquait sa présence, la dénommé membre de la famille « Jang » vint s’accroupir pour ouvrir un tiroir où se trouvait le sac contenant les feuilles de thé. Sentant l’odeur de ces plantes à pleines narines, la demoiselle à la chevelure magenta ne concédait pas un grand sacrifice étant donné que le thé n’était pas si prisé que ça au sein de l’Académie. Après tout, cela ne donnait pas autant d’énergie que les viandes oniriques et délicieux plats doucement mitonnés dans les rêves salivaires de certains. Se redressant, toujours le dos tourné à sa la Xie, Manwol décida de lui répondre.

-Si tu le voulais, tu pourrais gagner son respect. Dommage que ta bonté verrouille tes capacités.

L’opinion de la cultiste à ce sujet était que la seule chance pour la manieuse de feu de survivre soit un déclic : confronté aux dangers d’Antiqua, elle pourrait révéler le plein potentiel sommeillant en elle. Soit cela passerait, soit cela casserait : l’effroi briserait ses limites ou la condamnerait. Sa capacité à réemployé son talent après de manière général ne serait pas garantie, mais ennemis d’Antiqua après ennemi d’Antiqua cela pouvait se faire.

-Je dois aller voir quelqu’un… Nous commençons tous à choisir les équipiers avec qui former les équipes pour l’expédition pour que l’on soit soudés et préparés…

Pivotant finalement, Manwol s’approcha de Dandan pour finalement lui attraper une de ses mains.

-Tu compte véritablement rejoindre l’équipe de Meixiu Tan alors qu’elle ne pourrait pas calmer l’une éventuelle crise ?

Jouer sur les peurs. La Naksoo pensait bien que l’instructeur Jin n’avait pas proposé à la Xie de s’installer dans la chambre de la génératrice d’eau sans raison. C’était une sécurité mentale pour la jeune femme qui craignait ses pouvoirs. Ainsi, comme elle le faisait parfois, l’Ombre d’Imjin entoura les mains de Dandan d’une fine pellicule d’eau que « Sejeong » tissait avec ses doigts. Faisait-elle cela par bonté d’âme ? Certainement pas. Elle préférait se trouver dans la camaraderie d’une fille plutôt douce et naïve pour cacher son véritable jeu que de partager sa chambre avec quelqu’un de plus perspicace et sûre d’elle-même.

-Tu ne blesseras personne d’ici à ce que tu quittes ces terres. C’est ce que je lis dans les lignes de ta paume, susurra la mudang avant de finalement relâcher la main de son interlocutrice pour pivoter vers son armoire avec la volonté de revêtir un kimono.

Une fois de dos, un sourire malicieux se dessina au coin de ses lèvres avant que son visage ne plonge dans la pénombre de la pile de vêtements soigneusement pliés. Suite à cela, elle quitterait la pièce en lançant un regard vague à la Xie.

-Que les esprits veillent. Je reviens vite.

Sortant, Manwol chercherait du regard la Tan. Si cette dernière était encore dans les environs, l’assassine l’observerait de loin, s’interrogeant sur les motivations de cette femme qui avec son statut chercherait certainement à rester dans le rang pour plaire à sa famille et la glorifier, peu importe l’importance qu’elle avait maintenant. S’inclinant brièvement en guise de salut si la concernée l’apercevait, la femme à la chevelure magenta se dirigea ensuite vers le vieux sanctuaire dont elle atteint le toit sans trop de difficultés en se déplaçant de branches en branches. Glissant dans une ouverture, la cultiste rejoignit la pièce principale où elle déposa le nécessaire pour préparer la cérémonie du thé, préparation qu’elle mena, commençant par broyer les feuilles en poudre, jusqu’à l’arrivée de Cai Wan. Des vapeurs prenant une forme de fumée bleu virevoltaient à proximité de la petite marmite de fonte couvertes de symboles dans lequel le liquide provenant des pouvoirs de la Naksoo bouillait, mélangé à la poudre donnant son goût au breuvage qui quitta alors le petit réchaud.

-Bienvenue jeune homme, déclara-t-elle en laissant glisser les lettres sur ses lèvres avec volupté, son visage entouré par les volutes bleutées.

Plusieurs émotions étaient passées sur le faciès de Dandan avant de finalement se figer sur une expression démoralisée. Son ton hésitant s’était d’ailleurs rapidement mué en une réponse défaite, prononcée à mi-voix. Quand bien même son inaction semblait en dire autrement, la jeune fille était loin d’apprécier l’état actuel des choses. Se faire marcher sur les pieds par Meixiu était loin d’être une sinécure – pas plus que les regards supérieurs qu’on lui lançait au quotidien –, mais elle ne pouvait simplement pas se résoudre à changer cela s’il lui fallait attaquer un être humain pour y arriver. C’était au-dessus de ses forces… Face à la tentative de Sejeong de jouer sur ses peurs, elle préféra garder le silence. Ce n’était pas la première fois qu’on lui disait quelque chose du genre, et elle ne savait jamais quoi répondre. Qu’était-elle censée faire ? Dire à Meixiu que leur relation était terminée et essayer de rejoindre une équipe au hasard ? Elle ne savait même pas si la première s’imaginait compter sur elle pour autre chose que laver son linge sale, encore moins une expédition. Dans les faits, la fille des Xie pensait réellement qu’elle n’aurait pas son mot à dire en ce qui concernait ses co-équipiers ; elle ne pouvait simplement pas se le permettre. Après tout, si elle ne pensait pas avoir de barrière mentale en ce qui concernait les monstres, elle n’en était pas aussi sûre que ses mots devant l’instructeur Jin ne l’indiquaient… De toute façon, qui donc la croirait dans l’éventualité où elle clamait haut et fort cette pensée ?



Dandan avait eu tout le loisir d’apprendre à connaître Sejeong compte tenu de la proximité amenée par les cours et les dortoirs durant leur formation. C’était une demoiselle d’une grâce et d’une bonté rares en ces lieux… Elle était l’une des rares personnes à ne pas lui manquer de respect – pas ouvertement, tout du moins. En toute franchise, elle était au naturel le genre de fille que Meixiu semblait s’efforcer d’être au quotidien : une noble dame. Bien entendu, elle était franchement superstitieuse, mais ce n’était pas non plus au point de paraître anormale. Il n’y avait proprement rien de mal à lire la paume des mains de quelqu’un ou à leur souhaiter du bien via de quelconques esprits, pas lorsque c’était gratuit comme en l’occurrence. L’utilisatrice de flammes trouvait désormais un certain réconfort dans les facéties de son amie ; cette dernière traitait ses dires farfelus avec une telle banalité et une telle certitude que la servante officieuse avait fini par vouloir y croire. Dandan souhaita poliment au revoir à sa camarade de classe avant de vaquer à ses occupations, pensive.







Il respectait parfaitement les marques de politesse en vigueur lors d’une cérémonie de thé. Si Sejeong Jang n’était pas véritablement de son type, il ne pouvait pas affirmer avec certitude qu’elle ne lui faisait aucun effet dans ce contexte ; il n’aurait probablement pas été un coureur de jupons digne de ce nom autrement. Néanmoins, il fit un effort pour contenir son esprit dépravé et empêcher ses yeux baladeurs de s’attarder sur ce qu’il ne fallait pas. La tâche s’avéra plutôt aisée dans l’ensemble puisqu’il ne perdait aucunement le nord. Le jeune Héros était entré dans cette vieille bâtisse avec pour but d’en ressortir avec une équipière, pas une amante. En cela, la perspective de se retrouver plus tard sans personne pour veiller sur son dos en particulier lui était d’une aide précieuse. Dans un premier temps, il décida de s’attabler et de profiter des services de la demoiselle, comme elle l’avait si bien dit. Il était important de briser la glace avant de parler du plus important. Aussi, les biscuits ramenés pour l’occasion étaient censés jouer un rôle dans cette tactique ; il n’avait nullement ressenti le besoin de faire un effort particulier dans leur présentation compte tenu de la boite en bois déjà décorée qui les contenait. Les débuts de la conversation étaient plutôt dédiés à la cérémonie en elle-même, et aux compliments obligatoires sur les divers talents de Sejeong. Petit à petit, le sujet des cours et de leurs camarades les moins bien lotis – Dandan, entre autres – fut amené. L’objectif assumé était de lui faire entrevoir la possibilité de finir comme un de ces laissés-pour-compte, une crainte qu’il nourrissait lui-même.



Laissant le temps à son interlocutrice d’y réfléchir, il enchérirait bien vite. Il avait dans l’idée de lui révéler les noms des camarades susceptibles de s’allier avec eux, autant pour lui permettre de visualiser leurs forces que pour la convaincre si ce n’était déjà fait.



Un sourire plutôt fier arborerait le faciès du brun alors qu’il expliquerait tout cela. Il ne pouvait s’empêcher de se féliciter mentalement, car il avait eu la présence d’esprit d’aider cette brute par le passé. Sans cela, comment aurait-il pu le convaincre de s’allier ? Un homme aussi orgueilleux et prompt à recourir aux poings n’était clairement pas des plus faciles à aborder en temps normal. De plus, Meng figurait plutôt dans le haut du panier de cette promotion tandis que Cai n’était que dans la moyenne. Sans circonstances favorables, la proposition du fils de la famille Yan aurait clairement été reçue avec des éclats de rire. Dans le pire des cas – et s’il avait particulièrement mal choisi ses mots –, le dragueur invétéré aurait eu tôt fait de savoir si la défense offerte par ses avant-bras dorés aurait pu tenir bien longtemps face à la lame d’énergie noire du seul fils des Wen. Heureusement, les choses s’étaient passées bien différemment au final.

Il allait lui laisser le temps de réfléchir et elle avait bien envie de jouer avec ce Don Juan.

-« Il faut se méfier de l'eau qui dort. » Dandan est le paillasson de beaucoup de mondes et personne ne la prend au sérieux. Elle n’a rien. Personne sur qui compter. Personne qui ne lui montre de l’affection. C’est ce qui n’ont rien, qui ont tout perdu, qui sont les plus dangereux. Je ne sais pas si tu as fais attention à ses prestations, mais les raisons de ses difficultés n’est pas son pouvoir, c’est sa naïveté, sa gentillesse. Elle a peur de faire du mal… Mais à force de recevoir la haine des autres, la frustration de transformera en une forme de haine. Que se passera-t-il quand elle explosera ? Son pouvoir se déchaînera dans un florilège de brutalité… Si cela arrive finalement à Antiqua… Qui sait ? Peut-être ouvrira-t-elle la voie en éliminant toutes les créatures qui se trouveront à porter…

Déclarant tout cela avec un visage on ne peut plus neutre, son regard se baladant entre sa cuillère et sa tasse, Manwol porta finalement le liquide à ses lèvres et laissa glisser celui-ci le long de sa langue avant de reprendre la parole.

-Certaines nuits où elle fait des cauchemars de ceux qui la malmène, j’ai peur qu’elle mette le feu au dortoir entier. Heureusement que pouvoir est antinomique au sien.

Décidant de terminé sa gorgée de thé, ses iris se tournerait enfin vers son interlocuteur, observant sa réaction au termine de ce petit récit.

-Wen Meng tu disais donc… Une brute avec plus de tempérament que de jugeote, voilà une bonne sentinelle, déclara la mudang en se relevant.

Faisant lentement le tour du matériel de la cérémonie du thé en tapant de manière régulière son éventail dans la paume de sa main opposée, l’assassine poursuivit tout en se mettant sur les genoux.

-À quoi sert le talent sans l’intelligence ? Contrairement à lui, nous avons tous les deux pensés à la nécessité de former une équipe.

Deux doigts vinrent se poser sur le bas de l’omoplate de Cai pour remonter, imitant deux jambes, jusqu’au sommet de l’épaule où la demoiselle à la chevelure magenta serra les doigts pour caresser la nuque du jeune homme tout en s’en servant d’appui pour se relever.

-Est-ce que Wen Meng seul suffira à notre réussite ? Je vais chercher si je ne trouve pas quelqu’un d’autre à rajouter au groupe pour renforcer les possibilités et… Il faut aussi considérer des éléments de rechange…

Faisant le tour à nouveau pour revenir à sa place d’origine, faisant mine d’observer le mur en réfléchissant, la « Jang » laissa son kimono glissé pour dévoiler son épaule. Faisant mine de ne pas l’avoir remarqué en raison d’une intense réflexion.

-Si jamais un membre de l’équipe meurt, il faudrait quelqu’un pour le remplacer immédiatement afin d’éviter que l’échec d’un signifie l’échec de tous.

Accepterait-il Dandan dans l’équipe après tout ça ? Etait-elle parvenue à susciter un minimum de désir chez le Yan pour le perturber ? « Remarquant » enfin son épaule dénudé, l’Ombre d’Imjin remonta le tissu avant de pivoter pour s’asseoir et venir chercher avec précision et délicatesse un des biscuits, le capturant entre deux doigts telle une pince. Avec douceur, « Sejeong » porta l’aliment à ses lèvres nimbés du rouge éclatant, luisant. Ses dents se refermèrent et d’un geste délicat de la tête elle brisa en deux le biscuit avant de refermer sa mâchoire. L’apprentissage intensif des arts traditionnels, telle la cérémonie du thé, avait l’avantage pour la meurtrière de pouvoir maîtriser la vitesse de ses gestes pour le calé sur un rythme précis, et en l’occurrence celui-ci était étudier pour ne pas perde l’attention de son interlocuteur à partir du moment où il la vit s’emparer de l’aliment.

-Qu’en penses-tu ? … Cher partenaire.

De la retenue, de la maîtrise, du désintérêt soupoudré d’une gestuelle se voulant « fascinante » après la mise en avant d’intérêts « attractifs » pour la gent masculine, ou les femmes appréciant leur propre sexe…

Cai n’était pas tellement convaincu que cela par les dires de son interlocutrice. Ce n’était pas qu’il ne voyait pas la logique de celle-ci, mais il se disait que recruter une larve en comptant sur une potentielle métamorphose d’ici la fin de l’expédition n’était pas exactement le choix le plus judicieux… Bien entendu, c’était un pari qui pouvait aboutir sur certains gains ; toutefois, cela relevait assurément plus d’une loterie que d’un pile ou face. D’autant plus que même si Dandan se montrait plus douée qu’elle n’en avait l’air, il doutait très fortement d’un jour voir le tableau exagéré dépeint par Jang. Il était donc plus que normal pour le brun de se retrouver réticent quant à l’inclusion d’un tel élément dans son équipe de choc, à fortiori lorsqu’il ne se rappelait jamais avoir vu la fille des Xie briller par autre chose que ses modestes charmes.

D’un autre côté, il devait y avoir un peu de vrai dans cette histoire si Sejeong insistait autant sur le sujet : le Héros inexpérimenté s’imaginait mal sa comparse essayer de venir en aide à la concernée par pitié. Pourquoi donc aurait-elle attendu jusqu’à maintenant si elle tenait assez à Dandan pour défendre son cas ? Aux yeux du Yan, une telle tirade ne pouvait être qu’une tentative assumée de le faire accepter l’utilisatrice de flammes comme l’une des leurs. Au final, le bourreau des cœurs ne savait pas trop comment réagir dans cette situation. Ce n’était pas comme s’il était complètement opposé à l’inclusion d’une personne docile pouvant servir de leurre au besoin, à fortiori lorsqu’il ne pensait pas spécialement avoir du mal à se faire obéir par quelqu’un comme la brune. Néanmoins, ce n’était pas non plus comme s’il pouvait prendre à la légère la décision d’inclure un maillon faible dans leurs rangs. Il y avait aussi un autre point qui le dérangeait…



C’était assurément ce que Cai aurait fait à sa place, et il lui était donc difficile de s’ôter ce genre de scénarios de la tête… Bien que préoccupé par cette possibilité, il fut tout de même surpris par le numéro de charme imprévisible de Sejeong. Jamais il n’aurait cru cela possible de sa part, car rien de ce qu’il savait sur elle ne lui avait indiqué qu’elle était en mesure de se comporter de la sorte. Habitué des soirées et autres bars de nuits, le coureur de jupons avait vu son lot d’hommes et de femmes tâchant de séduire quelqu’un. Par conséquent, il ne pouvait pas se tromper en jugeant son hôte comme quelqu’un de bien versé dans cet art. Mi-captivé et mi-conscient d’où la Jang voulait en venir, il se rinça volontiers l’œil en acquiesçant aux paroles de l’Héroïne. Par contre, il ne comprenait franchement pas pourquoi Sejeong était prête à aller aussi loin pour le convaincre de laisser une chance à Dandan. Au vu des circonstances, il craignait de voir la première se braquer totalement s’il ne donnait pas une chance à la seconde.

Sur une autre note, Cai devait bien admettre que la demoiselle soulevait des points intéressants auxquels il n’avait pas encore eu le temps de penser étant donné son empressement de réunir une équipe décente. Notamment en ce qui concernait Meng ; même s’il n’était pas stupide, il pouvait se montrer affreusement irréfléchi selon les circonstances. Cette faiblesse pouvait être exploitée par le second fils des Yan, mais aussi par leurs ennemis, mine de rien… Bien sûr, demander à Meixiu de veiller à calmer les ardeurs de son amoureux pouvait y remédier partiellement ; toutefois, cela ne faisait pas de mal de prendre les devants en trouvant une seconde personne capable de se battre au corps-à-corps – à part le dragueur, forcément. Quel était l’intérêt d’avoir une formation équilibrée si un seul mort pouvait complètement changer la donne ? Le seul souci était le manque de candidats intéressants ou n’appartenant pas déjà à une clique dans leur classe… Chercher la perle rare parmi le reste de la promotion allait s’avérer compliqué.



Le Casanova marqua ensuite un temps d'arrêt, donnant l'air de choisir ses mots avec soin. En vérité, il savait déjà ce qu'il voulait signifier à Sejeong : il voulait juste s'assurer de passer le message sans la froisser. Après tout, il ne voulait pas risquer de la perdre pour si peu.

Il commençait à entrevoir la possibilité, bien qu’il pouvait mentir pour essayer de lui faire plaisir.

-Qu’elle nous inclut ou pas est peu important tant que je suis là pour la gérer. Mon pouvoir aqueux est en parfaite opposition avec le sien et je pourrais nous protéger de ses déflagrations en générant l’eau adéquate.

Amusé par ce jeu d’argumentaire, la demoiselle à la chevelure magenta laissa ses mains tissées d’invisible fils, sauf que ce qui fut créait était une petite boule d’eau dont la meurtrière s’entraînait à maintenir la forme de manière stable.

-Cela me convient parfaitement. Je vais tâcher de chercher de mon côté par conséquent et évaluer l’intérêt de prendre Dandan en comparaison de ces potentialités multiples.

Faisant à nouveau le tour de son interlocuteur, la demoiselle se plaça derrière lui à nouveau et laissa ses doigts glisser le long du cou de Cai, en une caresse se voulant sensuel, avant que ses ongles longs de se referme sur la gorge. Les lèvres de la Naksoo s’approchèrent de l’oreille pour y glisser langoureusement, mais avec une malice certaine, quelques paroles bien choisit.

-Notre pacte est scellé semble-t-il. Je suis ravie de faire avec vous.

A ces mots, elle se releva pour s’élancer en direction d’une des ouvertures dans le mur, sauter afin de passer au travers avant de générer une masse d’eau sous elle afin de ralentir sa chute pour atterrir sans trop de soucis au sol. Voilà qui était fait. Ce que Manwol venait de faire devait paraître clairement ainsi pour le jeune homme : incompréhensible. Des signaux contraires, une séduction s’achevant sur une étrange menace pouvant se masquer en un serment mystérieux, la volonté d’intégrée une rebus de l’Académie tout en ouvrant des possibilités à des recrutements ouvertement meilleur, un savant mélange de logique et d’irrationnel. C’était ainsi que c’était déroulé cette scène surréaliste. Pourquoi vouloir que Cai soit perdu ? Pour l’empêcher de réfléchir correctement sur ce que l’Ombre d’Imjin voulait, sur ses ambitions au sein de l’expédition et sur les raisons l’ayant poussé à accepter son offre. Manwol en avait peut-être trop fait pour ce seul objectif, mais c’était plus amusant de cette façon. De plus, elle pourrait vérifier s’il discutait de la rencontre pour répandre des histoires à son sujet. Cela l’aiderait à dresser sa liste…

Retournant au dortoir, « Sejeong » prit une inspiration avant d’entré dans la chambre. S’installant sur le matelas, la travailleuse acharnée chercha à observer avec attention la Xie si elle était là. Dans ce cas précis, la mudang prendrait la parole de manière détaché.

-Il y a quelqu’un qui forme un groupe pour l’Expédition… Sache que c’est possible que tu le rejoignes…

Suite à cela, sa tête tomberait sur le semblant d’oreiller, peu confortable étant donné la nature militaire du mobilier présent, pour faire mine de se reposer et comme si ça déclaration n’était qu’une information sans importance. Dans le cas contraire où Dandan s’était absenté, l’assassine sortirait arpenté les couloirs en quête d’un véritable allié à se faire… Le genre de personnes comme elle s’étant inscrit simplement pour profiter de la situation mais qui n’avait pas du tout envie de jouer au héros ou au chevalier servant une fois le diplôme obtenu.

Cai était pour le moins circonspect ; il n’avait même pas eu le temps de finir sa phrase que Sejeong avait déjà pris la poudre d’escampette. En vérité, cette entrevue l’avait laissé avec plus de questions que de réponses, ironiquement. Il avait même eu la nette impression de pactiser avec le diable sur la fin. Ce que le Casanova pouvait toutefois déduire avec certitude, c’était que cette fille n’était pas comme les autres… Dans quel sens ? Il aurait bien aimé avoir la réponse à cette question. Entre les jeux de charme, les propositions sorties de nulle part et les arguments méritant d’être entendus, la médaillée de bronze lui avait donné tant d’informations contradictoires qu’il ne savait véritablement plus comment la décrire. Était-elle une bonne élève, une découvreuse de talents, une séductrice discrète ou bien un mélange des trois ? À moins que tout ceci ne fût un stratagème élaboré visant à accomplir un objectif échappant actuellement à la compréhension du jeune homme ? Ce dernier n’avait aucun moyen d’en être sûr dans l’immédiat, mais il ne manquerait pas d’y réfléchir plus en détails… tandis qu’il rangeait le service à thé laissé par la demoiselle dans sa hâte. Il ne s’était pas vraiment trouvé une passion pour le ménage, pas plus qu’il ne désirait empêcher la perte des affaires de sa coéquipière : il ne voulait juste laisser aucune trace susceptible de trahir l’objet de leur visite en cette soirée.



En tout cas, la Jang cachait bien son jeu, c’était certain. Ce n’était pas l’envie qui manquait à Cai de discuter avec autrui des bizarreries qu’il avait pu noter sur son compte afin de tâter le terrain à son sujet. Néanmoins, il n’était pas sot : une telle initiative le verrait perdant dans tous les cas. Soit il révélerait à ses interlocuteurs ce qu’il faisait actuellement – ce qui inciterait irrémédiablement les « solitaires » de sa trempe à l’imiter –, soit il ternirait sa propre image pour un rien. Après tout, les autres élèves avaient de grandes chances de considérer ses paroles sur Sejeong comme une tentative de souiller la réputation d’une conquête lui ayant échappé. Certes, le coureur de jupons ne l’avait jamais fait auparavant et ne comptait jamais le faire – l’océan était bien assez vaste pour ne pas maudire un malheureux poisson passé entre les mailles du filet –, mais allez donc expliquer cela à une plèbe assoiffée de divertissement. Il était donc plus sage aux yeux du Héros en herbe de garder toute cette histoire pour lui dans un premier temps. Après avoir dissimulé le service à thé et la boîte entamée de biscuits dans sa cachette habituelle, il retourna aux dortoirs et passa le plus clair de la nuit à ruminer les événements de la veille. Avait-il fait le bon choix en invitant l’utilisatrice d’eau ?






Elle avait bien entendu les mots de Sejeong, mais il lui avait fallu quelques secondes pour en comprendre le sens réel. Quelqu’un préparait une équipe en vue de l’expédition ? Ce n’était pas étonnant, les amis comptaient déjà braver les terres inhospitalières du nouveau continent ensemble. La partie qui la faisait douter, c’était celle la concernant. Quelqu’un voulait d’elle, l’une des dernières de la classe, dans son groupe ? Impensable, elle ne s’était jamais démarquée en bien jusque-là ; la seule personne qu’elle s’imaginait l’inviter était Meixiu, et c’était loin d’être certain. La brune aurait pu prendre les dires de sa copine de chambre pour une blague, mais elle n’en fit rien. Après tout, elle avait du mal à se souvenir d’une plaisanterie venant de la Jang, à fortiori à ses dépens. Par conséquent, elle ne voyait qu’une seule solution logique au problème posé sur le moment : Sejeong avait été invitée à rejoindre l’équipe, et elle avait glissé un petit mot à son sujet au recruteur. Dandan était convaincue que c’était peu ou prou ce qui s’était passé ; toutefois, il restait tout de même une zone d’ombre dans ce scénario... Pourquoi aurait-elle fait cela ? La servante officieuse savait que sa camarade de classe était gentille, mais elle n’aurait jamais cru que celle-ci se souciait de son sort à ce point…

Il fallut du temps pour que l’information arrive au cerveau visiblement. Heureusement, Dandan ne faisait pas juste semblant d’écouter sa camarade de chambre. La réaction ne se fit pas trop attendre malgré tout et c’est en tournant son regard vers celle qui par épiphanie comprenait que les fils du destins s’emmêlait. Son air de chien battu était surprenant mais la Naksoo n’y réagit guère. La réponse qu’elle offrit d’abord fut celui de ses enseignements de mudang, des paroles de cultistes derniers gardiens des traditions d’un pays aujourd’hui presque oubliée.

-하늘이 무너져도 솟아날 구멍이 있다. 오늘 걷지 않으면 내일은 뛰어야 한다.

Se doutant que sa camarade ne comprendrait pas sur le coup ces paroles, la femme à la chevelure magenta prit le soin de traduire pour elle avec sa rhétorique rituel ancestrale.

-Même si le ciel tombe sur toi, il y a toujours un trou par lequel tu peux t’échapper. Si tu ne marches pas aujourd’hui demain tu devras courir.

Un sourire se dessina au coin des lèvres. S’amusait-elle de la réaction de sa camarade ou de ses propres paroles ? Un peu des deux mais Dandan ne pouvait le deviner. Manwol se redressa pour regarder plus intensément la Xie. Les iris devenus dorés le jour où la poussière d’Antiqua avait chu sur les terres de Moderna transpercèrent le regard de cette demoiselle qui avait perdue la foi en ses facultés, en son potentiel et en sa potentielle destinée.

-J’en ai fait la demande car cela n’est que justice. Tu travailles bien plus ardemment que la majorité des idiots d’élèves de cette académie. J’ai plus confiance en ta capacité à agir de manière effective, efficace et concrète qu’en l’adaptabilité de ceux qui pensent que seules les pouvoirs comptent.

Approchant sa main, l’Ombre d’Imjin la posa sur l’épaule de cette brave fille qui faisait du mieux qu’elle pouvait, mais qui était destinée à mourir.

-S’ils décident de m’exclure, alors c’est qu’ils ne comprennent pas cette réalité. Tu as souffert du traitement que t’as infligée Meixiu et tu n’es pas parvenue à te libérer de ce fardeau, certes… Mais comment cette dernière fera-t-elle sans toi pour gérer son quotidien une fois sur Antiqua ? Le danger ne vient pas que de bêtes féroces et plantes monstrueuses : tout ne repose pas sur du combat. La vigilance doit demeurer permanente et beaucoup néglige cette réalité : cette vigilance s’applique à chaque geste du quotidien. Un élément toxique ou un insecte au venin létal pourrait se cacher dans le moindre plis de vêtement, se draper d’un voile invisible au cœur des ténèbres nocturnes, remonter le flot d’urine d’un de ces mâles fiers de leur attirail. Toi qui t’es fais réprimander pour chacun de tes actes car selon Meixiu ce n’était jamais assez bien, tu es la meilleure de cette promotion pour repousser de tels dangers, pour garder en l’instant le plus anodin l’esprit concentrée sur la tâche exécutée. A vraie dire, j’espère d’ailleurs qu’en te recrutant je ne condamne par mademoiselle Tan à trépasser pour une erreur du genre.

Son sourire se fit bienveillant alors qu’elle manipulait les mots pour tourner en une vision avantageuse la docilité de la demoiselle ainsi que transformer les labeurs vécus en un entrainement qui au final pouvait non seulement lui sauver la vie mais également celle de toute son équipe.

-Personne ne t’as accordé d’importance… Alors tire partie du fais qu’ils te sous-estiment pour leur montrer qu’ils ont torts et qu’en vérité tu es essentielle.

Se levant, la Naksoo s’étira en regardant le mur pour ponctuer sa prise de paroles d’une dernière bouteille jetée à la mer pour se raccorder à ce qu’elle avait pu dire plus tôt.

-Et qui sais, par-dessus le marché, face à une menace n’ayant rien d’humain ou de naturel, peut-être trouveras-tu la force de puiser dans ton potentiel… Comme de toute manière je peux contrer ton pouvoir avec le mien, je n’ai aucunement peur que tu me fasse le moindre mal.

L’incompréhension était évidente sur le faciès de Dandan face au langage avec lequel elle était peu familière. Elle avait initialement cru avoir malentendu, mais la traduction faite dans les plus brefs délais avait su lui faire réaliser l’essence du problème. Force était de constater qu’elle avait eu du mal à trouver un sens aux dires de sa copine de chambre dans un premier temps. Néanmoins, la servante officieuse n’abandonna pas pour autant la partie et tâcha de décrypter ce proverbe. Si c’était Sejeong qui disait cela, il devait nécessairement y avoir une pépite de sagesse cachée derrière cette métaphore. Au final, le message qu’elle voulait lui transmettre lui apparut éventuellement limpide : il y avait toujours de l’espoir, il fallait juste savoir prendre sa vie entre ses mains pour en profiter. C’était ce que la Xie avait compris. Toutefois, elle n’était pas si sûre que cela que ces belles paroles s’appliquaient réellement dans son cas… Lorsqu’elle se rendit compte du regard insistant de sa camarade, elle tourna d’abord la tête vers le bas – un réflexe développé au cours de l’année précédente – avant de se souvenir qu’elle n’avait pas besoin d’agir de la sorte avec une amie. Alors, les paroles suivantes de l’assassine fusèrent tels des poignards, se frayant peu à peu un chemin vers le mal-être de cette jeune fille au cœur trop pur pour la dure réalité de Xiaolong. C’était comme si la Jang s’évertuait à chasser un à un les démons de son interlocutrice.



Comment faisait-elle ? Comment parvenait Sejeong à adresser les tracas de Dandan aussi méthodiquement ? La génératrice de flammes n’en revenait pas tant elle était émue. Tous les jours, on lui répétait par des gestes, des mots, et son traitement en général qu’elle était la dernière de leur promotion, une idiote qui ne pouvait même pas utiliser son pouvoir au besoin. À force d’être traitée comme une créature insignifiante, elle avait fini par jouer le rôle naturellement. Pourtant, elle n’avait jamais lâché l’affaire. En effet, et malgré ce que le reste de sa classe pouvait penser, la « faiblarde » s’entraînait tous les jours d’arrache-pied pour saisir le fonctionnement de son pouvoir. Après tout, elle s’était enrôlée pour dompter cette capacité meurtrière, indésirable au possible, qui hantait son existence depuis cette journée fatidique. Ce n’était pas pour rien qu’elle réussissait à garder de bonnes notes sur le plan théorique malgré ses résultats pratiques souvent catastrophiques. Dans son temps libre, la servante officieuse faisait tout pour comprendre Antiqua ; ce n’était non pas à cause d’un intérêt prononcé pour l’exploration comme moult éléments naïfs, mais dans l’optique de comprendre la source de son pouvoir, de se comprendre elle-même, en somme. En plus de cela, elle se devait d’obéir à Meixiu au doigt et à l’œil, car la réputation de son amant suffisait à dissuader pire que la contrôleuse de tissu.

Jongler entre tant de choses sous les railleries de son entourage et avec un support moral assez faible était un défi quotidien. Si elle se faisait disputer sans cesse par la fille des Tan, ce n’était pas par sadisme – la concernée se voyait au-dessus de cela compte tenu de son ardent désir de rejoindre la « haute société » –, mais bien parce que la médaillée aux flammes avait tendance à commettre des erreurs en permanence. Pouvait-on réellement le lui reprocher, cependant ? La Xie était en permanence surchargée, pour ne pas dire exténuée. Le nombre de fois où elle s’était écroulée sur son lit comme une bûche à la fin de la journée en étonnerait plus d’un. Comme à l’accoutumé, elle était fatiguée cette soirée-là ; pourtant, les paroles réconfortantes de cette fille excentrique l’ayant accompagnée durant le gros de sa formation réussirent petit à petit à gommer son épuisement. C’était fou à quel point l’on pouvait se sentir léger lorsque l’on avait au moins une personne sur qui compter. Enfin voir ses efforts reconnus après tout ce temps était tout bonnement libérateur pour Dandan. Pour la première fois depuis des mois, elle entrevoyait l’espoir que Sejeong essayait de lui transmettre. Aussi, elle finit sans grande surprise par céder à ses émotions, laissant un flot ininterrompu de larmes couler le long de son visage. Elle se jeta sans l’once d’une retenue vers la Bulgae d’Imjin avec l’intention manifeste de la serrer dans ses bras de toutes ses forces, de pleurer sur son épaule comme sur celle d’une amie de longue date.



C’était la seule chose qu’arriverait à comprendre l’assassine parmi les baragouinages futiles de cette demoiselle décidément très émotive cette nuit-là. Force était de constater que la tentative de Manwol de rassurer sa camarade de chambre n’avait que trop bien marché, au point où elle avait réussi à mettre Dandan dans tous ses états. Il faudrait un long moment à cette dernière pour enfin se calmer et exprimer sa gratitude profonde envers Sejeong. Elle collerait d’ailleurs sa chère amie aux basques durant la soirée jusqu’à finalement céder comme souvent à l’appel de Morphée. Malheureusement pour la Xie, il y avait une différence nette entre la fatigue mentale et la fatigue physique ; or, elle était toujours exténuée malgré son sentiment d’un peu plus tôt. Elle aurait vraiment aimé passer plus de temps avec la Jang, mais elle ne pouvait lutter indéfiniment face à un besoin primaire aussi fort. Ce serait donc sur cette note que s’achèverait l’entrevue avec Dandan Xie, aussi connue sous le nom de Fireflies. La soirée pourrait également se terminer sous cette note si la Vilaine l'entendait de cette oreille.

L’assassine laissa la jeune demoiselle se jeter sur elle. Surprise malgré tout au début par cet élan d’émoi, le visage de l’Ombre d’Imjin se ferma tandis que ses bras demeuraient tendu afin que Dandan puisse placer son étreinte comme elle le désirait. Puis, doucement, celle qui se faisait appeler Sejeong referma sa propre étreinte sur celle de son interlocutrice, la main venant s’apposer à l’arrière du crâne pour tapoter doucement la tête de la Xie. Cela relevait d’un aspect très maternel : la maman réconfortant son enfant. Cela faisait partie du job de mudang après tout, satisfaire et convaincre au plus loin possible ses clients de la véracité de ses visions. Manwol s’était habitué à tolérer de tels contacts dans le cadre de son travail, tout comme elle avait été amené à apprendre quelques méthodes de séduction afin de pouvoir attiser au besoin l’intérêt de quelques mâles pour les rendre influençables. Toute la dimension cultuelle demeurait une vrai croyance, mais le travail de médium en lui-même nécessité ces subtilités d’arnaqueurs pour parvenir à convaincre les produits d’une société qui se détachait de plus en plus de la croyance pour se dédier toute entière à une science qui abandonnait espoir et magie au profit de la raison et du divertissement. Les doigts de la Naksoo s’immisçaient tel un peigne dans la tignasse durant plusieurs allez retour tandis que « Sejeong », le visage on ne peut plus neutre en l’absence du regard de son interlocutrice, attendait que Dandan se décharge de ses tensions et de toutes ses émotions. Progressivement, le calme revint, amenant la Xie à multiplier les remerciements, remerciements auxquelles la meurtrière répondait en s’inclinant légèrement et sobrement, un sourire aux lèvres.

La jeune camarade de chambre suivit Manwol durant quelques périgrinations de la soirée. Si cela irritait le Bulgae d’Imjin qui aurait aspiré à davantage de marge de manœuvre, elle tâcha de ne pas le laisser transparaître. Même lorsque certaines personnes croisèrent le binôme, si ces dernières regardaient étrangement cette association nouvelle affiché entre Sejeong et Dandan, un simple regard noir de la prétendue Jang chercherait à cueillir en plein vol les questions pour leur interdire de se prononcer. Des rumeurs allaient certainement courir sous peu, mais hors de question que quelqu’un vienne perturber cette ambiance de détente dont pouvait profité la Xie. Finalement, la concernée s’écroula dans son lit. Plaçant la couette sur le corps frêle de la pauvre domestique officieuse, Manwol fit craquer ses épaules avant de s’approcher de son lit pour saisir son épée traditionnel. Sortant à l’extérieur, le dao à la main, la meurtrière se mit en action pour une petite séance d’entrainement nocturne. Avec la place prédominante de la Lune dans son culte, il était certains que cette ambiance seyait à la demoiselle aux iris dorées dont la chevelure magenta dansait dans les ténèbres. Dessinant des cercles avec sa lame qui tournoyait dans sa paume, la femme doté du pouvoir de génération aqueuse dessinait de véritables roues d’eau qu’elle projetait par la suite contre les arbres afin d’en abimer l’écorce. Suite à cela, elle se concentra à générer une sphère d’eau dans son autre paume, puis planta dans cet orbe sa lame qui s’enroba du fluide avant que celui-ci ne soit projetés dans différentes directions tandis que la Naksoo tournait sur elle-même autour d’un axe vertical. Suite à cela, elle prit un instant de pause et observa les environs. Après tout, le Bulgae d’Imjin cherchait des personnes qui comme elle aurait décider de venir profiter de l’obscurité pour s’entraîner… ou préparer quelques magouilles ou malversations variées.

La mudang n’eut pas besoin de chercher bien longtemps avant de trouver une personne qui semblait tout autant apprécier l’exercice au clair de lune. En l’occurrence, il s’agissait d’un jeune homme torse nu et couvert de cicatrices en tout genre qui s’attelait à combattre un ennemi imaginaire. Il frappait tout bonnement dans le vent, en somme. L’individu se trouvait à deux terrains de la position initiale de Sejeong, dans un lieu pas spécialement plus à l’abri des regards que celui choisi par l’assassine. Cependant, ce choix était probablement plus motivé par l’interdiction formelle de sortir de l’enceinte de l’Académie de nuit que par une quelconque affection portée à cet emplacement. Les enchaînements du Héros en devenir se suivaient avec une fluidité certaine, un fait témoignant sans nul doute des heures passées à répéter encore et encore les mêmes mouvements. La lueur de l’astre nocturne se reflétait aisément sur sa peau perlée de gouttes de sueur ; en cela, on pouvait deviner sans peine qu’il pratiquait son art martial depuis un long moment déjà. Il n’était pas bien compliqué de noter l’acharnement de ce drôle de personnage compte tenu de son refus de faire une pause malgré son souffle haletant. D’un côté, il était aisé de penser que ce garçon était déraisonnable, voire autodestructeur. D’un autre, ne fallait-il pas faire preuve d’une détermination sans pareille pour s’infliger ce genre de supplices afin de transcender sa condition ? Si l’opinion qu’on pouvait se faire au sujet du comportement de cet acharné notoire pouvait fluctuer d’une personne à une autre, son identité demeurait la même dans tous les cas.

Son nom ? Xiaodan Yu. Il s’agissait d’une petite célébrité au sein de la promotion dont était issue Sejeong, tant et si bien qu’elle n’aurait pas spécialement eu besoin de se fouler pour récolter quelques informations juteuses le concernant en dépit d’une appartenance à différentes classes. Malheureusement, celles-ci relèveraient probablement plus de rumeurs véhiculées par des jeunes ne se suffisant probablement pas des œuvres de fiction et autres ouvrages plus sérieux issus de la bibliothèque pour leur divertissement. Parmi les récits farfelus qu’aurait pu entendre la Vilaine déguisée, l’on pouvait compter une prétendue immunité à la douleur ou encore une histoire de réincarnation de figures célèbres du temps de la fission de l’empire Han. Toutefois, certaines vérités semblaient être mêlées à ces histoires douteuses, notamment le sérieux virant au fanatisme avec lequel Xiaodan était censé s’entraîner. Après tout, la rumeur voulait qu’il travaillât jour et nuit jusqu’au sang. C’était probablement une exagération, mais il était impossible de réfuter entièrement les dires de la pipelette de l’Académie dès lors qu’on avait un tel spectacle sous les yeux. En tout cas, force était de constater que malgré ses efforts évidents, le Yu ne s’apparentait pas vraiment à la crème de cette promotion. Pour l’instant, le jeune homme n’avait pas remarqué les potentiels regards scrutateurs dirigés à son encontre par l’assassine : il était bien trop absorbé par ses exercices pour cela.

-Xiaodan Yu. Cela faisait longtemps, glissa la Naksoo dans un murmure.

Couverte du manteau nocturne, l’agile assassine faisait quelques exercices de parkour en allant de branches en branches, tournant dans les airs autour de la position de celui qu’elle avait finit par observée. Ce n’était à vrai dire pas la première fois qu’elle croisait cet autre noctambule. D’habitude, ils avaient tendance à s’éviter histoire de s’entraîner chacun dans leur coin et ne pas se gêner mutuellement. Elle n’avait aucune idée de la véracité des rumeurs concernant cet énigmatique personnage, mais étant une cultiste, la légende de réincarnation potentielle n’était pas quelque chose de fondamentalement irrationnel à ses yeux. Cela ne justifiait pas une destinée toute tracée mais pouvait qualifié un potentiel. Quels glorieux êtres d’antan étaient revenus sous de nouvelles apparences ? Combien d’entre eux n’étaient demeurés que des humains lambdas ? Combien avaient recouvrés dans leur nouvelle existence un nouveau statut d’envergure ? En tout cas, cela titillait la curiosité de Manwol. Néanmoins, ce qui expliquait la forme de respect qu’éprouvait l’Ombre d’Imjin envers cet individu était ce dévouement corps et âme au travail de ses capacités physiques. Après tout, c’était elle-même le quotidien de sa vie pendant de nombreuses années et retrouvés quelqu’un d’aussi acharné qu’elle à progresser ne pouvait que dégagé une forme d’empathie envers ce camarade, peu importait que ses objectifs étaient différent des siens ou non. Le regard de « Sejeong » virevolta d’une cicatrice à l’autre, énumérant ces dernières afin de voir qui parmi eux deux avant la plus, néanmoins il faudrait se retrouver dans l’intimité d’une couche pour que la comparaison soit profondément pertinente vu les emplacements parfois très secrets de certaines d’entre elle. Les paupières de la demoiselle à la chevelure magenta se refermèrent alors qu’elle se remémorer justement l’assaut qui avait causé sa blessure la plus intime. Ses dents grincèrent et son regard se rouvrit sur la Lune, l’astre nocturne dont Imjin était le messie. La divinité éburnéenne envahissait le firmament de ses rayons purificateurs.

Oui, cette puissance divine qui commandait aux marées, qui contrôlait les eaux océaniques, c’était en sa présence que ses pouvoirs pouvaient se déployer naturellement le plus efficacement. Ses pouvoirs n’étaient pas encore assez développé pour être réellement impacté par le phénomène de marées, néanmoins sa foi dans les Mystères d’Imjin était suffisante pour ancrer une forme de réalité dans son esprit vagabond. La lame d’acier de la meurtrière se para d’un voile aqueux alors qu’elle dressa son extrémité en direction du ciel étoilé. Les reflets vespéraux couraient le long du liquide tandis que la demoiselle se dressait debout sur ses deux jambes, son regard glissant le long du fluide pour finalement se porter sur l’homme solitaire s’entrainant au cœur des ombres de la sylve. Un légèrement retroussement de lèvres laissa apparaître un rapide sourire, si éphémère qu’il pourrait paraître pour un spasme. D’un geste, Manwol trancha l’espace devant elle.

L’eau jaillit en direction de sa cible tandis qu’elle descendait en courant le long du tronc, achevant son avancée par un saut périlleux. Lorsque l’assaut de fluide aurait atteint Xiaodan Yu, les trois sphère d’eau qui entouraient sa main se transformèrent en une sorte de gant alors qu’elle s’élançait dans un coup d’estoc que la Naksoo stoppa pour faire pivoter sa lame, faisant passer le tranchant de la verticale à l’horizontal afin de changer l’orientation de son attaque. Le coup d’estoc se transforma en attaque latérale dont l’assassine se servit de l’impulsion pour tournoyer sur elle-même en baissant progressivement son arme pour revenir face à sa proie, plantant la pointe d’acier dans le sol. L’eau s’infiltra en quantité dans la terre forestière, la gorgeant progressivement pour transformer l’espace séparant les deux étudiants en une zone extrêmement boueuse et glissante. Ne disant toujours rien, prête à placer son gant d’eau devant elle afin de générer un bouclier aqueux ralentissant tout coup qui chercherait à l’atteindre, celle se revendiquant de la maison Jang vint ébrécher son propre épiderme afin de laisser quelques perles de sang courir sur le métal de son arme. Finalement, se mettant en garde, Manwol généra un geyser à partir de sa lame, le liquide incorporant alors le magma organique de la vie, pour former une courte salve se dirigeant vers Xiaodan. Profitant qu’il ait le cas de ce projectile à gérer, « Sejeong » glissa dans la boue grâce à sa main gantée d’eau qui facilitait l’interaction physique entre les deux milieux et rendait le déplacement légèrement plus véloce. Pivotant dans le même mouvement, l’ombre d’Imjin déploya la jambe pour présenter le talon à son adversaire dans un coup de pied visant le menton, à ceci prêt que le membre ne vint pas lui-même au contact en laissant cela au soin d’une sphère aqueuse.

Ramenant sa jambe, la Porteuse des Larmes planta son arme dans le sol en la lâchant cette fois-ci et ce dans l’optique de sauter à pied joint sur le manche et passer dans la posture du li bu, sur une seule jambe. Ses mains ayant dessinés deux spirales se rejoignirent devant sa poitrine pour former une sorte de bouche où l’eau générer progressivement forma une nouvelle sphère qui s’élança vers l’autre étudiant pour exploser à l’impact en mille éclats aqueux. Sautant déjà à nouveau en saisissant en plein vol le manche de son épée pour effectuer roule juste avant de toucher le sol et extraire violemment la lame dans un mouvement générateur d’une arc de cercle d’eau. Suite à cela, ses pieds enfoncés dans le sol spongieux, gorgées de liquide, Manwol reprendrait sa respiration lourde en observant le Yu et en « époussetant » l’acier de tout fluide dans un geste précis et brusque qui se figea toujours dans une position de garde.

-La nuit tous les chats sont gris.

Toute forme d’animosité s’était envolée de la posture de l’assassine.

-Ce n’est pas première fois que nous nous entraînons à des heures similaires, mais je me suis rendu compte que nous n’avions jamais essayé de nous surprendre alors que les dangers nocturnes d’Antiqua pourraient nous assaillir d’une telle manière.

Ne voulant pas ranger son épée, la Naksoo, qui avait dépensé par mal d’énergie dans cet enchainement plutôt acrobatique, tentait de revenir à un contrôle plus fin de son pouvoir en retransformant le gant d’eau en plusieurs boules tenant dans sa paume. Cela allait encore plus la fatigué, mais il fallait bien atteindre ses limites pour essayer d’aller au-delà, d’encore progresser.

-Que dirais-tu de s’entraîner ensemble cette nuit ?

D’aucun trouverait à redire à la manière dont la demoiselle engageait la conversation. La velléité apparente pourrait en effet pousser à la colère. Néanmoins, la femme dont le sourire absent était couvert d’une cicatrice pariait sur le sérieux et le désir d’entrainement de son interlocuteur pour que celui soit tenté par la proposition et comprenne profondément les motivations de cette altercation surprise n’ayant absolument aucun fondement social.

Xiaodan devait s’avouer circonspect quant à l’arrivée inopinée de cette figure marchant une fine ligne entre l’étrangère et la connaissance. De mémoire, cela devait bien être la première fois qu’elle l’approchait aussi directement. Après tout, il n’y avait pas de véritable raison d’interagir l’un avec l’autre lorsque leurs objectifs respectifs étaient tout tracés ; c’était d’autant plus vrai si l’on prenait en considération la différence flagrante de leurs exercices de prédilection. L’une pratiquait ses pouvoirs en tandem avec sa maîtrise des armes blanches là où l’autre ne pouvait que se concentrer sur son corps, faute de mieux. La seule similitude entre leurs styles était une appartenance à la grande famille des arts martiaux, mais pouvait-on seulement considérer cela comme une raison valable de se rapprocher, de s’aider mutuellement à se tirer vers le haut ? Non, clairement pas ; il n’y avait qu’à voir les conflits stériles perpétuels entre l’Hongwu et l’Edo, pourtant parties intégrantes l’une de l’autre en des temps lointains. Par conséquent, le jeune homme était plus qu’en droit de se demander ce que cette donzelle lui voulait. Elle ne l’approchait fort probablement pas de façon désintéressée tout du moins, car elle aurait tenté de briser la glace bien avant cela si c’était dans sa nature. La méfiance était de rigueur dans ce genre de situations, on ne savait jamais quand un arnaqueur – arnaqueuse, présentement – de première allait pointer le bout de son nez.

Si le Yu s’attendait donc à une entourloupe, il en eut pour son argent lorsque ce fut plutôt une agression en règle qui suivit des acrobaties auxquelles il ne voyait initialement aucune utilité. Une personne ordinaire aurait probablement été prise de court, condamnée à encaisser passivement le projectile ; toutefois, le Fauve Bleu de Mungpo était loin d’être ordinaire. Son instinct l’avait certes mis en garde à la seconde où il avait perçu le rictus de l’assassine, mais c’étaient plutôt les fruits d’années d’entraînement qui lui permirent de contrecarrer l’attaque d’une manière toute aussi frontale qu’inattendue. En effet, au lieu d’éviter l’eau lui étant destinée, il opposa son poing au projectile, qui éclata en une myriade de gouttelettes suspendues dans l’air. L’adepte d’arts martiaux n’eut malheureusement pas le loisir de profiter de ce spectacle dans la mesure où une lame perfide se fraya aisément un chemin à travers la nuée aqueuse, menaçant de le pourfendre. D’un mouvement si rapide qu’on l’aurait cru calculé, il tourna sur lui à l’horizontal de sorte à se décaler juste assez pour éviter une estafilade. Ce ne fut qu’après avoir vu la lame passer sous ses yeux qu’il remarqua l’angle particulier ; il se baissa sans une once d’hésitation, un réflexe salvateur qui lui permit d’éviter une blessure handicapante à seulement quelques jours de l’expédition programmée après leur remise de diplômes.

Alors que quelques-uns des cheveux coupés du combattant retombaient pour se mêler à l’humidité de l’air ambiant, il opta pour une roulade arrière afin d’esquiver le second tour en vu de sa position précaire. L’ainé de la fratrie Yu se releva dans la hâte tandis que le terrain le séparant de l’adversaire devenait boueux. Essoufflé par ces mouvements brusques ayant suivi un entraînement éreintant, il lui fut impossible de s’éloigner à vive allure de cette zone comme il aurait dû en être capable normalement. Ainsi, il fut obligé d’encaisser les salves d’eau de la Jang cette fois-ci, craignant que le sang contenu dans celle-ci ne l’aveuglât s’il la contrecarrait comme précédemment, quoique d’une façon moins spectaculaire. Les projectiles frappèrent lourdement son corps, mais il réussit au moins à protéger les parties essentielles comme la tête avec ses bras. Encore endolori, Xiaodan fut cependant en mesure de se défendre de l’attaque aqueuse suivante de la même manière que celle ayant lancé les hostilités. Il profita des énièmes acrobaties de la Jang pour reprendre son souffle, ce dont il avait désespérément besoin. Notant la différence entre le nouveau projectile et les précédents, il décida cette fois-ci d’esquiver d’un bond sur le côté, mais il n’avait pas été en mesure de prévoir la nature de l’assaut, résultant en une volée de projectiles qui le heurtèrent dans le dos. À ce niveau-là, il commençait vraiment à faiblir, mais la folle furieuse était passée du coq à l’âne une fois de plus…



Xiaodan n’avait pas eu le loisir de réfléchir aux motivations derrière cette agression durant le combat à sens unique, et c’était bien normal vu qu’il devait déjà consacrer toute son énergie à essayer de se défendre tant bien que mal malgré sa fatigue. De toute façon, il ne serait jamais arrivé à la bonne conclusion, car cette fille avait vraisemblablement une araignée au plafond. Certes, il pouvait comprendre la logique derrière une attaque surprise pour simuler les conditions imprévisibles d’Antiqua, mais depuis quand s’entraînait-on à armes réelles ? La seule raison pour laquelle aucun sang n’avait été versé à l’issue de cet échange tenant plus du lynchage, c’était l’habitude qu’avait l’adepte d’arts martiaux à se mouvoir et à se dépenser aux limites de son endurance. N’importe qui d’autre dans sa classe se serait fait laminer dans de telles conditions, il en était certain. Pour ce qui était de la proposition, la réponse était évidente compte tenu de tous les dégâts encaissés jusque-là et du fait qu’il était déjà fatigué.



Un seul coup d’œil suffirait à la demoiselle pour reconnaître la silhouette qui venait de la héler au loin : l'instructeur Jin. Il s’agissait de son professeur, un cinquantenaire s’étant rendu sur les terres inhospitalières du nouveau continent et en étant revenu pour raconter l’histoire. Il se déplaçait à vive allure et venait de ravaler la distance les séparant en une poignée de secondes. Une fois arrivé, il destinerait un regard autoritaire, les bras croisés, à son élève. Inutile de dire qu’il n’avait pas l’air particulièrement heureux, c’était la première fois que l’assassine le voyait faire cette tête à son encontre. L’objet de son ire semblait évident au vu des événements venant de se produire :

Alors que le jeune homme allait répondre à sa proposition, le premier mot semblant d’ailleurs préparer une réponse négative qui aurait bien déçue la demoiselle qui avait peut-être trop surestimé la détermination de l’homme qu’elle avait prit pour cible. Peut-être que les histoires qui courraient à son sujet avaient trop détournée la demoiselle de la logique, mais elle ne regrettait pas pour autant cette attaque surprise qui tirait partie de la fatigue de l’adversaire pour le mettre particulièrement en difficulté… De la même manière qu’une Ombre d’Imjin lui avait tirée une fléchette dans l’épaule au terme de sa première mission pour lui apprendre à ne pas considérer que la victoire était remportée avant d’être rentré au Quartier-Général. Néanmoins, Manwol n’aurait guère le loisir d’écouter la réponse puisque la voix du professeur retentit. Visiblement il avait assisté à la scène et bien entendue n’avait pas dû apprécier ce qu’il venait de voir. Profitant qu’il soit encore loin pour lever les yeux au ciel. Alors qu’il s’approchait à une vitesse hallucinante, « Sejeon » se tourna dans sa direction en s’inclinant respectueusement avant de poser un seul genou au sol tout en gardant le torse penché vers l’avant et en plantant son arme dans le sol boueux, manœuvre qui excéda le temps prit par le cinquantenaire pour la rejoindre. Sa chevelure magenta couvrait son visage tandis que les paroles du professeur résonnaient, laissant le temps à la « Jang » de terminer de reprendre sa respiration pour préparer sa réponse.

-Je m’excuse monsieur. Tout est ma faute. Je voulais perturber l’entraînement de Xiaodan Yu afin de le préparer à l’imprévisibilité d’Antiqua, mais dans l’excitation et ma hâte de me retrouver en ces terres pour mener à bien les objectifs qui nous serons assigner mes gestes sont aller bien au-delà du convenable. En me laissant emportée par l’envie de faire face aux enjeux et défis du Nouveau Continent j’ai mis en danger la vie de mon camarade et je mérite à ce titre une punition.

Plaçant le deuxième genou au sol, plongeant sa tenue dans la boue qu’elle avait elle-même générée, la demoiselle pivota vers l’ainé des Yu pour finalement se prosterner devant ce dernier.

-Je m’excuse humblement pour cela et j’espère que tu sauras trouver la force de pardonner ces velléités virulentes, si ce n’est cette nuit que cela soit d’ici notre départ. Sache que si tu as besoin d’un service ou d’intégrer une équipe pour l’expédition, je te dédommagerais de cette manière si tu t’es sentit mis en péril.

Ses mains quittant le sol pour écarter ses cheveux, couvrant une partie de ses joues de boue par la même occasion, la Naksoo se redressa pour regarder son professeur ayant déjà eu une expérience sur les terres où le désir la portait. Sans dire un mot, elle tira sa lame du sol et la fit glisser sur son bras jusqu’au biceps qu’elle s’entailla volontairement, laissant perler le sang sur la terre mouillée couvrant par endroit le métal. Serrant les dents pour gérer la douleur qui se déversait dans ses nerfs, encaissant sa propre blessure, son regard se dirigea vers celui de son professeur.

-Voici ma propre pénitence. Je vous prie de déclarer votre verdict monsieur. À quelle punition dois-je me soumettre ?

Cela serait-il suffisant pour surprendre et perturber le courroux qui s'était ériger ou la fureur était digne de celle de la Maison Naksoo qui ne se satisfaisait guère de remontrances et d'acceptations de ses propres erreurs pour passer l'éponge sur une opposition aux règles établies ?

Contrairement à un Xiaodan visiblement confus, Song Jin n’était pas particulièrement surpris par le comportement de Sejeong. Il l’avait guidée et côtoyée pendant une année ; c’était plus qu’assez pour jauger sa personnalité et deviner ses réactions potentielles. Cette révérence était l’une des raisons pour lesquelles il appréciait la Jang à titre personnel, mais il ne pouvait malheureusement pas fermer les yeux cette fois-ci. Le port d’armes réelles n’était pas interdit au sein de l’académie, pas plus qu’un entraînement nocturne se tenant entre les murs d’enceinte de Xiaolong. Le problème, c’était que le corps professoral s’attendait à une utilisation responsable de l’équipement autorisé : les élèves se devaient de s’en servir avec la même prudence que leurs pouvoirs afin de ne blesser personne. En cela, les efforts supplémentaires fournis par ces graines de Héros dans le but de contrôler leurs capacités étaient louables ; le Jin avait pu les constater à maintes reprises lors de ses habituelles rondes de nuit. Pour la même raison, l’essence de son mécontentement était évidente.

Bien sûr, Song ne doutait pas des intentions de sa protégée, d’autant plus qu’elle avait déjà mis fin aux hostilités à son arrivée. Ce n’était pas l’envie qui lui manquait de faire comme si de rien n’était… Cependant, l’instructeur était tenu de rappeler à l’ordre son élève : il serait indigne de sa position s’il laissait passer cette histoire. Il en était encore à se demander quelle punition choisir pour concilier sa réticence et son devoir professionnel lorsque l’assassine essaya de se blesser. Ce fut seulement une tentative dans la mesure où le cinquantenaire fondit sur elle en un clin d’œil et empoigna directement l’arme avant de l’extirper de force des mains de la concernée. Logiquement, une telle action aurait dû résulter en une taillade profonde sur la paume du vieil homme, mais pas une goutte de sang ne perla sur le sol. Là où le regard du Yu exprimait une certaine curiosité mêlée à la fatigue, Sejeong devait déjà savoir que le corps de leur professeur n’était pas tout à fait ordinaire.



Song Jin haussa un sourcil suite à l’intervention de l’adepte d’arts martiaux. Devenait-il gâteux ou bien ce jeune homme venait de défendre son assaillante ? Cette dernière n’était vraisemblablement pas normale compte tenu de son excès de zèle frôlant le fanatisme – l’instructeur venait à peine de découvrir jusqu’ou cette facette de sa personnalité allait, d’ailleurs. Toutefois, une victime demandant la clémence pour son agresseuse ne l’était pas plus. En d’autres termes, il leur manquait une case à tous les deux… S’il n’avait pas l’habitude de communiquer avec des jeunes gens de leur âge, il aurait pu croire que les valeurs de la nouvelle génération avaient récemment pris un tournant radical… En l’occurrence, ce n’était pas le vétéran qui risquait de se plaindre de ce choix incompréhensible. Cela l’arrangeait dans la mesure où il ne voulait pas vraiment punir son élève, au fond. Au moins, il avait une excuse pour ne pas la punir trop durement. Faisant mine de réfléchir sérieusement à la question, le Héros prendrait la parole en brandissant l’arme après avoir jeté un coup d’œil au sol.



Ayant dit ce qu’il avait à dire, Song Jin entreprit de s’éloigner nonchalamment en direction des dortoirs. Peu après, ce serait au tour de Xiaodan de quitter l’assassine pour suivre son propre chemin. Néanmoins, cette séparation serait marquée par quelques mots qui répondraient probablement en partie aux attentes de la demoiselle.

La demoiselle ne pipa mot tandis que le professeur s’emparait de son arme, quand bien même l’envie de grimacer d’insatisfaction pointait le bout de son nez au sein des muscles de son visage. Elle ne réagit guère au propos du vieil homme, semblant attendre patiemment qu’il annonce un verdict clair sans chercher à l’influencer davantage. La « Jang » nota néanmoins l’intervention de Xiaodan en sa faveur qui indiquait que malgré tout les événements avaient permis de susciter une forme d’intérêt de la part de ce dernier pour la demoiselle… Ou bien ses valeurs morales de justice étaient assez poussés pour vouloir que les choses soient ainsi. Dans tout les cas, il se révélait favorable à ce qu’elle ne soit pas puni trop sévèrement ce qui était assez intéressant à prendre en compte pour une prochaine rencontre. Finalement la décision final vint s’abattre tel un couperet. La meurtrière retint un soupir de déception – oui de déception – et vint à trouver les seuls mots qui lui semblait adapté dans ce contexte en attendant que le professeur ne veuille prendre ses dispositions pour se retirer et laisser la fanatique à ses méditations lunaires. Une corvée de nettoyage imposé à une personne en mesure déployer des pouvoirs aqueux n’était pas une grande peine. Mobiliser son talent pour effectuer cette tâche lui permettrait même en soit de pouvoir s’en servir d’entrainement et de tenter des choses au niveau de l’influence de ses capacités sur son environnement pour tenter de nouvelles stratégies à l’image de celle qu’elle avait employé dans cette attaque nocturne. Quand à la confiscation de son arme, cela l’empêcherait de réaliser certains katas, mais utiliser une branche en substitut lui permettrait d’attendre de retrouver la saveur inégalable du métal glissant sur l’épiderme.

-Ainsi soit-il.

La mudang attendit que le Song s’éloigne assez pour quitter sa position pleine de déférence et s’asseoir sur le sol, observant les alentours. L’autre homme présent, naturellement, voulu lui aussi prendre congés. Vu la situation, ce n’était guère étonnant que ses désirs d’activités nocturnes soient cour circuités.

-À un autre soir alors mon cher. Nous pourrions nous retrouver ici toutes les nuits si tu le souhaite, pour apprendre à mieux se connaître et à explorer nos capacités ensemble. Repose-toi bien.

Elle l’observerait s’en aller, qu’il réponde ou non à cette proposition de « rendez-vous » régulier. Mais une fois qu’il aurait disparu dans la noirceur de la nuit, le poing de Manwol vint finalement s’abattre sur la boue, éclaboussant un peu plus sa tenue de perles terreuses et humides. Une grimace déformait les traits de son visage, donnant à sa cicatrice faciale l’ampleur d’une balafre mortifère. Crachant sa salive, la Naksoo se mit à ruminer.

-Le « bien-être de ses élèves » ? Quelle ignominie ma parole ! Si la formation de l’armée est aussi simplette et bonne enfant, tu m’étonnes qu’il y ait eu toujours besoins de corps d’élite comme le notre au fil des âges pour faire les vrais besognes. Pas non plus étonnant que des hordes de héros novices meurent dans ces expéditions sur Antiqua si on les ménage et qu’on cherche pas à les confronter véritablement en danger. Comment découvrir et dépasser ses limites sans faire face à la réalité ? À la véritable monstruosité d’un assaut omniprésent ? Si ce lieu est un camp d’entrainement, alors qu’est ce qu’est en réalité la force d’Imjin ? Se blesser n’est pas une pénitence acceptable ? Pourtant il n’existe rien de mieux pour expérimenter la douleur. On verra comment s’adapteront les novices blessés sur Antiqua, s’ils sauront gérer la douleur et la réflexion du combat en simultanée. Décidément, ce monde moderne, ces histoires de morale et de droits humains ne sont que des freins à l’éveil des forces immanentes des potentiels enfouis.

Confronté à entrainement spartiate et ignoble le long de son existence, arme vivante dévouée à sa cause dédiant l’intégralité de son être et de sa vie à un seul et unique but, la considération de la valeur d’une vie et de la préservation du bien de chacun était des choses lui échappant complétement. Cela lui apparaissait même comme des concepts inutiles, voire peut-être même une forme de lâcheté dans laquelle la société contemporaine s’était enfoncée à force non pas d’évoluer mais de régresser vers des comportements abandonnant noblesse, honneur et tradition. Ces réalités du monde d’ « aujourd’hui » ne pouvait trouver leur place dans l’esprit de cette créature qui à l’inverse souhaitait ramener dans cette époque l’ardeur oublié des élites guerroyantes de jadis.

Finalement, Manwol continua de tourner de longues minutes, peut-être même quelques heures, entre les arbres pour laisser la faveur de la nuit s’emparer de ses sens et l’accueillir dans le souffle céleste de l’astre lunaire. Ses mains caressèrent les écorces, arrachèrent des branches pour frapper de toute ses forces sur des troncs en essayant à la fois de briser le bout de bois à l’impact d’enfoncer le liquide qu’elle pouvait générer sous l’écorces pour finalement tenter de manipuler le mouvement de l’herbe en tentant de faire bouger l’eau se trouvant dans la boue. Suite à ces pérégrinations, la Naksoo retourna aux dortoirs utilisa ses pouvoirs pour se nettoyer sommairement, changer de vêtements et se laisser aller aux bras de Morphée qu’elle pourrait quitter à l’aube afin d’engager une nouvelle journée où des surprises l’attendrait peut-être.

Xiaodan n’avait pas montré un enthousiasme fou en entendant l’énième proposition de Sejeong, mais l’idée ne semblait pas le rebuter. S’il avait effectivement placé un mot en sa faveur auprès de l’enseignant, le jeune homme était loin d’avoir apprécié l’agression sournoise de son interlocutrice. Cependant, il avait réussi à tirer quelques leçons de cette défaite ; par exemple, elle lui avait permis de se rendre compte d’à quel point il s’était habitué à la vie en Académie. Entre les murs de Xiaolong, il n’y avait pas grand-chose à craindre. C’était pour cette raison que le Yu pouvait s’entraîner aussi durement. Dans sa contrée natale, l’adepte d’arts martiaux n’avait jamais pu repousser ses limites à ce point. Pour être plus précis, il devait consciemment faire l’effort de calmer ses ardeurs. Il y avait plus d’une raison à cela, mais la plus importante était son besoin de protéger les siens. La réputation du Fauve Bleu s’était construite à l’issue de plusieurs combats – officiels comme officieux. Par conséquent, il avait un certain nombre d’ennemis n’attendant qu’un seul faux pas pour se venger. Dans de telles conditions, il était obligé de se ménager pour être prêt à toute éventualité. En cela, on pouvait dire que son excès de zèle était une façon de rattraper ce qu’il estimait être un retard. Pour autant, le médaillé de bronze avait rarement fini dans un aussi piteux état que cette nuit-là. Il comptait bien s’effondrer sur son lit après s’être occupé d’une dernière chose en chemin. À voir si la journée suivante lui réservait d’autres surprises.







Le regard de Cai s’était posé sur la demoiselle à ses côtés au moment de se faire cette remarque silencieuse. Il devait avouer qu’il n’avait pas passé une très bonne matinée, pas plus que Sejeong ; bien entendu, les situations embêtantes rencontrées par les deux partenaires n’étaient pas exactement similaires… Dans le cas du Yan, il avait passé une assez mauvaise nuit dans la mesure où il s’était couché tard à cause des diverses réflexions entamées au sujet de son entrevue avec la Jang. Il s’était levé du mauvais pied et avait été contraint de faire avec puisque le devoir l’appelait. Il avait profité d’un passage à la cafétéria pour s’entretenir avec Meng, qui lui avait donné son feu vert. Néanmoins, cette bonne nouvelle avait rapidement été suivie d’une corvée supplémentaire : le Wen l’avait encouragé – avec sa douceur légendaire, notera-t-on – à aller voir Meixiu. Si, contrairement aux dortoirs, la cafétéria était commune, la petite amie de Meng préférait prendre son petit déjeuner dans sa chambre, au grand dam de sa servante officieuse… Le règlement interdisant évidemment la présence de la gent masculine à l’intéreur, le dragueur invétéré n’eut d’autre choix que d’attendre la demoiselle dehors, et elle avait pris son temps… Il avait même eu l’occasion de dire bonjour à la Jang au passage, se montrant évasif quant à la raison de sa présence en ces lieux. Quant au résultat de sa rencontre avec la Tan – hormis des rumeurs –, c’était la situation inconfortable dans laquelle il se trouvait désormais…

En ce qui concernait le cas de l’assassine, elle avait commencé sa journée par un second round d’accolades avec Dandan. Cette dernière s’était levée aux aurores pour lui préparer son thé préféré, qu’elle avait accompagné de biscuits demandés à l’administration par le biais de l’instructeur Jin ; accéder à ce genre de requêtes était un privilège que le corps professoral accordait de temps en temps aux « bons » élèves pour les motiver. Que le geste fût apprécié ou non par la concernée, la servante officieuse de la Tan fut contrainte de couper court au petit-déjeuner privé – qui aurait peut-être pu se terminer plus tôt si la Jang en avait émis le souhait. Après cet épisode, Sejeong aurait eu la mauvaise surprise de remarquer le regard se voulant discret de la pipelette du dortoir. Le reste de sa matinée ne serait pas franchement plus fructueux dans la mesure où elle ne rencontrerait personne susceptible d’attirer son attention avant le début des cours. Pour couronner le tout, Song Jin n’avait pas manqué de lui rappeler sa punition à la fin. En somme, Sejeong aurait eu affaire à une série d’événements potentiellement agaçants qui auraient peut-être pu lui taper sur les nerfs. Cela ne l’aurait cependant pas empêché de remarquer le duo s’approchant d’elle : Cai et Meixiu. Ce fut le premier de ses coéquipiers qui entama la conversation.



Ayant dit ce qu’il avait à dire, le donjuan ne s’attarda pas sur place. Comme convenu, il avait brisé la glace pour permettre à la Tan de discuter avec leur coéquipière sans paraître trop brusque. Enfin, à ses yeux, son intervention n’avait strictement rien changé, mais la concernée avait insisté… Ne faisant pas grand cas de la prestation éclair du fils Yan, la manipulatrice de tissu respecta assidûment les normes de politesse avant de rentrer dans le vif du sujet.



Le regard en temps normal plutôt désintéressé de la jeune femme à la crinière argentée croisa alors celui de son interlocutrice. Celle-ci pourrait remarquer sans peine que ledit regard était autrement plus sérieux que d’habitude, plus tranchant, voire inquisiteur.

-C’est bien trop aimable, tu n’aurais pas dû te donner tant de mal, déclara la meurtrière en s’inclinant face à Dandan lorsque cette dernière lui dévoile le petit déjeuner privée que cette dernière lui avait concoctée.

Savourant le thé avec un plaisir non dissimulé, son visage prenant même un air serein et particulièrement apaisée marqué par des traits plus détendus que dans son amabilité feinte habituelle, « Sejeong » porta à ses lèvres les biscuits qu’elle savoura. Ce n’était pas si mal de se faire chouchouté pour une fois, même si en soit l’attention exagérée de sa camarade était agaçante. Profiter ne devait bien entendu pas devenir une habitude, mais il fallait malgré tout quelques instants comme cela dans la vie. C’était à son anniversaire en général qu’elle se détendait de cette manière au milieu de quelques prières et offrandes pour Imjin, mais cela devait faire deux ou trois fois qu’elle ne l’avait pas fêtée. L’assassine profita de cette réflexion pour briser un biscuit en deux, plonger chaque côté dans le thé, puis réciter une sorte d’incantation incompréhensible pour la demoiselle en face d’elle avant de lui tendre l’un des deux demi-biscuits. Mangeant le sien, Manwol attrapa alors un éventail de mauvaise qualité qu’elle ne déplia que légèrement, laissant seulement deux bande du papier apparaitre, bandes dont elle se servit tel une cuillère pour attraper les petites miettes flottant alors à la surface du thé et les déposer sur le bord de la tasse. C’est après ce moment que la Xie fut amener à s’éclipser.

-Passe une bonne journée. Je vais m’occuper de ranger ne t’en fais, lui lança la génératrice d’eau en voyant l’empressement de sa camarade, de quoi se libérer plus tôt de la gratitude de la Xie.

Afin d’en faire aussi un entraînement, la demoiselle se concentra à générer de l’eau et à la déplacer de manière à ranger les différents éléments à leur place. Observant le regard de la pipelette du dortoir, la Jang, tout en se détournant et en la dédaignant envoya un jet d’eau vif dans sa direction. Rien qui ne soit en mesure de la blesser, simplement de quoi la tremper si elle n’esquivait pas. Le message était-il clair ? La meurtrière n’allait pas prendre la peine de s’expliquer pour autant. Ce n’était pas son genre du tout. Puis ce fut le vide. Personne ne sembla digne d’intérêt. Se laissant porté par l’ennui, elle laissa ses pensées dérivées à s’imaginer un moyen de monter dans les airs en générant des petites plateformes d’eau. Comment les rendre assez solide pour supporter son poids assez longtemps pour lever l’autre jambe et ainsi grimper progressivement ? Il lui faudrait certainement améliorer ses compétences d’abord pour que cela puisse être possible. Son pouvoir n’était pas encore assez fort pour qu’elle puisse s’en servir comme elle aimerait. Alors qu’elle s’apprêter à se montrer réellement productive, le professeur Song Jin vint lui rappeler sa punition, la poussant à froncer les sourcils.

-J’espère que ce n’est là qu’un rappel de convenance et que vous ne songez pas que je puisse chercher à me soustraire à la punition. J’espère que vous me connaissez assez pour savoir qu’il en va de mon honneur d’accepter le châtiment. Si cela vous semble si important néanmoins, je m’en vais le faire dès à présent.

Elle s’en irait alors nettoyer les terrains à la vue de tous. Ceux qui n’étaient pas au courant de sa punition se questionnerait certainement sur cet acte, néanmoins puisqu’elle se servait de son pouvoir pour générer de l’eau propre venant laver plus efficacement que des seaux d’eau se salissant rapidement cela pouvait passer pour une forme d’entrainement… Surtout que la Naksoo pouvait par conséquent manipuler la masse d’eau plutôt que d’utiliser des chiffons ou autres balais.

Puis finalement, le tandem infernal la rejoignit. Cai s’en alla dès qu’il eu terminer et ne laissa guère le temps à « Sejeong » de répliquer. Le regard de l’Ombre d’Imjin se reporta ainsi sur la tortionnaire de sa camarade de chambre qui respecta certaines coutumes appréciables.




-Mes salutations, ô Meixiu Tan, fille des Tan. Que les eaux lave le sol avant qu’il ne soit foulé par tes pas.

Cette bénédiction était une vieille expression du Culte d’Imjin pour souhaiter une bonne journée. Ne réagissant pas à l’insinuation, attendant volontairement que la demoiselle noble poursuive. Le regard inquisiteur fut accueillit avec un amusement étonnant. Les paroles encore davantage. Le regard de la Naksoo devint alors étrangement plus… tranchant lui aussi.

-Ô Meixiu, la grande fille des Tan serait-elle en train quelques mauvaises augures à son expédition. Crains-t-elle que ses capacités se voient émoussés en comparaison de celle qu’elle n’a cessée de rabaisser. Crains-tu le potentiel de Xie Dandan ? Ou crois-tu que je veux m’emparer de sa fidélité et la détourner de la servitude dans laquelle tu la plongée ?

Puis, une fois que son interlocutrice ait réagit si elle le faisait, le sérieux se transforma un sourire déraisonné, moqueur.

-Les raisons de ton questionnement m’importe peu en réalité. Je ne cherche qu’à tester tes nerfs. La « Guerre d’influence » est un concept fascinant… Je ne sais pas quelles sont tes notions de Sciences politiques ma chère, alors je clarifierai que, en la matière, au modèle impérial que tu incarne je suis une adepte du modèle libéral. Et si tu tiens tant à savoir mes intentions, elles sont limpides : disposer de toute l’aide nécessaire pour triompher de l’expédition et mener mes objectifs sur Antiqua.

« De tous les outils nécessaires » était plus juste dans sa pensée, mais cela aurait été un trop gros indice dévoilé. Mais la référence à la Science politique, à la théorisation des Guerres d’influence, s’avérait ultra précise et il s’avérait que « Sejeong » avait emprunté l’exemplaire qui en faisait mention dans l’Académie afin de réviser ses méthodes de manipulation… Certes il y avait une différence entre les relations entre pays et celles entre humains, néanmoins moultes aspects semblaient transposables.

-Je ne cherche pas à m’opposer à toi si c’est cela que tu crains. Retire la gloire que tu veux de l’expédition si nous réussissons, peu m’importe que tu le mérite ou non, que tu ne t’occupe que de nous créer des tentes ou que tu parviennes à étrangler des cibles avec des rouleaux de tissus. Je n’ai pas rejoins cette académie pour devenir une héroïne célèbre et accomplie. Ce qui m’intéresse, c’est Antiqua. Rien de plus, rien de moins.

Un peu plus tôt, l’instructeur Jin avait initialement été pris de court par la réponse directe et un poil acerbe de son élève. Il aurait pu s’offusquer du ton accusateur – et c’était en vérité ce qu’il aurait fait avec n’importe qui d’autre –, mais il avait plutôt pris la remontrance comme il en prendrait une venant de sa petite-fille : avec le sourire. Après tout, la vieille fouine qu’il était pouvait aisément comprendre comment cette démarche réalisée par principe avait pu être perçue d’un mauvais œil. De plus, il n’avait pas tardé à deviner que la génératrice d’eau n’était pas étrangère à la bonne humeur récente de son élève favorite de la promotion. Pour toutes ces raisons, il avait facilement passé l’éponge. En revanche, Meixiu était loin d’être le genre à pouvoir traiter autrui avec une telle bonhommie. Ayant d’abord mis les salutations grandiloquentes de son interlocutrice sur le compte de l’excentricité de cette dernière, elle avait rapidement déchanté en notant que celle-ci se moquait ouvertement d’elle. En toute franchise, la demoiselle à la chevelure argentée ne comprenait pas l’origine de cette animosité dans la mesure où elle s’était toujours efforcée de traiter l’assassine avec politesse, mais elle ne se priva pas de répondre du tac au tac aux provocations manifestes.



C’était fou le degré de sornettes que la Jang débitait à la seconde. Avoir peur de Dandan, elle ? Cette pauvre fille n’était bonne à rien. Certes, son don était plutôt intéressant de prime abord ; toutefois, à quoi bon donner un collier de perles à une truie ? Un pouvoir n’était jamais aussi utile que son détenteur, et c’était à peine si la Xie pouvait correctement laver du linge sale… Il aurait fallu souffrir d’un retard mental ou être aveugle pour craindre une créature aussi pitoyable. Quant au fait de perdre sa loyauté, la Tan ne s’en inquiétait nullement. La raison pour laquelle la brune lui faisait office de servante était la crainte, non pas de la manipulatrice de tissu, mais du reste de la promotion. Pourquoi le petit peuple choisissait-il de servir la noblesse ? Parce qu’il s’attendait à une forme de protection de sa part en échange, tout simplement. Il était naturel pour les faibles de se réfugier dans le giron des forts pour subsister, et c’était ce qui s’appliquait le mieux à la situation de la Xie. Sa servitude était la conséquence d’une peur évidente de l’inconnu : le mauvais traitement de l’amatrice de poupées de chiffon était le prix à payer pour brandir les noms « Tan Meixiu » et « Wen Meng » comme boucliers.



Si Meixiu n’éprouvait même pas un pincement au cœur à l’idée de perdre les services de Dandan – à fortiori à six jours du diplôme –, force était de reconnaître que Sejeong avait réussi à toucher l’un de ses points faibles : sa relation avec le pouvoir. Née dans une bonne famille, l’argent n’avait jamais été un problème pour elle ; cependant, les Tan étaient loin de faire partie des strates dirigeantes d’Hongwu, des nobles modernes. Depuis petite fille, elle avait toujours voulu appartenir à la crème de la crème, et son éducation n’avait fait qu’exacerber son désir de devenir une véritable lady. De ses gestes à sa manière de penser, tout son être avait été façonné par cet objectif, qui témoignait d’un certain complexe d’infériorité. Même son inscription à Xiaolong n’était ni plus ni moins qu’un moyen d’arriver à ses fins, à savoir monter plus haut dans la hiérarchie du pays. En cela, la manière dont sa camarade de classe lui parlait de haut était proprement inacceptable à ses yeux. Elle l’aurait remise à sa place sur-le-champ si elle avait pu assurer sa victoire en cas de défi. Malheureusement, elle ne considérait pas la concernée comme un cible facile, et sa réputation primait sur tout le reste.



Vexée, la Tan s'en alla sans plus de cérémonie. Elle en oublia même le second sujet qu’elle avait prévu d’aborder durant cette discussion. Un peu plus loin, Cai Yan – qui était resté dans les parages au cas où la conversation dégénérerait pour une raison ou pour une autre – était sidéré : il avait considéré la possibilité d’une mauvaise entente entre les deux partis, mais jamais il n’aurait cru les voir se séparer en mauvais termes aussi rapidement. D’un côté, le dragueur se félicitait d’avoir suivi son instinct et de s’être débiné en vitesse. D’un autre, il se demandait s’il était encore temps pour lui d’intervenir pour essayer de calmer le jeu – en espérant que c’était seulement possible. Il ne restait plus qu’à voir ce que la Porteuse des Larmes d’Imjin comptait faire jusqu’à son rendez-vous nocturne avec Xiaodan Yu.