Lorsque la Tan fit volteface, la meurtrière répliqua sur un ton beaucoup plus plat, calme et serein n’ayant rien à voir avec l’agressivité précédente. Du tutoiement, elle passa d’ailleurs au vouvoiement en faisant preuve d’une déférence toute surprenante après les propos acerbes portés.

-Je suis quelque peu déçu. Cette désinvolture, comme vous l’appelez, n’était qu’un test cher dame. Vous n’y avez pas échouée, mais vous ne l’avez pas non plus véritablement réussis. Je ne m’opposerai pas à votre entrée dans l’équipe. J’espère que vous saurez me pardonner cette farce, n’oubliez simplement pas qu’Antiqua n’est pas notre société. Ses règles, ses logiques n’ont pas de fonctionnement là-bas. Vous m’accusez de perdre l’esprit, mais nous allons peut-être être confronté à ce genre de folie outrepassant notre logique. J’espère que nous saurons tous nous adapter à ces facéties puisque notre avenir commun en dépend.

Manwol se demandait si elle n’était pas allez trop loin dans la provocation pour évaluer la capacité de l’orgueilleuse demoiselle à faire face à ce genre de remarque. Malheureusement, ce n’était pas du sang-froid qui s’était manifesté, simplement du dédain et une colère canalisé qui heureusement n’avait pas éclaté, sinon l’assassine se serait opposé à ce qu’un pareil boulet ne viennent trainer dans leur patte. Mais au fond, la survivance d’une animosité n’était pas plus mal, si jamais Meixiu décidait de conserver sa position après cette « révélation » sur la conversation en elle-même. En effet, si Dandan se sentait trahit par une forme de relation plutôt neutre ou légèrement positive entre sa « sauveuse » et sa « maîtresse », cela pourrait nuire au paris qu’avait fait la Naksoo. Instrumentaliser cette hostilité de Meixiu à l’égard de la « Jang » auprès de la génératrice de flammes pourrait pousser progressivement à faire naître une sorte de haine, même simplement primaire, à l’égard de cette femme aux aspirations de noblesse. Le tout était de réussir à employer le caractère délicat et gentil de la Xie pour faire passer la Tan comme une monstruosité sans humanité. Manwol savait que cela demanderait beaucoup d’investissement de transformer la docile étudiante en une arme de destruction tournée vers son ancienne martyriseuse, mais c’était bien là un projet intéressant. Créé une véritable bombe de feu… Ce qui serait encore mieux serait de rendre la demoiselle tellement dépendante de la seule femme lui accordant de l’amitié et du respect que Dandan suivrait Manwol à travers son périple sur Antiqua et même au-delà. La Naksoo doutait d’avoir tout le talent de manipulation psychologique nécessaire pour arriver à un tel but, néanmoins cela ne risquait rien à être tenter. Après tout, l’Ombre d’Imjin possédait le pouvoir parfait pour annulé celui d’une telle adversaire et il n’y avait pas de doute qu’avec son entrainement physique digne de soldats d’élite la cultiste prendrait l’ascendant dans un combat au corps au milieu d’une mise hors-jeu des pouvoirs respectifs.

-Au plaisir de vous revoir, lâcherait la génératrice d’eau dans une neutralité totale, sans animosité ou sympathie, si Meixiu décidait de s’en aller sans plus de cérémonie malgré tout.

Observant Cai Yan, si ce dernier essayait de se précipiter vers la Tan, la Naksoo chercherait son regard pour lui lever un pouce en l’air de manière positive et ensuite écrire en l’air en lettres d’eau, qui allaient s’éclater au sol ensuite, un « Je valide le choix ». Ce dernier serait certainement encore plus déconcerté puisque vue comment avait dû paraître la discussion de loin, tout aurait certainement porté à croire que Manwol était en soit contre l’intégration de l’orgueilleuse au groupe d’expédition. Ainsi donc, si d’une manière ou d’une autre la situation restait ainsi, la demoiselle à la chevelure magenta reprendrait sa tâche. Elle irait ensuite à la recherche de Dandan et s’efforcerait de passer beaucoup de temps avec cette dernière, cherchant à lui montrer davantage d’affection tout en restant dans la retenu que tous lui connaissait. Cela passerait donc par de petits gestes et notamment sur le fait que « Sejeong » partagerait son « repas » du soir avec sa camarade de chambre. Une fois retournée dans celle-ci, la « Jang » lui proposerait également une partie de jeu de go et n’hésiterais pas à tourner cela à l’explication des règles et à l’initiation si jamais son interlocutrice ne connaissait pas. Suite à ce petit moment de détente, qui était pour Manwol en vérité de l’investissement temporel en travail psychologique en vue de l’expédition, elle se lèverait finalement pour sortir.

-Je suis désolé, mais je vais devoir m’absenter ce soir. Je dois aller récupérer des affaires dans ma cachette secrète avant qu’il ne soit trop tard. Si tu veux, demain on pourrait se servir de mon pouvoir d’eau pour t’entraîner. Je pourrais créer des cibles et toi tu pourras les viser dans craindre de faire du mal à qui que ce soit.

Suite à cela, elle s’en irait attendre Xiaodan Yu.

Si elle était bien partie pour ignorer copieusement Sejeong, Meixiu n’avait pu que s’arrêter à la mention intrigante d’un test. Force était toutefois de constater que l’explication de l’aliénée lui ayant servi d’interlocutrice n’avait pas été des plus convaincantes à ses yeux. En vérité, elle avait même été amusée par le plaidoyer en question, un point transparaissant vaguement dans sa voix. La Jang la laissait entrer dans l’équipe ? C’était une plaisanterie fascinante. Cette parvenue se méprenait clairement sur un point : la balle n’était pas dans son camp, elle ne l’avait jamais été. Cai Yan était venu la voir en première ? Une pure coïncidence, qui ne témoignait de rien. Elle avait beau être une bonne élève dont le talent était reconnu par l’instructeur, sa réputation ne valait rien face à l’atout principal de la demoiselle fortunée ; n’était-elle pas l’amante de Meng Wen, l’une des étoiles montantes de leur promotion ? Si leur relation était basée sur une affection factice du côté de Meixiu – s’énamourer d’un tel sagouin aurait été un comble pour elle –, elle donnait parfaitement le change en public comme en privé. Il était à la connaissance de tous que le Wen lui mangeait dans la main, tant et si bien qu’inclure l’un sans l’autre était impossible. S’opposer à sa volonté, c’était s’opposer à celle de Meng et vice-versa.

Pour la descendante des Tan, les mots de Sejeong pouvaient difficilement être perçus comme plus dérisoires. La religieuse aurait dû être parfaitement au courant de tout cela, mais son orgueil démesuré l’avait probablement conduite à un moment de folie regretté aussitôt. C’était plus courant que l’on ne daignait bien l’admettre. Combien de jouvencelles avaient vu leurs têtes enfler en goûtant brièvement à la popularité ? La Jang avait passé le plus clair de l’année à s’entraîner et à tisser des liens avec une poignée d’individus ; son excentricité en avait d’ailleurs fait fuir certains, au bout d’un moment. Cette fourmi travailleuse avait alors été approchée par Cai, une cigale notoire. Le résultat de leur rencontre aurait dû se solder de la même manière que la célèbre fable Francienne, mais l’issue avait été toute autre. Dépourvue d’expérience en la matière, la créature aux croyances farfelues s’était probablement faite séduire par la langue flatteuse du Yan ; il avait beau être un cancre, on ne pouvait lui nier une certaine expertise dans l’art de flatter ces dames, surtout celles en manque d’attention.

En considérant son train de vie morne, il n’était pas surprenant d’envisager que l’élève modèle s’était sentie valorisée par l’invitation de ce grossier personnage, au point d’oublier momentanément l’ordre hiérarchique. La manière dont la manipulatrice de tissu l’avait remise à sa place avait manifestement suffi à lui rappeler à qui elle s’adressait. Tâchant dans la hâte de rectifier son erreur tout en gardant la face, cette pauvre fille avait probablement fini par répondre maladroitement. Malheureusement, ses balivernes n’étaient pas de nature à tromper la seule, l’unique, Meixiu Tan. Pourtant, la religieuse était en veine. La façon dont elle s’était désespérément tortillée pour se sortir de ce faux pas s’était avérée fort divertissante pour l’amante du Wen, tellement distrayante qu’elle avait décidé de lui pardonner, non sans lui retourner ses propres mots. D’un point de vue plus objectif, Sejeong avait, sans le savoir, brossé l’ego de son interlocutrice en tâchant de justifier ses paroles aggravantes.





De son côté, Cai Yan n’y comprenait vraiment plus rien. Contrairement à la Jang, il était bien placé pour voir l’expression de la petite princesse de leur classe ; elle souriait, certes timidement, mais cela lui arrivait rarement en l’absence de Meng. Ces deux-là s’entendaient-elles bien ou se haïssaient-elles ? Elles auraient pu avoir l’amabilité de se décider, enfin ! Le coureur de jupons hésitait précédemment à s’entretenir avec Meixiu pour mettre de l’eau dans son vin, mais il ne pouvait vraisemblablement plus remettre cela à plus tard. S’il apparaissait d’abord évident que l’utilisatrice de tissu avait une dent contre la génératrice d’eau, ce n’était plus le cas. Un certain flou demeurait désormais, et le chef officieux de cette équipe se devait de clarifier la situation avant toute chose pour décider de la marche à suivre. Il n’avait plus l’excuse de laisser la furie se calmer, ni le temps de jouer aux devinettes en essayant d’élaborer une façon de les rabibocher – si tant était qu’il y en avait besoin pour commencer.

Forcément, le Yan fut contraint de quitter l’ombre du séquoia de l’aube contre lequel il était adossé. Cependant, alors qu’il allait à la rencontre de la Tan, le dragueur remarqua les gestes atypiques de sa camarade de classe. Tentant de déchiffrer les mots de cette dernière, il ne tarda pas à comprendre le message caché derrière cet encouragement : il ne pouvait s’agir que de sarcasme ! Elle validait son initiative d’essayer de désamorcer la potentielle bombe à retardement qu'elle venait de créer... L'évidence s'imposait : Sejeong n’avait pas dû apprécier la manière dont il s’était éclipsé fissa, la laissant toute seule avec la fille aux mèches argentées. Pour lui rendre la pareille, elle avait donc asticoté la concernée en sachant pertinemment à qui il reviendrait de payer les pots cassés… C’était un plan machiavélique, très malin, mais tout de même affreusement retors. Loin de la savoir rancunière, le brun n’était pas prêt à s’avouer vaincu : ils pouvaient être deux à jouer à ce petit jeu ! Rendant un sourire éclatant à la sabreuse, il se permit d’aiguiser une lame imaginaire dans un coin de son esprit. Cela ne dura bien évidemment qu’un bref instant dans la mesure où il lui restait toujours du boulot à faire…

Probablement loin de se douter du malentendu, Sejeong n’avait rencontré aucun obstacle en quête de Dandan. Elles avaient passé un agréable après-midi ensemble, et la Xie s’était volontiers abreuvée des marques d’affection de son amie. De mémoire, elle ne s’était pas autant détendue depuis qu’elle avait passé les murs d’enceinte de l’Académie… C’était sûrement une illusion, mais la nourriture qu’elles avaient partagée ensemble lui avait semblé meilleure que d’habitude. En tout cas, aucune rumeur bruyante n’avait pu arriver à leurs oreilles une fois au dortoir : la pipelette habituelle était aux abonnés absents. Le message lui ayant été destiné la veille avait dû passer comme un charme… Ce n’était pas comme si sa présence pouvait sérieusement gâcher le tableau, de toute façon. La partie de go avait conclu la soirée sur une défaite cuisante de Dandan, ce qui n’enraya en rien son sourire. Elle hésita l’espace d’un instant face à la proposition de sa chère camarade… Elle aurait déjà dû s’occuper d’un certain nombre de corvées pour Meixiu cette journée-là, mais elle les avait reportées à la matinée suivante lorsque son amie lui avait offert une virée entre filles. Pourtant, sa réponse ne fut pas négative, car elle estimait sa relation avec la Jang plus importante que le courroux de la Tan. De plus, si c’était avec Sejeong, peut-être… Peut-être qu’elle arriverait enfin à surmonter sa peur de blesser quelqu’un d’autre…








Au beau milieu d’un terrain désert, un jeune homme était assis en tailleur, immobile. Il s’adonnait à la méditation sous la lueur de l’astre du soir. Ses traits fins étaient relaxés malgré les nombreuses courbatures issues de l’entraînement atypique auquel il s’était adonné malgré lui la nuit précédente. Cela ne l’avait toutefois pas empêché d’agrémenter son exercice du moment d’une touche personnelle : il portait deux seaux d’eau à chaque extrémité d’une sorte de bâton tenant en équilibre sur ses épaules. Proches du débordement, le but était de ne renverser aucune goutte tout en gardant cette posture zen de façon prolongée. Il s’agissait d’une façon de mettre à l’épreuve simultanément son endurance, son contrôle de soi et sa clarté d’esprit. Xiaodan n’aimait pas se tourner les pouces, même lorsqu’il s’agissait d’attendre quelqu’un à la veille d’un match amical. Aussi, il fut ravi d’apprendre l’arrivée de son adversaire. Ouvrant ses paupières, il posa ses yeux fermés depuis une bonne heure sur la demoiselle à une dizaine de mettre de là. Elle lui avait lui appris une bonne leçon, et c’était désormais à son tour de lui en donner une.

L’adepte d’arts martiaux n’était pas dans une forme olympique, loin s’en fallait ; néanmoins, il en allait de même pour la guerrière en approche. Abandonnant son exercice, le Yu adopta une position instable, ce qui conduisit une partie du contenu des récipients à se déverser au sol. Il se releva alors d’un bond, projetant son fardeau à quelques centimètres au-dessus de ses épaules. Sa main droite vint se saisir du manche de l’épée en bois ayant contribué à l’équilibre nouvellement rompu. Ce mouvement permit d’ajuster l’arme pour permettre à l’un des seaux de glisser le long de celle-ci jusqu’au sol tandis que la main gauche du garçon se refermait sur le manche de l’autre. Sans cérémonie, il gratifia la partie du terrain entre lui et la Jang d’une volée d’eau contenue par le récipient qu’il tenait encore. L’écran aqueux était censé servir de diversion au sabre d’entraînement qu’il allait projeter tel un boomerang à sa suite. Était-ce une attaque ? Pas vraiment, il se sentait juste d’humeur théâtrale : tant qu’à équilibrer un peu le combat, autant imiter un peu son ennemie. Cela ne l’aurait honnêtement pas gêné outre mesure d’affronter une Sejeong armée de sa lame personnelle, mais ils n’avaient pas sollicité la présence d’un professeur pour leur servir de garant. L’incident avec l’instructeur Jin y avait en partie contribué, bien sûr. Le fait qu’une telle demande nécessitât d’être faite plus d’une semaine à l’avance en était cependant la véritable raison.

La meurtrière s’avançait sous les rayons lunaires, ses pas rythmant le temps tandis qu’elle approchait du terrain. Ce dernier était aussi désert que la nuit était profonde. Au milieu, plongée dans la solitude spectrale, un jeune homme se détachait progressivement de l’obscurité ainsi que les deux étranges forment qu’il tenait de chaque côté de son bâton. L’exercice auquel il s’adonnait n’était pas habituel… Et cela plaisait beaucoup à l’assassine qui retrouvait ce dévouement et cette imagination dans l’effort propre à ceux qui se tuaient à leur tâche. Ce point commun entre eux était toujours appréciable. Les paupières du jeune homme s’ouvrir, leurs regards se croisant alors dans un silence qu’aucun des deux ne voulut briser en ces instants solennels. S’arrêtant alors dans sa progression, à une dizaine de mètres de lui donc, la Naksoo guetta la première réaction de son camarade. C’est une démonstration de maîtrise purement technique qui se déroula alors. Tactique ou spectacle ? L’Ombre d’Imjin observait le fluide danser en guettant les gestes de celui qui se présentait en tant qu’adversaire. C’était une jolie prestation qui prouvait ses capacités martiales d’un point de vue « chorégraphique », chose plus importante que certains pourraient le croire en matières d’arts martiaux entre la coordination, la précision, la mobilité, la puissance du mouvement et bien d’autres détails. Le sabre d’entrainement jaillit alors, tel un boomerang, derrière l’écran aqueux. Un sourire au coin des lèvres, Manwol vint poser ses paumes l’une sur l’autre, formant une ligne horizontal avec ses avant-bras, c’est-à-dire qu’elle ne les joignaient pas en position de prière mais bien à plat. Espaçant alors progressivement l’écart entre ses deux paumes, une « colonne » d’eau se formait dans cet espace et viendrait ainsi ralentir l’objet lorsque celui-ci le percuterait. Profitant du ralentissement, la main du dessous effectuerait alors un mouvement circulaire pour venir attraper « au vol » l’objet ralentit temporairement et s’en munir prestement. L’eau généré précédemment venant alors couvrir le sabre d’entrainement, la Naksoo donna un coup dans le vide pour se mettre en garde tandis que l’autre main vint saisir la branche robuste récupéré un peu plus tôt qu’elle jeta sur le côté.




-C’est de l’eau renversée, sourit-elle en invoquant un proverbe imjinois volontairement traduit pour une fois. Je vais te faire grâce d’une vérité, quand bien même tu ne l’appréhenderas certainement pas. 지나는 자리마다 모가지가 떨어져 내린다 하여 낙수, 아름답지 않느냐?

La demoiselle fonça droit en direction de son adversaire. Allait-elle à nouveau usé de diversion ou autres changements d’angles d’attaque de dernière minute ? Non, cette fois-ci l’assassine courrait tout simplement droit sur son ennemi sans autre forme de fioriture. Si son adversaire demeurait dans l’expectative afin de savoir ce qu’elle comptait faire, la Naksoo pourrait abattre dans un coup vertical tout ce qu’il y a de plus classique le sabre d’entrainement. La réaction naturelle et logique a un tel coup sans particularité pour engagé le combat était de parer tout simplement pour enchaîner sur une forme d’escrime classique en échanges de coups. Mais là n’était pas les prévisions de la fourbe. Lorsque les lames contondantes se percuteraient, la « lame » d’eau entourant le boken de l’Ombre d’Imjin s’abaisserait soudain, poursuivant le mouvement vertical en crochetant pour ainsi dire la « lame » de bois opposé. Elle tirerait alors d’un coup sec vers elle grâce à ce crochet pour déstabiliser les appuis et potentiellement abaisser le sabre d’entrainement adverse s’il était levé trop haut. Cela fait, le boken glisserait sur sa glissière aqueuse pour viser l’épaule en coup d’estoc tandis que l’eau servirait à empêcher Xiaodan de relever sa lame. Suite à cet assaut, la demoiselle ne s’éloignerait pas tout de suite, sa main libre ayant généré un projectile d’eau, une boule d’à peine deux centimètres de largeur. Déployant sa jambe dans l’espoir de toucher le diaphragme ou au pire le ventre du Yu afin de lui couper momentanément le souffre, la demoiselle tenterait d’envoyer cette sphère aqueuse droit dans le visage de l'ennemi pour que l'"impact" le sonne voir que l'eau lui rentre dans les yeux et le gênent quelques instants qui alors accroîtraient l'ouverture.

La main gauche du combattant se posa sur l’extrémité du bandage à sa taille. D’un coup sec, celui-ci se déroula, libérant l’arme en bois précédemment positionnée de sorte à ne pas gêner son entraînement de la veille. Dès lors, Xiaodan adopta une posture de garde classique. En vérité, il n’était pas des plus à l’aise dans le maniement du sabre ; il ne connaissait que les rudiments, car son père les lui avait enseignés des années auparavant, en même temps que le kung fu. Ce n’étaient pas que les armes blanches, d’ailleurs. L’objectif était de lui apprendre à compter sur tout ce qu’il y avait à disposition au combat, en commençant par son équipement. Il s’agissait aussi d’une manière de lui faire découvrir quel genre de guerrier il était réellement, de ses préférences en matière d’armes à son niveau de maîtrise de divers arts. Dans ce cas-là, pourquoi avait-il défié Sejeong de cette manière ? La réponse était assez simple : la victoire ou la défaite lui importait peu cette nuit-là. Un entraînement visait à repousser ses propres limites, à supplanter l’être qu’on était la veille avec une nouvelle version de soi-même, de la même manière qu’un phœnix renaissant de ses cendres n’était plus tout à fait le même. En d’autres termes, il désirait se tester et s’améliorer, voir jusqu’où il pouvait tenir tête à une experte dans son propre domaine et glaner de nouvelles inspirations pour son style martial.



Les paroles suivantes de la Jang lui parurent effectivement ni plus ni moins que du charabia. Il avait des notions concernant la langue parlée en Hongwu du temps de l’Empire Han, mais celle dont l’avait gratifié son adversaire n’y ressemblait que trop peu pour deviner le sens des mots utilisés. Le jeune homme avait le sentiment de tenir un indice pour enfin cerner cette mystérieuse créature au comportement si différent de leurs contemporains. Toutefois, il laissa aussitôt cette pensée filer comme le vent, un choix judicieux compte tenu de la charge ayant rapidement suivi la prétendue vérité. Xiaodan accueillit donc l’assassine déguisée comme il se devait : avec un calme olympique. Il n’avait avancé que de quelques pas comparé à la sabreuse, précisément dans le but de contrecarrer partiellement l’élan de la concernée. Contrairement aux prévisions de Sejeong, l’adepte de kung fu n’hésita pas une seule seconde face à cette approche diamétralement opposée à celle de la soirée précédente. D’expérience, il s’avait que douter de la moindre action était tomber dans le piège de l’autre lorsqu’on affrontait une personne douée dans l’art de la tromperie. Bien entendu, il s’était tout de même préparé à réagir au quart de tour dans l’éventualité d’une ruse, et ses réflexes ne l’avaient pas trahi.

Le pouvoir de la Jang l’avait mis dans une position précaire. S’il avait réussi à garder ses appuis malgré une tentative de lui faire perdre l’équilibre, son bokken demeurait affreusement mal positionné et entravé par une prison aqueuse là où l’arme adverse menaçait son épaule. Xiaodan semblait condamné à encaisser le coup, mais il n’en fut étonnamment rien. Sans crier gare, le crochet aqueux éclata en une myriade de gouttelettes. Ce qui suivit ne fut pas le bruit sourd du bois mordant la chair, mais l’entrechoquement de deux sabres : un filant droit comme une comète et un autre remontant à travers l’eau telle la carpe remontant la Porte du Dragon. Il s’en était fallu de peu ; le Yu avait usé d’une force soudaine, insoupçonnée, pour extirper son sabre du carcan d’eau d’un coup et dévier l’attaque ennemie. Cela ne s’était pas fait sans sacrifice, car la posture du jeune homme était pleine d’ouvertures, notamment une à l’estomac que la demoiselle ne s’était pas gênée d’utiliser. Le pied de Sejeong aurait dû le heurter un peu plus haut, mais le mouvement de recul du Fauve Bleu avait rendu la chose impossible. Toujours était-il que les pectoraux renforcés de ce dernier n’avaient pas été suffisants pour bloquer complètement la force surhumaine de l’ennemie, tant et si bien que son souffle fut effectivement coupé instant. La fenêtre avait été courte, mais plus que suffisante pour permettre à l’assassine de viser et tirer.

De son côté, Xiaodan était dans l’incapacité d’esquiver le projectile au vu des circonstances. Serrant les dents, il tourna la tête, offrant sa joue à l’attaque à défaut de pouvoir se protéger. Il n’avait pas bien gentiment subi cette claque, au sens propre comme figuré : l’arme dans sa main droite était descendue vers le sol à ses pieds à la manière d’un oiseau de proie, laissant une marque évidente sur la boue dans son sillage. Néanmoins, la jeune femme ne serait pas en mesure de noter ce point pour une simple raison : une fine vague d’eau boueuse s’éleva entre elle et le Yu, menaçant au passage de l’éclabousser jusqu’au visage si jamais elle ne faisait rien. Son premier réflexe serait peut-être d’essayer de prendre le contrôle du jet de boue, mais ce serait une grave erreur : bien loin d’être pure, l’eau en question s’était complètement mêlée à la terre, rendant sa manipulation impossible. Cet assaut impromptu n’était à dire vrai qu’un moyen pensé par le maître de kung fu pour gagner du temps afin de reprendre pleinement ses esprits. Il avait certes été en mesure d’encaisser plutôt bien le jet d’eau à l’aide de son don, mais un coup à la tête n’était jamais sans répercussions, et l’acouphène harcelant son oreille gauche en était la preuve.

Ainsi, si le plan du Yu fonctionnait, il n’hésiterait pas à ravaler la distance le séparant désormais de Sejeong. Son bokken serait brandi en arrière telle une corne de rhinocéros prête à empaler l’abdomen de la cible. En clair, il s’agissait d’une estocade téléphonée à laquelle on pouvait s’attendre d’un bleu. Pourtant, c’était bel et bien l’impression qu’il voulait donner, car le but réel était de voir son adversaire esquiver d’un côté ou de l’autre pour lui destiner le véritable assaut. Si elle choisissait de se décaler sur sa gauche, le jeune homme profiterait de sa lancée pour replier le bras et essayer de la frapper au plexus solaire avec son coude. Si elle esquivait à sa droite, ce serait un coup de poing féroce qui viendrait la cueillir au ventre à la place.

Le coup dévié, la meurtrière se servit justement de l’élan donné par l’adversaire à sa contre-attaque pour absorber une part de son inertie et pivoté afin d’enclencher son coup de pied en y additionnant un phénomène de rotation. À leur niveau de combat, la différence dans les dommages seraient infimes, néanmoins il était surtout question de la fluidité de l’enchainement. L’optique de l’assassine n’avait pas été de donner un effet particulier au coup de pied mais bien de pouvoir enchaîner les mouvements par des transitions tant dans l’équilibre que dans les mouvements de ses membres. Projetant ensuite l’eau au visage de Xiaodan, la Naksoo constata l’émergence d’un filet de boue entre elle et son adversaire. Un sourire amusé se dessina sur ses lèvres. Non pas qu’elle se moquait de son adversaire ou qu’elle trouvait la tactique misérable, au contraire cela était amusant de voir le martialiste usé de ses ressources pour gagner le temps nécessaire pour se ressaisir. Bien loin de tenter de prendre le contrôle de la boue, dans un geste méticuleusement esquissé au fil des années, Manwol jeta son arme sur son adversaire. Etait-elle folle de se désarmer ? Loin de là. Premièrement, en pliant son bras à la suite du geste de lancer, son avant-bras et sa manche vinrent couvrir la majorité de son visage pour se protéger de la boue. En un second temps, l’eau avait été condensé au bout de sa lame du bokken dans l’optique de faire une sorte de coussin, alors même qu’elle avait appris ce geste de lancé pour empaler quelqu’un ou se créer avec une arme un appui dans un mur. Le but était que l’arme traverse la boue et que ce coussin éclate au contact de l’adversaire. La torsade, mini-maelstrom figé fait main, imprimée à l’intérieur du coussin libérerait le bokken en lui faisant décrire un mouvement vers le haut qui enverrait l’arme au-dessus de l’adversaire.

Au moment, même où la boue vint couvrir « Sejeong », cette dernière, qui avait joint les pieds, sauta en l’air, traversant entièrement cette petite vague en abaissant au même moment le bras qui lui couvrait les yeux comme pour écarter le liquide qui la visait afin de se dégager le visage au plus vite. Tout cela au lieu de chercher à l’esquiver. En effet, le martialiste avait visiblement oublié de leur précédente rencontre que les cabrioles faisait partie des ressorts employés régulièrement par son ennemie du jour. Cette dernière aimait amener de la verticalité, bien qu’il n’était pas possible d’exploiter cette dimension de la hauteur avec tant de facilité qu’en étant immerger dans un lac ou la mer. Ainsi quand son bras dégagea son visage et qu’elle pu observer le geste de son ennemi, qui par la boue ne pouvait lui-même pas s’apercevoir de ce que préparer la Naksoo de son côté même si le bokken lancé l’avait peut être retardé dans l’exécution postérieur de sa stratégie, la satisfaction inonda la meurtrière. Cette dernière qui avait relevé les jambes pour son saut abaisserait ses pieds afin de venir se poser de tout son poids sur la lame du sabre d’entrainement de Xiaodan où elle chercherait à rattraper au vol son propre bokken. Le poids interromprait peut-être son adversaire, le contraignant à baisser son arme jusqu’au sol s’il n’avait pas assez de force ou était trop surpris pour soutenir le tout, en tout cas la roublarde chercherait à abaisser son arme en diagonale pour frapper à l’oreille son adversaire tandis que sa seconde main resterait libre pour interrompre Xiaodan si ce dernier chercher justement à utiliser un autre membre pour intervenir. Tout en faisant ce geste, elle engagerait un nouveau saut visant à passer derrière le Yu. Son objectif n’était pas d’atterrir sur le sol, l’assassine déployant ses jambes afin de réaliser un « drop kick » sur l’arrière du crâne. Cela avait pour optique de sonner l’adversaire mais aussi de se servir de ce « support » comme appui pour se projeter vers l’avant.

Le bokken qui se recouvrait à nouveau d’eau plongerait alors dans le sol pour former un sillon le temps que la demoiselle arrive au sol pour effectuer une roulade dans la boue et se relever dans un mouvement ascendant en spirale avec son corps afin d’envoyer cet eau généré sous la forme d’une lame vers son ennemi qui était potentiellement encore de dos. Restait à voir si tout cela se passerait sans heurt ou si l’ennemi était parvenu lui-même à interrompre son enchainement et la contraindre à se réadapter autrement ou à subir de plein fouet une autre attaque.

La tactique de diversion pour laquelle Xiaodan avait opté s’était avérée plutôt inefficace au final. Il n’aurait jamais pu s’attendre au lancé de sabre de Sejeong. C’était après tout une attaque aussi peu orthodoxe qu’inefficace ; qui penserait qu’une spécialiste en ferait usage ? Il avait l’impression d’être singé, et il aurait pu s’en offenser compte tenu de l’aisance avec laquelle une technique purement théâtrale entre ses mains avait su trouver une véritable utilité entre celles de son adversaire. Était-ce la différence entre un expert et un amateur ? Il serra les dents à la place, se décalant juste assez pour encaisser le projectile à l’épaule. En temps normal, le Yu aurait pu éviter l’assaut sans effort, mais son état actuel lui avait seulement permis de protéger ses points vitaux, plus par réflexe qu’autre chose, d’ailleurs. Avoir à la fois la clairvoyance nécessaire pour reconnaître un plan saugrenu pouvant changer la donne et les capacités requises pour le mener à bien… Il ne faisait aucun doute que la Jang supplantait de très loin le jeune homme dans le domaine de l’escrime. Pourtant, ce dernier était à des années-lumière de s’avouer vaincu. L’éclatement du coussin d’eau n’avait pas seulement projeté le bokken dans les airs, il avait incidemment rappelé Xiaodan à l’ordre. Son regard avait aussitôt scanné le terrain à la recherche de son adversaire, et la position de celle-ci avait tiré une sonnette d’alarme dans son esprit.

Elle n’avait pas rechigné à se salir les mains pour tenter d’attraper son arme au vol à grand renfort de cabrioles. Ce n’était pas un scénario que l’adepte d’arts martiaux pouvait cautionner : il se devait de tirer parti de cette ouverture dans la garde de Sejeong pour faire pencher la balance de son côté. Ravalant la modeste distance les séparant, il destina une estocade féroce à l’abdomen de l’ennemie. Malheureusement, les jambes de l’acrobate dévièrent la trajectoire de sa lame de bois, l’empêchant de mettre un terme à l’initiative adverse. Toutefois, alors que les doigts de l’assassine enserreraient le manche de sabre avec toute la fermeté et la familiarité attendues de sa profession, une mauvaise surprise l’attendrait ; une douleur soudaine au pied lui ferait comprendre qu’elle avait omis un petit détail dans ses calculs. En effet, elle avait beau avoir abaissé le bokken du Yu jusqu’à sa taille, il demeurait un maître d’arts martiaux. Autrement dit, il n’avait nullement besoin d’une arme pour infliger des dégâts, et la manière dont sa paume renforcée avait savamment heurté la cheville de l’aquamancienne en témoignait. Dans de telles circonstances, elle trouverait peut-être difficile à l’avenir de se mouvoir avec sa vivacité habituelle.

Alors que la lame de l’assassine menaçait dangereusement de punir cet affront, le bras libre du combattant s’interposa en guise de protection de fortune. La main de Sejeong avait bien tenté de l’en empêcher, mais elle avait échoué… en apparence, seulement. Si le résultat de cet échange semblait pencher en faveur de Xiaodan, il s’agissait en réalité d’une égalité. Son plan initial consistait à parer le bokken grâce à son membre renforcé à l’aide de son pouvoir. Néanmoins, l’intervention inopinée de l’ennemi l’avait contraint à user de son ki non pas à but défensif, mais de sorte à se défaire de l’entrave à temps pour ne pas recevoir de coup à la tête. De plus, l’aîné de la famille Yu avait échoué à contrôler parfaitement son geste dans la hâte. Au final, c’était un poignet non-renforcé qui avait été touché, donnant lieu à une blessure pas si différente de celle essuyée par la chouchoute de l’instructeur Jin. En somme, ils s’étaient rendus coup pour coup en l’espace de quelques instants. La seconde d’après, la demoiselle réalisa un assaut acrobatique de plus pour le frapper à l’arrière du crâne. Ayant mis un point d’honneur à ne pas perdre l’ennemie du regard, le Fauve Bleu réussit à percevoir ses intentions du coin de l’œil. Il se baisserait donc à la dernière minute, laissant les pieds de sa rivale lui passer au-dessus de la tête. Il se relèverait alors brusquement en tournant légèrement sur lui-même pour essayer de frapper le flanc adverse d’une attaque ascendante au bokken. Si cela fonctionnait, il mettrait plus de force dans l’assaut pour projeter l’autre médaillée de bronze au sol. Dans le cas contraire, il ferait mine de s’écarter par sécurité avant de revenir à la charge d’un bond, cette fois-ci avec un coup descendant.

La paume vint toucher sa jambe et généré une douleur diablement révélatrice que la demoiselle contint en serrant les dents, laissant sa voix mourir dans sa gorge sans possibilité de se répandre en l’air, tel qu’elle l’avait appris sous quelques coups de fouet. L’enchainement se poursuivit jusqu’à ce que ses pieds se déploient dans le vide et non sur son ennemi. L’absence de rencontre avec un support solide lui fit rapidement prendre conscience de l’échec du mouvement et la conduisit à riposter à l’assaut que la meurtrière ne voyait pourtant pas encore venir. Le corps à l’horizontal, l’assassine envoya son torse en torsion afin de vriller sur elle-même autour de cet axe horizontal. Le but était d’accélérer la chute d’une part et de pouvoir brandir le bokken de l’autre côté, transformant celui-ci en une sorte de lame circulaire perpendiculaire à son corps au niveau de la poitrine avant qu’elle ne le penche légèrement pour lui faire couvrir plus de terrain. Si le Yu portait son attaque, leurs armes devaient ainsi à priori se rencontrer. À ce moment-là, Manwol vrillerait dans l’autre direction jusqu’à frapper le sol lui-même avec son sabre d’entrainement dans un mouvement se dirigeant vers Xiaodan. Aucune attaque envers lui là-dedans. Au contraire, en frappant ainsi la terre, l’Ombre d’Imjin cherchait à se propulser en arrière pour s’écarter afin de créer la marge de temps nécessaire pour se relever. Roulant dans la boue, la Naksoo se plaça sur un seul pied, celui qui n’avait pas essuyé l’assaut du martialiste, afin de se redresser en se mettant en Du li bu. Que le Yu s’approche ou non à ce moment-là, l’assassine placerait l’arme d’entrainement entre ses dents et joindrait les mains pour former le yoni mudra, l’espace entre les paumes se remplissant alors d’eau.

Elle écarterait alors les mains en continuant de générer du liquide pour former un genre de barre horizontal d’un mètre de long que la meurtrière plierait en son centre pour venir confronter cette pointe au bokken adverse, moment où elle propulserait les deux « bras » de ce V pour qu’il se referme et s’unifie en un étau de 50 centimètres autour du sabre ennemi. Profitant de cet instant, les mains ayant propulsés les deux « bras » du V suivraient la trajectoire de l’eau dans sa suite pour justement retrouver le contact avec le liquide et faire remonter d’un coup sec le fluide le long de l’arme en direction de la main la tenant, comme si la demoiselle à la chevelure magenta projetait véritablement une matière solide avec ses mains. Néanmoins, ce n’était pas tout, puisque dans le même temps le mouvement de tête de la Naksoo menacerait, par le bokken entre les dents, de frapper le visage adverse durant le moment où elle attrapait l’étau d’eau sur l’arme antagoniste. Dans tout les cas, la meurtrière ouvrirait sa mâchoire, laissant la lame de bois tomber au niveau de son coude. En levant l’articulation au préalable pour faire pencher le sabre d’entrainement vers l’intérieur du corps, la seconde main vint saisir le manche pour finalement enchaîner sur un coup ascendant, dessinant un arc de cercle pour viser l’entrejambe de Xiaodan, mais Manwol ramènerait légèrement l’arme vers elle afin de le redéployer et donner un coup d’estoc dans le plexus solaire du martialiste.

Dans le cas où le Yu prenait davantage de temps à arriver, il laissait le temps à la Naksoo de ceindre la barre d’eau en deux lames, une pour chaque main. Le mudra dans ce contexte lui servait ainsi à se créer pour un temps limiter deux armes. Alors que « Sejeong » semblait se préparer à percuter d’une de ses créations liquide le bokken ennemi tandis que l’autre préparait une attaque latérale simultanée, la meurtrière relâcha celle qui devait servir à rencontrer le sabre d’entrainement du Yu qui tomba alors sur le pied blessé qu’elle avait levé au-dessus du sol, le genou replier sur sa poitrine. C’est ainsi l’autre arme d’eau qui servait à repousser ou au pire dévier le bokken de Xiaodan en le percutant tandis que le liquide dégoulinait sur le bas de la jambe pour reformer une lame éphémère à la plante du pied. Déployant sa jambe en pivotant le torse de 45° directement après avoir repousser l’attaque adverse, la main qui avait laisser échapper la création aqueuse avait eu le temps de venir rechercher le manche du bokken à la bouche de Manwol alors même que le pied envoyé en direction du Yu visait la gorge. Si Xiaodan ramenait alors son sabre d'entrainement, la Naksoo utiliserait ainsi le sien pour bloquer le retour de l'arme repousser du côté où elle avait pivoter son torse tout en tendant la jambe.

Une brise marquant la période transitoire entre deux saisons soufflait paresseusement sur l’ensemble de la région forestière abritant l’Académie Xiaolong. Pourtant, cette même brise était fendue par l’entrechoquement de deux bokkens sur le terrain voyant s’affronter Xiaodan Yu et Sejeong Jang. Le premier ne s’était vraisemblablement pas attendu à la parade aérienne de la seconde. Il avait vraisemblablement sous-estimé une fois de plus les talents d’acrobate de la concernée, et la manière dont elle avait mis à profit la force générée par leur brève rencontre n’avait fait que cimenter cette notion dans son esprit. Sur le coup, l’adepte d’arts martiaux s’était laissé berner par le coup dans le vent – ou plutôt le sol – de Sejeong. Il avait par conséquent reculé en catastrophe avant de se rendre compte, quelques pas plus tard, de la supercherie. Serrant les dents, le Yu ne tarda aucunement à rectifier son erreur en se rapprochant à toute vitesse de l’ennemie. Cela ne prit qu’un court instant, mais ce lapse de temps était plus que suffisant pour permettre à l’assassine sous couverture de préparer une défense de fortune sous la forme d’une sorte de colonne d’eau s’écoulant d’une extrémité à l’autre de l’aquamancienne telle une rivière au lit invisible. De la même manière qu’un aigle devait parfois braver les flots pour fondre sur sa proie, le Fauve Bleu était contraint de percer la défense aqueuse de son adversaire pour l’atteindre.

La tâche s’annonçait plus ardue qu’il n’y paraissait de prime abord. Le coussin d’eau de Sejeong était tout sauf passif, une observation évidente compte tenu de la tendance de celui-ci à remonter l’arme tâchant de le traverser. Néanmoins, la résistance offerte par le pouvoir de la médaillée de bronze fut de courte durée. La force brute accordée momentanément au Yu sur utilisation de son ki n’était peut-être pas aussi impressionnante que les pouvoirs de certains de ses camarades, mais elle ne pouvait être sous-estimée sans conséquences. Ainsi, la lame de bois finit par traverser la protection aqueuse de la Jang avant de terminer sa course sur son épaule gauche. L’attaque avait cependant été amortie envers et contre tout par l’initiative de la cultiste : les dégâts occasionnés cette fois-ci se limiteraient à un bleu somme toute peu gênant dans l’absolu. De plus, l’arme tenue de façon non-conventionnelle par la blessée avait simultanément heurté le bras de son assaillant, qui avait réussi cette fois-ci à interposer correctement son membre pour se protéger. Bien entendu, le jeune homme aurait pu se prémunir entièrement d’une blessure s’il avait consenti à mettre un terme à son attaque, mais il était le genre d’homme à accueillir la douleur comme une vieille amie si cela lui permettait d’accomplir ses objectifs. En outre, le pratiquant de kung fu estimait pouvoir sacrifier son avant-bras puisque son poignet en empêchait une utilisation offensive pour le moment.

Un nouveau bémol n’avait toutefois pas tardé à poindre à l’horizon pour le fils aîné des Yu : son adversaire était repartie à l’assaut dès que possible. En temps normal, cela n’aurait pas été problématique pour Xiaodan, mais la situation n’était pas ordinaire. Là où il aurait dû pouvoir dévier le bokken le menaçant à l’aide de son propre sabre d’entraînement, l’adepte d’arts martiaux avait été confronté à la résistance de l’eau. Celle-ci avait précédemment essayé de remonter jusqu’à sa main, et se défaire des bribes d’eau restantes pour parer avait coûté une seconde de trop au jeune homme. Sentant cela, il se résigna à encaisser l’attaque du mieux qu’il pouvait. Pour ce faire, le Fauve Bleu essaya de concentrer son ki dans la zone du plexus solaire afin de se protéger, une tentative louable qui échoua à cause de la soudaineté de la décision. Le peu d’énergie vitale emmagasiné lui permit néanmoins de limiter partiellement la casse, quoique pas assez pour donner le change quant à son souffle coupé. La réaction naturelle face à un tel scénario était l’indignation, mais ce fut plutôt un sourire qui se fraya un chemin sur le faciès du combattant en difficulté : cela faisait bien longtemps qu’il n’avait pas goûté au sursaut d’adrénaline d’un affrontement incertain.



Les rouages imaginaires dans la tête de Xiaodan tournaient à cent à l’heure, tant et si bien que l’évidence s’étant manifestée dans son esprit fut à peine prise en compte. La situation précaire du jeune champion de kung fu ne laissait aucunement place à l’hésitation, et il réagirait donc de manière décisive. Pressentant que Sejeong ne fût pas femme à laisser passer une opportunité, le Héros en devenir destinerait sa propre estocade à la concernée afin de l’empêcher de capitaliser sur sa réussite. Ce plan improvisé n’était pas bien sophistiqué : parier sur la cheville douloureuse de l’ennemie et sur le renforcement de son pouvoir pour la toucher à l’estomac et lui faire manquer le coche qu’elle avait créé. Il ne restait plus qu'à voir si la demoiselle allait parvenir à enchaîner directement son prochain assaut ou si quelques échanges de plus seraient nécessaires pour déterminer l'issue de ce duel.

La douleur dans l’épaule, causé par la frappe du Yu, s’estompait assez rapidement, laissant le champ libre à la femme à la chevelure magenta pour achever sa combinaison de mouvements et atteindre sa cible là où elle le voulait. S’il avait s’agit d’une vraie lame et non d’un sabre d’entrainement, le coup aurait été fatal, ou pas loin de là. Néanmoins il s’agissait ici d’armes d’entrainement contendante et il n’était guère possible de l’emporter par la mort de l’adversaire, comme cela était plus habituel pour l’assassine du Culte d’Imjin. Les paroles de Xiaodan qui suivirent était par conséquent on ne peut plus juste, la fatigue commençait à se faire sentir et la « Jang » avait mobilisé à ne nombreuse reprise ses capacités génératrices d’eau pour parvenir à ces frappes normalement létales. Cependant, elle ne lui renvoya pas la remarque à la figure. Perdre du temps en paroles inutiles pouvait s’avérer décisif, laissant un laps de temps d’inactivité ou d’occupation mentale de la prise de parole. De fait, la meurtrière décida donc de profiter des 5 à 6 secondes que prenaient la formulation de cette phrase pour plier le bras tenant l’arme afin de pouvoir par la suite amorcer un autre mouvement. Lâchant ce qu’il restait de son étau d’eau après les manouvres de l’antagoniste, Manwol ramena le bras vers l’autre tandis qu’elle levait ce second membre afin de former un angle droit avec celui-ci. Le sabre d’entrainement placé à la perpendiculaire de l’avant-bras, l’ensemble formait presque la lettre grecque Π quelques centimètres devant son visage. C’est le bras libre qui vint pour ainsi dire compléter ce rectangle, l’avant-bras se plaçant à la auteur de l’aisselle pour ensuite donner un coup de coude dans son propre bokken et y maintenir une pression d’opposition.

Le but de cette manœuvre était double. Premièrement, l’objectif était de venir plaquer la lame du sabre d’entrainement sur celle de l’adversaire, empêchant ce dernier de pouvoir donner un coup « tranchant » et même contraindre Xiaodan à ramener son bras vers lui pour le redéployer s’il comptait donner un coup d’estoc dans ce rectangle. La seule option véritable qu’il lui restait pour enchaînait serait normalement de laisser coulisser sa lame verticalement pour quitter le bouclier former par le bokken adverse afin d’ensuite donner un coup dans les jambes. C’était dans cette optique que « Sejeong » ramenait son poids sur la jambe en meilleur état pour préparer un saut sur place au besoin. Néanmoins, elle comptait surtout sur le second objectif de la manœuvre pour empêcher cela d’arriver. Avançant vers l’avant, elle faisait elle-même coulisser son bokken pour remonter celui du Yu, rendant plus complexe pour lui de faire coulisser son arme dans un sens différent. Ce coulissement amorcé par la Naksoo s’accompagnait d’une avancée, cette dernière utilisant son pied valide où elle rassemblait son poids de pivot. Relâchant progressivement le coude qui appuyait sur le bois du sabre, son buste passait dans le Π avant de lancer le bras libre pour donner un coup de poing à son adversaire. Cependant elle n’en fit rien, si le contact entre les deux armes était resté, elle se mit à descendre le bokken vers le sol, le tsuba du sabre d’entrainement venant alors crocheter l’arme adverse pour la faire descendre en même temps.

Vu sa position initiale, cette manœuvre envoyait le buste de Manwol vers l’arrière et, une fois son arme dans le sol, elle enverrait en même temps ses deux jambes en arrière. Si au premier abord elle semblait vouloir passer de l’autre côté du bokken du Yu, voir même posé ses pieds dessus comme précédent, c’est une fois son corps proche de la vertical qu’elle pivota d’un quart de cercle grâce à son coup de poignet qui fit vriller d’autant de degré son arme planté dans le sol. Ses deux pieds se mirent alors à redescendre pour tomber comme une guillotine sur la tête de Xiaodan. De plus, si ce dernier esquivait en reculant, la demoiselle pouvant adapté la trajectoire s’il ne se déplaçait que légèrement sur les côtés, « Sejeong » pourrait alors taper dans le sabre d’entrainement de son antagoniste pour le maintenir en bas, voir l’attraper entre ses deux pieds pour essayer de tirer vers elle le Yu pour lâcher l’arme et joindre les pieds pour frapper à nouveau la poitrine. Néanmoins, avec sa cheville défaillante l’opération risquait de ne pas marcher à partir de la saisis du sabre, raison pour laquelle son second puis propulserait sur le côté ce dernier au moindre signe que sa jambe lâcherait, ce qui était le plus probable. La « Jang » se servirait alors de l’impulsion pour se laisser tomber sur le sol, dans la boue, sa main demeurant enserrer sur le manche de son bokken lui permettant de ne pas s’en éloigner et de freiner justement son écartement.

Dans le cas où ses jambes étaient bien venus frapper le crâne de Xiaodan, ses pieds joint reviendrait sur le sol et elle profiterait des quelques instants où la douleur lancinante à cette zone importante générerait quelques troubles perceptifs pour extraire avec force son arme du sol et lui faire dessiner un arc de cercle pour également l'abattre avec le plus de violence possible sur son adversaire, tel un bourreau. Est-ce que le Yu avait cru qu'elle ne savait pas se battre sans avoir recourt à ses pouvoirs ? En tout cas elle ne les utilisa pas une seule fois ici afin de conserver le plus d'énergie possible afin d'exécuter cette manœuvre très technique.

La concentration de Xiaodan avait atteint son paroxysme. C’était quelque peu étrange puisque l’observation sortie de sa bouche semblait indiquer une certaine nonchalance. Ces traits n’avaient pourtant jamais perdus leur sérieux, et ce n’était pas la seule incongruité associable à cette prise de parole au timing discutable. Toutefois, la dernière offensive du jeune homme n’avait absolument pas laissé le loisir de remarquer ces détails à la dénommée Sejeong. En effet, son offensive menaçait de heurter de plein fouet l’assassine sous couverture qui décida en conséquence de dévier l’attaque. C’était un jugement correct en temps normal, mais la situation n’était malheureusement pas ordinaire. Comme à son habitude, la demoiselle avait fait montre d’une maîtrise indéniable de son corps, adoptant une position non-orthodoxe pour se prémunir des dégâts lui étant destinés. Malheureusement, la fatigue avait dû miner sa vivacité d’esprit dans la mesure où elle avait vraisemblablement mal jugé la nature de l’assaut de son adversaire. Xiaodan ne lui avait pas destiné un coup de taille, mais une estocade. Il était vrai que la forme presque rectangulaire prise par les bras de la Vilaine déguisée était plus que correcte pour soutenir son arme au vu de recevoir une attaque avec la partie supposément tranchante du bokken. Cependant, qu’en était-il d’un coup d’estoc ? La réponse allait être plutôt décevante pour la sabreuse.

Lorsque la lame de la Jang heurta celle de l’adepte de kung fu afin de s’en protéger et de reprendre les rênes de cet affrontement, elle fut fort probablement en mesure de constater deux choses. La première, c’était que la force contenue dans cette attaque était supérieure aux précédentes. Il n’était pas surprenant d’être pris de court par cet état de fait en raison du fonctionnement plutôt discret du pouvoir de Xiaodan. De plus, le choix inadapté de défense face à cette estocade renforcée s’était d’autant plus fait ressentir. Par conséquent, Sejeong échoua dans sa tentative de d'écarter l'arme d'entraînement opposée, ce qui nous amenait à la seconde observation : la technique utilisée par la concernée l’avait forcée à adopter une posture assez basse. C’était somme toute naturel dans la mesure où l’attaque ennemie la visait en plein estomac et qu’un repositionnement était donc nécessaire pour éviter de voir la lame adverse passer dans le cadre érigé par ses membres telle une lettre à la poste. Contre toute attente, cela avait en partie joué en la faveur de l’assassine. Là où elle aurait initialement été touchée à l’abdomen, ce qui lui aurait coupé le souffle en plus de l’envoyer au sol, elle s’en sortait avec un coup aux côtes. Ce serait probablement extrêmement douloureux, et la perte d’équilibre engendrée par l’impact s’annoncerait difficilement évitable au vu de ses appuis affaiblis, mais elle ne serait pas complètement sonnée, au moins.

De son côté, Xiaodan n’allait pas être en mesure de continuer sur sa lancée avec la même hargne. Depuis le début, cette estocade était un peu une tentative désespérée de retourner la situation en sa faveur. Si les paroles nonchalantes prononcées un peu plus tôt semblaient s’adresser à Sejeong, il en était en réalité le destinataire. Le don qui était le sien avait pour ainsi dire une volonté propre, et il lui arrivait de se manifester de la sorte, généralement en sa défaveur, d’ailleurs. Bon nombre de rumeurs courraient notamment à son sujet à cause de cette spécificité. L’observation d’un peu plus tôt s’était voulue être une pique à son égard au sujet du peu de ki lui restant, mais elle avait apparemment réussi à déconcentrer la Jang au vu du résultat actuel. Néanmoins, cela ne remédiait absolument pas au problème de base, à savoir que son ki était presque à sec. Or, il ne pouvait pas se permettre de vider ses réserves dans leur intégralité. Pour ne rien arranger, son corps avait une fâcheuse tendance à être pris de sérieuses courbatures lorsqu’il se rapprochait de la ligne à ne pas franchir. L’ampleur de cette douleur l’avait pris d’un coup après avoir mené à bien une attaque dans laquelle il avait insufflé une bonne partie de ses forces. Son action suivante, visant à infliger le coup de grâce à Sejeong via une taillade avec une trajectoire en arc de cercle, serait donc réalisée avec un léger temps de retard.

Il semblait qu’elle n’avait pas exécuté le mouvement avec le tempo adéquat pour contrer l’estocade avec sa technique de iaido. Leur proximité corporelle était peut être la raison, de toute manière ce n’était guère le moment de se questionner sur le pourquoi du comment, il fallait réagir. Le coup la toucha aux côtes, générant une douleur qui manqua de la faire tourner de l’œil, et la déstabilisa. Comme souvent lorsqu’elle était en perte d’équilibre, la demoiselle à la chevelure magenta préféra se laisser entraîner par la gravité plutôt que de laisser une ouverture trop large à l’adversaire. Cela accompagnait le vacillement de sa conscience plutôt que de chercher à se réaffermir dans la réalité trop précipitamment. Se laissant ainsi tombé sur le côté opposé à celui où les côtes avaient été frappé, « Sejeong » roula sur l’épaule afin de s’écarter et se repositionner en mettant le plus de poids possible sur sa cheville en bon état, laissant l’autre jambe allongé pour limiter l’aggravement de la situation de la cheville blessé. Secouant la tête afin de se ressaisir le plus vite possible. En tout cas, ces derniers instants sans mobilisés un seul instant son propre pouvoir allait lui permettre de se lancer à corps perdu dans la tentative qu’elle gardait en réserve. Elle ne ferait plus le moindre cadeau. C’était une assassine. Et là situation dans laquelle elle était au meilleur de ses capacités c’était la mise à mort. Manwol devait réfléchir pour le tuer. Oui elle allait le buter. Ces armes n’étaient pas létales après tout, donc opérer une technique mortelle en se limitant assez devrait suffire pour ne pas l’envoyer six pieds sous terre.

-피의 달.

Est-ce que Xiaodan aurait le temps d’observer la différence s’inscrire sur le visage de son adversaire. Alors qu’à nouveau de l’eau courrait le long du bokken, la flamme qui dansait dans les yeux de la Naksoo dévorait sa propre âme d’une avidité meurtrière. Elle se laissait submerger par l’envie de faire couler le sang alors qu’un sourire malsain courrait sur ses lèvres pendant quelques instants. La cicatrice sur son visage la chatouillait par l’adrénaline, par l’excitation d’accomplir la mission de la faucheuse. Le coup de taillade arrivait, mais la demoiselle recula d’une roulade en arrière, envoyant son pied valide en premier afin que ce dernier soit le premier en contact avec le sol. Déployant la force dans ses jambes, appuyant même sur sa cheville blessée en l’endommageant d’autant plus, l’Ombre d’Imjin bondit du sol en l’air. Son bokken tenu à deux mains était dressé dans le ciel, s’apprêtant à l’abattre verticalement de toute ses forces sur le Yu qui à cette distance assez faible entre eux ne pouvait que parer en plaçant son arme sur le chemin ou esquiver. En effet, le cas échéant le coup risquait de lui fracasser le crâne. Le hurlement décérébré de la demoiselle pourtant si mutique laissait pleinement entendre qu’elle mettait là pour ainsi dire ses dernières forces avec une forme de désespoir… Comme si cette attaque ridicule pouvait passer. Qu’il pare ou qu’il esquive l’attaque suivante était déjà visualisé.

Si Xiaodan plaçait son arme sur la trajectoire du coup pour bloquer l’attaque, absorber l’énergie cinétique et encaisser la force de la bretteuse afin de mieux l’achever par la suite, la main placé sur le tsuba du bokken lâcherait alors l’arme en tirant l’eau se trouvant sur la lame. Le bras en s’écartant brandirait ainsi une lame d’eau, de la taille de celle d’un wakizashi, tandis que les sabres d’entrainement s’entrechoquerait. Dans la continuité du mouvement, Manwol, ses deux pupilles brillant telle des pleines lunes, dirigerait alors avec sa vélocité cette « arme » créé par son pouvoir droit en direction de la gorge, de la jugulaire précisément, de son ennemi alors même que les deux sabres étaient bloqués ensemble. Si jamais il parvenait à mobiliser son ki extrêmement rapidement et parvenait à protéger son corps de cet assaut déclenché au tout dernier instant, l’improvisation suivrait : les deux jambes de l’assassine s’écarterait, telle un grand écart pour se refermer sur la taille du Yu en profitant de la gravité qui la ramenait vers lui en raison du bon dans sa direction. Dans la même temporalité, elle chercherait à donner un coup de tête, front contre front, au martialiste tandis que la main ayant voulu planter le poignard d’eau enfoncerait ses ongles dans l’épaule pour chercher à lacérer l’épiderme. Pariant sur la déstabilisation de l’ennemi, elle profiterait du relâchement dans l’opposition des lames pour appuyer avec son buste sur la sienne tout l’orientant pour qu’elle se penche finalement en diagonale jusqu’à la gorge et se poser, menaçante, sur la jugulaire, comme prête à égorger le Yu.

Si Xiaodan refusait le contact est préféré esquivé pour laisser la demoiselle épuisé dans le vide ses forces, c’est pendant le mouvement d’esquive lui-même que la main positionné sur le tsuba se poserait plus haut sur le bokken afin de projeter l’eau sur le Yu sous la forme de trois « fléchettes » : une vers la tête, une au niveau de la poitrine et une droit dans le pied. Suite à cela, le sabre d’entrainement frapperait le sol dans une giclure de boue tandis qu’à l’atterrissage une grimace arracherait le visage de la femme à la chevelure magenta à cause de la douleur dans sa cheville. Se laissant néanmoins glissé sur le sol, acceptant la douleur comme une amante fidèle, son corps se retrouva à l’horizontal sur le sol, presque comme étalé de tout son long. Néanmoins l’action ne serait pas fini puisque la Naksoo profiterait que Xiaodan aient eu à gérer les projectiles, peu importe le nombre et ceux qui l’avaient touchés, pour immédiatement balayer le sol de son arme afin de frapper l’arrière des jambes de son opposant et le forcer à chuter en prenant elle-même appuis sur le corps de son ennemi pour se relever et abattre le bokken jusqu’à la nuque du Yu.

Les plaintes silencieuses des muscles de Xiaodan lui rappelaient sans cesse ses excès passés. La douleur avait beau être une vieille amie pour cet habitué des terrains d’entraînement, il ne pouvait se soustraire aux conséquences du mal à son origine : il s’était donc arrêté dans son élan victorieux par la force des choses. Pour ne rien arranger, il lui était difficile d’ignorer le ralentissement notable de ses mouvements, un constat frustrant mais peu surprenant de son point de vue. Pourtant, plus que la sonnette d’alarme tirée par son corps, c’était celle tirée par sa tête qui accaparait toute son attention. Le premier enfant des Yu avait vu sans peine le sourire malsain de son adversaire sous le clair de lune ; son instinct et plus encore lui disaient de ne pas prendre cette histoire à la légère, de tout donner s’il espérait voir un autre croissant de lune. La soif de sang émanant d’elle était peut-être le fruit de l’imagination d’un jeune homme à bout, mais elle apparaissait bien réelle pour ce dernier. Le coup de taille censé clôturer ce duel se fit donc plus virulent que prévu ; cependant, ce fut la terre moite qui en fit les frais dans la mesure où l’assassine déguisée réussit à s’extirper avec brio de son mauvais pas. Elle alla même jusqu’à faire fie de ses blessures pour réaliser son prochain assaut, une attaque aérienne téléphonée au possible qui ne pouvait être qu’une sorte de feinte.

Le pratiquant de kung fu n’aurait rien aimé de plus que créer une distance de sécurité avec la Jang, reculer à la manière de la concernée pour revenir à la charge. Toutefois, la fatigue amenée par l’utilisation répétée de son pouvoir rendait une esquive trop incertaine. Le combattant aux cheveux bleus paria donc sur une parade. Adoptant une position basse en écartant ses jambes, il pencha son arme de sorte à encaisser une partie du choc et laisser le reste se perdre sur le côté. Il appuya même son bras endolori à l’arrière de la lame afin de supporter au mieux la manœuvre ; le médaillé de bronze avait beau douter des intentions derrière cette attaque, la prudence restait de mise. Ce fut cet état d’esprit qui lui évita un méchant coup à la gorge quelques instants plus tard, lorsque la demoiselle tâcha de le cueillir d’une lame d’eau perfide. Sa méfiance l’avait conduit à répartir son ki de façon plus équitable ; la fenêtre avait été courte, mais il était parvenu à renforcer son cou à la dernière seconde. Une véritable lame serait tout de même parvenue à se frayer un chemin dans sa chair, mais celle-ci n’était heureusement guère plus tranchante qu’un bokken. Fort de cette réussite, l’adepte d’arts martiaux s’apprêtait à profiter de la position peu avantageuse de l’ennemie pour la repousser une bonne fois pour toute, mais c’était sans compter sur la hargne de cette dernière.

Le Yu fut incapable de stopper les jambes de l’assassine de s’enrouler autour de lui tel un serpent autour d’une souris. Déstabilisé, il fut essaya de renforcer son front pour affaiblir le coup de tête adverse, mais le peu d’énergie lui restant n’atteignit pas la zone escomptée à temps. Si Xiaodan tourna de l’œil l’espace d’un instant, il n’était clairement pas prêt à abdiquer aussi facilement que cela. Malheureusement pour lui, il était pris à son propre piège : la position adoptée par son bras libre pour supporter son arme était peu optimale pour se tirer de ce mauvais pas. Cela n’avait fait qu’empirer lorsqu’ils avaient naturellement heurté le sol à la suite de sa perte d’équilibre inéluctable. S’il avait eu plus d’expérience dans le maniement du sabre, il aurait pu opter pour une technique de parade moins contraignante, lui laissant une main libre pour diriger un coup du plat de la main à la gorge adverse et couper court à ses ardeurs. À la place, ce fut sa propre gorge qui fut menacée quelques secondes après avoir senti les ongles de la furie lui pénétrer l’épaule. Ce combat était terminé, et le vainqueur était plus qu’apparent.









L’individu en question n’était pas tout à fait inconnu aux yeux de Sejeong, et pour cause : elle l’avait côtoyé durant l’intégralité de son cursus académique. Il s’agissait du petit génie de leur classe actuellement considéré comme l’un des meilleurs élèves de la promotion : Meng. Il était aussi connu comme le petit ami de Meixiu Tan et la brute épaisse qui ne manquait jamais une occasion de rabaisser son entourage. Tout comme Cai Yan, il lui arrivait souvent de froisser quelqu’un, mais contrairement à ce dernier, il ne reculait jamais devant un affrontement. Cette forte tête était un habitué des punitions, et celles qu’il recevait étaient autrement plus sévères qu’un bête nettoyage des terrains. Elles n’avaient pourtant en rien diminué sa désinvolture et sa confiance en lui. C’était sa réputation de bagarreur invaincu qui, plus qu’autre chose, avait assuré une certaine tranquillité auprès d’une Dandan trop timide pour demander l’aide de son professeur. Il affichait actuellement un  de ces sourires suffisants qui quittaient rarement son faciès tandis que ses pas lestes le rapprochaient du duo encore au sol. Ils auraient largement le temps de se remettre debout avant l’arrivée en bonne et due forme du fauteur de troubles.



Pour appuyer ses propos, il leva les deux pouces en l’air. Il n’était pas tout à fait clair s’il les raillait complètement ou s’il pensait au moins en partie ce qu’il disait. Dans un cas comme dans l’autre, Meng ne tarda pas, comme bien souvent, à ramener la conversation à lui.

Lorsque la capitulation fut prononcée, la demoiselle à la chevelure magenta ne bougea pas immédiatement, fermant les paupières et prenant quelques secondes pour se calmer. C’est alors qu’une voix piquante vint mordiller sa perception. Se détachant de son « partenaire d’entraînement », Manwol se laissa rouler sur le côté. Elle prit sa respiration puis s’appuya sur son bokken pour se relever plus facilement. Si Xiaodan n’était pas encore redresser, elle l’observerait faire toute en terminant de reprendre son souffle. Les mots de Meng Wen s’immisçaient dans ses oreilles, la poussant à légèrement froncer les sourcils. Se moquait-il d’eux ? Peu importait ce qu’il pensait réellement de toute manière.

-Bonsoir Meng. Ravie que le spectacle t’ait diverti.

La jeune femme avait scrupuleusement choisis ses termes. « Diverti », pas « plu ». « Spectacle », pas « affrontement ».

-Je me demande si j’ai des chiffonniers parmi mes ancêtres, s’amusa narquoisement la Naksoo en retirant un peu de boue de son visage.

Il fallait savoir se salir les mains dans des métiers comme le sien. Que les nobles, samouraïs ou autres chevaliers dont on lui avait rapporté quelques histoires gardent une posture orgueilleuse où la salissure serai déshonorante ne faisait que confirmer la faiblesse de certains. Ce n’était pas une question d’honneur, mais de perception de cette notion qui pouvait varier en fonction de l’individu qui se l’accaparait. Même les assassins pouvaient disposer d’un honneur, bien que leurs missions pouvaient prévaloir parfois à celui-ci. Chez certains tueurs-à-gage, cela se manifestait dans l’acceptation et le refus des cibles, pour d’autres c’était une sorte de code d’honneur entre assassins, pour d’autres encore c’était la manière de donner la mort.

-동물들이 여우 뒤의 호랑이를 보고 달아났습니다호랑이는 여우가 동물의 왕이라고 믿었습니다.

« Voir le tigre qui suivait le renard fit fuir tous les animaux. Aussi, le tigre cru que le renard était le roi des animaux. » Cet extrait d’un vieux conte traditionnelle servait à qualifier la situation… Mais parlait-elle de la relation de Meng Wen et Meixiu Tan ou d’une toute autre plus en rapport avec ce qui était en train de se dire ?… Pour peu que quelqu’un ici ait pu comprendre cette phrase, ce qui lui semblait fort improbable, le doute demeurerait entier.

-주셔서 감사합니다… commença-t-elle avant de tousser pour reprendre dans le langage commun, révélant de ce fait qu’il demeurait pour elle souvent assez naturel de parler cette étrange langue méconnue. Je te remercie dans ce cas. Il aurait été bien décevant que nous ne puissions arriver au bout de ce duel.

Elle se tourna alors vers son opposant.

-Puisque j’ai gagnée, que dis-tu d’une sorte de gage ? … Pourquoi pas rejoindre notre groupe pour l’expédition à venir par exemple ? déclara-t-elle avec sérieux tandis que son sourire tendait la cicatrice qui ornait son visage. Qu’en pense-tu Meng ?

Le regard doré de la Naksoo se planta alors dans celui de l’homme qui demeurait le meilleur élément de la promotion.

-Avec un chef tel que toi pour nous guider, et en y ajoutant nos humbles capacités, je ne vois pas ce qui pourrais mal se passer.

Elle cherchait à flatter son égo sans aller jusqu’à lui cirer les bottes, ce n’aurait pas été des plus crédibles. Il valait mieux jouer sur la subtilité pour donner une impression de sincérité.

Dans la mesure où il n’avait pas assisté au combat dans son intégralité, il s’agissait de la première fois que le noiraud était confronté au langage perdu du royaume de Gogukje. Pour être tout à fait exact, il s’agissait plutôt de la première fois qu’il daignait s’intéresser au sens des mots en question ; il ne faisait aucun doute qu’au cours de l’année précédente, il avait eu plus d’une occasion d’entendre l’un des nombreux proverbes de sa camarade. En l’état, et sans grande surprise, le bagarreur ne disposait nullement du savoir requis pour déchiffrer les paroles de l’assassine sous couverture. En désespoir de cause, il avait donc passé le flambeau au troisième individu présent, qu’il avait au passage affublé d’un surnom, une des quelques manies que la Jang pourrait lui reconnaître. Xiaodan répondit par un simple haussement d’épaules sans daigner corriger le sobriquet peu représentatif de son art. À dire vrai, il pensait avoir compris qu’elle parlait d’un tigre et d’un renard puisqu’il avait entendu deux mots similaires, mais il était incapable de saisir le contexte général. Dans le doute, il avait préféré garder le silence, ce qui avait quelque peu contribué à irriter le Wen. Après tout, rien ne lui permettait de déterminer avec certitude si Sejeong n’en profitait pas pour se payer sa tête. Le moment choisi pour utiliser ce langage inconnu était d’ailleurs assez suspect. Dans de telles conditions, le combattant doutait quelque peu de la gratitude finalement affichée par sa coéquipière.



En effet, Meng comptait lui aussi inviter le Yu à rejoindre leur petit groupe. Le jour de leur première réunion approchait à grand pas, mais il n’avait jusqu’alors pas trouvé le moindre candidat valable à proposer. Ce n’était pas faute d’avoir essayé, pourtant. Malheureusement, les seuls Héros dignes de passer un accord avec lui étaient soit hostiles à l’idée, soit plus enclins à aller voir ailleurs. Le reste était à peine bon à servir de chair à canon, et le Wen ne comptait absolument pas s’encombrer de boulets pour cette expédition. Il n’avait pu tolérer l’inclusion de Dandan que pour deux raisons : le bagout de Cai et le feu vert de Meixiu. Sans l’un ou l’autre, il y avait fort à parier que les efforts de Sejeong auraient été vains. En l’occurrence, l’accord des deux autres ne serait pas nécessaire compte tenu du fait qu’il reconnaissait lui-même un certain talent au Yu.

Certes, les techniques de l’adepte de kung fu n’étaient décidément pas suffisantes pour vaincre un génie tel que lui, mais le noiraud estimait au moins devoir prendre l’affrontement au sérieux si d’aventure ils venaient à croiser le fer. Aux yeux du Wen, c’était le compliment ultime pour quelqu’un de la même génération. La  Jang pouvait d’ailleurs se targuer de compter parmi les rares personnes dont les prouesses martiales leur permettait de bénéficier d’une forme d’estime de sa part. De plus, elle semblait être le genre de personne à répondre aux désirs d’un supérieur hiérarchique sans qu’un seul ordre ne fût donné. Il s’agissait d’une qualité qu’elle partageait avec Cai, et ce n’était pas pour déplaire à Meng. Dans l’absolu, le noiraud était ravi de pouvoir compter sur elle en expédition, même s’il aurait aimé qu’elle soit moins cryptique dans sa façon d’être… Il avait grand espoir de pouvoir ajouter une figure solide de plus à leurs effectifs, mais la suite des événements piétina une fois de plus ses attentes.



Le Yu marqua un temps d’arrêt, l’air de peser ses mots, avant d’expliquer ce qui motivait son refus. Durant ce court instant, le Wen lança un regard discret vers Sejeong, l’air de dire qu’il comptait sur elle pour lui faire changer d’avis.



Une certaine frustration pouvait se lire sur le visage du bagarreur à mesure que leur interlocuteur avançait ses arguments. Plus cela allait, et plus cela lui semblait être des excuses, les mêmes fournies par bien d’autres au cours de cette maudite journée. Le noiraud ne comprenait absolument pas pourquoi il essuyait autant de refus depuis ce matin : selon toute logique, son statut aurait dû lui assurer un minimum de succès. Sa patience commençait sérieusement à approcher ses limites, et il fallait noter qu’il se serait déjà défoulé sur l’un des pauvres hères à l’origine de son ire si les circonstances n’avaient pas été exceptionnelles.



Au vu de ce qui venait de se passer, le Wen avait décidé de quitter les lieux avant que sa méchante envie de cogner ne prît le pas sur son esprit critique. L’ayant côtoyé pendant de longs mois, la cultiste déguisée n’aurait aucun mal à noter qu’il faisait preuve d’une retenue peu caractéristique dans son cas. Toujours était-il que le jeune homme s’arrêterait un moment pour destiner un dernier message à sa coéquipière avant de s’en retourner d’où il venait.

« Sejeong » garda le silence durant les justifications du Yu, s’attelant à observer les réactions de l’un et de l’autre afin d’en déduire comment se présenter les choses en leur for intérieure. Cela ne manqua pas car Meng s’avéra bien vite contrarié. Il fallait dire que la patience n’était pas son fort. En tout cas, les arguments avancés par Xiaodan firent tiquer la demoiselle à la chevelure magenta.

-Tu as encore du temps pour changer d’avis. Réfléchis-y, nota Manwol quand le Wen commençait tout juste à se retourner, afin d’appuyer les propos de ce dernier de manière à ce qu’il entende. Je te remercie de ta prévenance. Je comptais m’y rendre de ce pas de toute manière, ajouta-t-elle comme réponse à l’ultime déclaration du major martial de la promotion.

Le comportement de Meng était assez particulier. La situation de son côté devait véritablement s’avérer problématique ou, tout du moins, frustrante vu comment il avait fait des efforts pour une fois. Cela devait être en lien avec l’expédition et avec le recrutement sinon il se serait certainement laissé aller. La demoiselle se laissa tomber sur l’arrière-train et attendit que le Wen soit suffisamment loin pour qu’il ne puisse pas entendre. Dès lors, la Naksoo parla en modulant sa voix pour diminuer les chances d’être audible de ce spectateur de la finalité du combat.

-Je suis déçu que tu dises que nous nous connaissons à peine après les échanges que nous venons d’avoir. Les combattants émérites peuvent dialoguer au travers de leurs coups et notre discussion s’est avéré suffisamment prolifique à mon goût. En tout cas, je n’ai que rarement vécu un entrainement si intéressant depuis mon arrivée ici. Pour ma part, cela fait de toi l’une des personnes qui me connait le mieux dans cette Académie, commença la femme à la cicatrice faciale pour répondre au premier point de son interlocuteur. Tu me laisse seul avec ces énergumènes, enfin bien entendu je pourrai compter sur Dandan qui est bien la seule en qui j’ai véritablement confiance dans ce groupe. À ce titre, je ne pensais pas que tu te considérais comme un maillon plus faible qu’elle, mais cela me réjouit si c’est le cas de voir que je ne suis pas la seule à considérer son potentiel plus que ses difficultés présentes.

La « Jang » marqua une pause, faisant aller sa cheville pour évaluer la douleur et si celle-ci se ferait beaucoup ressentir le temps de marcher vers l’infirmerie.

-Où as-tu des impératifs ? J’ai l’impression que Meng a essuyé quelques problèmes à trouver des candidats pour prendre la dernière ou les dernières places ouvertes dans notre groupe… Vu son comportement en tout cas. J’en viens à me demander si son comportement général est la seule raison.

Une solution logique pouvait se construire d’elle-même, même si rien ne garantissait que cette hypothèse soit véridique. Les affinités propres aux groupes d’amis, l’absence d’envie de rejoindre le couple en tête de promotion et d’autres rapprochements pouvaient se concorder pour former un terreau propice aux refus malgré l’avantage que pouvait représenter le ralliement au groupe de Meng.

-Est-ce qu’un autre groupe « élitaire » ne serait pas en train de se former ?

Un petit sourire malicieux se dessinerait sur son visage. L’idée était plaisante, c’est quelque chose qu’elle aurait pu elle-même faire. C’était une sorte de « contre-pouvoir », d’alliance antagoniste, qui permettait de se détacher de la tyrannie d’un Meng et d’une Meixiu pour prendre son envol en conservant des chances de réussite… Et établir un accord avec un tel autre groupe pouvait s’avérer intéressant pour conduire le couple à sa perte. Manwol n’avait besoin in fine que de Dandan et garder une opportunité de repli avec un autre groupe pouvait s’avérer une solution intéressante si conduire le reste de sa troupe à la mort échouait.

Meng fit un signe de la main sans se retourner pour indiquer que les paroles de sa coéquipière n’étaient pas tombées dans l’oreille d’un sourd. Quant à Xiaodan, il avait répondu à l’affirmatif d’un hochement de tête qui ne l’engageait à rien. L’attitude atypique du Wen ne lui avait pas échappé, et il était donc légèrement pensif. Quand bien même les deux hommes ne se connaissaient que de réputation, le bourreau du travail avait assez entendu parler de son interlocuteur pour noter l’incongruité. Il n’était absolument pas homme à croire aux rumeurs, mais le mauvais caractère du camarade de Sejeong n’en était plus une depuis bien longtemps. Les reproches de l’assassine déguisée le sortirent toutefois de ses pensées. Son expression demeura impassible au début, mais elle se teinta de surprise et de curiosité à la seconde moitié des paroles de la jeune femme, en particulier à la mention d’un nom auquel il ne s’attendait vraisemblablement pas.



La fille des Xie était la servante officieuse de Meixiu et disposait donc d’une certaine réputation au sein de Xiaolong en raison de l’affiliation de cette dernière, mais le Yu ne la connaissait pas. Malgré leurs natures travailleuses, ils ne vivaient pas dans le même monde. Pour commencer, ils étaient dans des classes différentes ; ensuite, ils ne se croisaient que très rarement compte tenu de leurs emplois du temps respectifs ; enfin, ils n’avaient au demeurant aucune raison d’interagir. Xiaodan n’était pas du genre à écouter les ragots et les commérages, loin de là. Les seuls élèves qu’il connaissait hors de ses camarades de classe étaient ceux qu’il côtoyait ainsi que les petites célébrités de la promotion. Meng en faisait bien entendu partie en tant que l’une des têtes de proue de leur génération, et la Tan aussi puisque son nom revenait souvent avec le premier. Cependant, Dandan n’avait rien pour se démarquer du lot. Le Tigre Bleu était conscient de l’existence d’une jeune fille obéissant au doigt et à l’œil à la petite amie du Wen, mais il serait bien incapable de la pointer du doigt en l’absence de cette dernière. Après tout, le temps d’un guerrier était précieux, et il serait bien mal avisé de le gaspiller à suivre de près les malheurs d’une inconnue. Il convient néanmoins de noter que la situation aurait été toute autre si la Xie avait montré des signes de détresse. Profitant de la pause marquée par la Jang, le jeune homme répondit à son homologue.



Son regard croisa celui de la criminelle sous couverture alors qu’il continuait son monologue. Ses yeux et le reste de son langage corporel ne trahissaient aucune forme d’hésitation. Il semblait exposer là le véritable raisonnement derrière son refus catégorique.



Suivant l’exemple de Sejeong, Xiaodan vérifia l’état de son bras. Compte tenu de sa tendance à ignorer la douleur, il l’avait quelque peu délaissé jusque-là. Ce n’était pas joli à voir, mais il serait sans doute guéri à temps avec les soins de Madame Jin.



L’adepte de kung fu se tourna en direction de l’infirmerie et commença à s’y rendre à un rythme de marche assez lent. Il était proche de l’épuisement total compte tenu de ses réserves de ki quasiment à sec, et il aurait de toute façon jugé impoli d’abandonner la Jang alors qu’ils se rendaient au même endroit.









Loin des yeux et des oreilles des deux combattants, Meng avait pris la parole. Il s’adressait à une silhouette familière tapie dans la pénombre. Celle-ci fit quelques pas en avant, permettant à la lueur de l’astre nocturne de révéler ses traits au diplômé en devenir. C’était l’instructeur Jin, et il avait clairement levé les yeux au ciel face au rappel de son élève. Il convenait d’expliquer le pourquoi du comment de cette entrevue. Song était en fait là depuis le début : les événements de la veille l’avaient conduit à prendre ses rondes nocturnes un peu plus au sérieux, et il était vite tombé sur Xiaodan dans sa posture du lotus. Sachant que ce dernier optait généralement pour des méthodes plus demandantes, le vieux Héros avait senti ce qui se tramait, et la suite ne lui avait pas donné tort. De son côté, le Wen était parti à la recherche la Jang suivant un commentaire de sa chère et tendre. Elle l’avait qualifiée de « divertissante », ce qui avait titillé sa curiosité. C’était de cette manière que le noiraud s’était retrouvé à assister au duel. Le Yu lui ayant tapé dans l’œil, il avait décidé de faire une entrée en scène tonitruante pour l’impressionner. En vérité, il aurait opté pour la même approche même dans d’autres circonstances, mais là n’était pas la question. Ainsi, le manieur de lames d’énergie attendait son moment pour interrompre le combat en tranchant en deux les bokkens adverses. Ayant deviné les pensées de son élève, Jin l’avait forcé à se tenir à carreau jusqu’à la fin. Il en avait aussi profité pour lui promettre une petite récompense s’il rappelait aux deux combattants de se rendre à l’infirmerie.






Meng haussa un sourcil et ne chercha pas à comprendre plus que cela. Il prit simplement cela pour les élucubrations d’un vieil homme en passe de devenir sénile et rentra aux dortoirs sans plus de cérémonie. Cela allait lui faire du bien de ne plus avoir son professeur sur le dos… Ce dernier observa silencieusement Sejeong alors qu’elle s’éloignait, et il ne put s’empêcher d’être emprunt d’une certaine mélancolie. Clignez des yeux une seule fois et les enfants sont déjà prêts à quitter le nid… Le vieux Jin aurait aimé passer plus de temps avec ses élèves, Dandan en particulier. Néanmoins, il savait qu’il n’avait plus grand-chose à leur apprendre : Sejeong et Meng l’indiquaient parfaitement. En vérité, Song le savait depuis quelque temps déjà, mais il n’était pas parvenu à se défaire d’une certaine appréhension. Ayant à peine survécu à Antiqua, il était plus que conscient des dangers recelés par ce continent. Le nombre de funérailles auxquelles il assistait à chaque fin de cycle ne l’aidait en rien à calmer ses craintes. C’était pour cette raison qu’il était toujours tendu en cette période de l’année.

La perspective de voir la Jang se battre lui avait donc paru des plus attrayantes. Le professeur qu’il était aurait probablement dû mettre un terme prématurément à cet affrontement puisque la possibilité d’une blessure sérieuse avant l’expédition n’était pas à exclure. Cependant, il voulait voir de quoi la Jang était réellement capable. Au cours de l’année, le vétéran avait toujours eu l’impression de ne pas voir toute l’étendue des capacités de cette demoiselle. Ce soir-là, Song avait enfin eu un aperçu de ses véritables capacités. Un fin sourire se dessina sur ses traits lorsque le duo quitta enfin son champ de vision : il avait désormais l’intime conviction que Sejeong s’en sortirait quoiqu’il arrive, et il savait qu’il en irait de même pour Dandan vu que ces deux-là étaient inséparables. Il pouvait les envoyer sur le nouveau continent l’esprit tranquille.







Une voix peu accueillante avait raisonné dans le hall désert de la bâtisse servant d’infirmerie lorsque Sejeong et Xiaodan étaient entrés à l’intérieur. Un rapide coup d’œil sur leur droite les informa que l’endroit n’était pas si vide que cela. Une vieille femme était assise sur une chaise en bois à l’allure fort confortable, un livre entrouvert reposant sur ses cuisses. Il s’agissait de Madame Jin, la cheffe de l’équipe médicale de Xiaolong. Elle était plutôt aigrie, mais rien d’inhabituel là-dedans. Il était bon de préciser que l’endroit fermait officiellement ses portes peu après le coucher du soleil. Toutefois, l’infirmerie restait généralement ouverte jusqu’à minuit, voire plus, parce que la vieille dame était une couche-tard de première. Le fait que ses quartiers pouvaient aussi servir de logement contribuait d’ailleurs grandement à cela. Elle recevait assez rarement des visiteurs après l’heure de fermeture, mais cela ne la gênait pas outre mesure d’offrir ses services jusqu’à la visite du Marchand de sable. Elle n’avait rien de mieux à faire de toute façon, et on lui comptait cela comme des heures supplémentaires.

-C’est celle qui sert de larbin à Meixiu. Elle a du potentiel, mais sa timidité ou quelque chose comme ça la bloque. J’espère bien la voir s’épanouir dans un contexte qui y sera favorable…

Le fait que son adversaire du jour se montre honnête avec elle fit plaisir à la meurtrière qui voyait avoir d’une certaine manière gagner cet honnêteté par l’entrainement. Ils s’étaient bel et bien rapproché d’une certaine manière et le jeune avait suffisamment de confiance et/ou de respect envers elle pour parler franchement.

-Disons que j’ai mes propres projets concernant les événements à venir et cela nécessite de subir quelques désagrément. Qui sait, peut-être Dandan et moi débarquerons subitement à ta rencontre en pleine expédition parce que nous aurons fui ces malheureux énergumènes une fois que j’aurais fais ce que j’ai à faire…

Ou plutôt que Meixiu fuirait la défaite en annonçant à tout le monde la mort des autres tandis qu’en vérité Manwol et Dandan aurait abandonné à la mort les deux garçons pour s’enfoncer seul dans les terres inexplorés à la recherche de traces de vies. La Naksoo savait à quel point il était difficile de survivre sur Antiqua, surtout sans avoir une certaine expérience. De nombreuses apprentis mourraient et, même si la demoiselle avait confiance en ses capacités, survivre longtemps sur ce continent était compliqué même pour les plus grands héros, alors même elle ne pouvait pas prendre les choses à la légère. Ainsi, depuis qu’elle avait entendu parler de leur existence, l’Ombre d’Imjin envisageait à employé ses capacités d’adaptation pour essayer d’infiltrer une petite localité d’autochtones d’Antiqua en prétextant venir d’un autre village ayant été détruit. Se fondre dans la masse des locaux, apprendre à vivre comme eux et parmi eux, glaner des informations sur Antiqua et ainsi se préparer à découvrir les lieux sacrés de ce continent, en quête d’artefacts en liant avec sa perception renouvelée de la mythologie du culte.

-C’est malheureux en effet. Peut-être une autre occasion se présentera-t-elle un jour mon cher… Quant à ces groupes qui se forme naturellement, j’espère pour eux qu’ils sont malgré tout préparé aux dangers à venir. Notre académie est une usine à soldats qui envoient tout le monde au front en tout voulu. Certains n’en reviendrons pas. Les mois à vivre entre nous nous font parfois oublié la dure réalité qui nous attends là-bas. Nous cherchons au moins à assurer le succès de notre opération, d’une certaine manière.

C’était un vrai constat qui titillait et amusait à la fois celle qui se faisait appelé Sejeong en ces lieux. Cette dernière se mit en marche avec Xiaodan mais demeurait plus lente que lui. S’ils étaient tout deux affaiblis à un membre, le bras du martialiste n’était pas mise à contribution pour marcher là où la jambe de la bretteuse l’était. Néanmoins, le galant jeune homme s’adapta à son rythme, chose pour laquelle elle le remercia silencieusement d’un hochement de tête respectueux qui était accompagné d’une brève inclinaison du haut du corps.

-J’espère que toi et ta sœur vous vous en sortirais bien alors. Tu sais où me trouver si jamais vous voulez de l’aide.

Le sujet de l’infirmière vint sur la table et l’assassine approuva la proposition sous-jacente qui découlait de la remarque.

-Cela ne coûte rien de lui demander les rumeurs qu’elle aurait pu entendre, si Madame Jin est disposé à en dire plus.

Le binôme finit par atteindre l’infirmerie où ils furent accueilli par la vieille femme. Cette dernière fit une remarque au martialiste que ce dernier ne sembla pas comprendre. La précision qui suivit guida la « Jang » sur une piste.

-Ta sœur t’a accompagnée ici hier ? murmura la demoiselle à la chevelure magenta en tentant de faire le lien avec ce qui était dit précédemment et en lançant un regard inexpressif à son camarade. Nous somme désolé de vous déranger, répondit-elle ensuite à l’infirmière tout en essayant de cacher son visage avec ses cheveux pour se montrer volontairement légèrement gênée et laisser planer encore un peu un doute sur ce que pouvait interpréter Mme Jin. Nous n’y avons pas été de main morte alors nous aurions besoin de quelques soins si cela ne vous dérange pas…

Il se tint de rajouter qu’il espérait qu’elle ne regretterait pas ses décisions. Même si la demoiselle semblait avoir un plan, le jeune homme restait peu convaincu de celui-ci. Il aurait pu comprendre la manœuvre s’il avait su que ses objectifs et ceux de la concernée étaient diamétralement opposés, mais ce n’était pas le cas. Au moins, la conversation s’était plutôt bien passée, et rien dans la gestuelle de Xiaodan ne semblait indiquer qu’il ne partageait pas l’opinion de sa vis-à-vis. Le reste du chemin se fit néanmoins dans le silence puisqu’il n’était pas exactement du genre bavard : il préférait laisser ses actions parler à sa place. Bien entendu, il y avait toujours des moments, comme cette nuit-là, qui sollicitaient plus ses cordes vocales que ses poings. Au demeurant, il pensait s’être plutôt bien débrouillé de ce côté-là. Malheureusement, il ne s’était pas attendu à ce que Madame Jin mentionne sa précédente visite de la sorte. Si son visage était resté impassible, le tremblement involontaire de ses lèvres avait momentanément trahi son envie de grimacer. Ce n’était pas que l’adepte d’arts martiaux se sentait coupable, toutefois. Après tout, la demoiselle ne lui avait rien demandé à ce sujet, et il aurait été fort incongru pour lui de faire un compte-rendu de ce qu’il avait fait après leur rencontre à une personne avec qui il commençait à peine à sympathiser. Sans surprise, il confirma mollement la déduction de la Jang d’un hochement de tête. Il comptait visiblement s’exprimer, mais la veille dame le devança.



C’était visiblement la goutte de trop pour le concerné puisqu’il avait laissé la surprise s’installer sur son faciès suite à cette série de questions incongrues. Il était clairement aussi à l'aise qu'un poisson hors de l'eau. Remarquant cela, l’infirmière en chef pouffa de rire en couvrant gracieusement sa bouche de la main gauche. Ce n’était pas la première rencontre de Sejeong avec Madame Jin, loin de là, mais elle noterait sans peine que son comportement actuel détonnait complètement de celui qu’elle avait pu lui connaître auparavant. Il s’agissait normalement d’une femme stricte dont l’aigreur se ressentait jusque dans les concoctions qu’elle préparait pour soigner autrui. Elle n’ouvrait la bouche que pour demander la raison de la venue de ses patients et pour critiquer la témérité les ayant conduits à se blesser. En somme, les taquineries n’étaient pas censées être son style, ce qu’elle prouva bien vite lorsque son regard s’affuta en passant en revue les deux élèves.



Sous la guidance de la femme de l’instructeur Jin, il ne fallut pas longtemps au duo pour atteindre la salle réservée aux soins. Il était à noter qu’ils auraient pu trouver leur chemin seuls, à fortiori Xiaodan, qui aurait pu se payer le luxe d’avoir une chambre à son nom dans cette bâtisse tant il s’y rendait souvent. Ce n’était cependant pas leur destination a priori puisque la sexagénaire continuait son chemin. Ce ne fut qu’une minute plus tard qu’ils arrivèrent à bon port : le bureau de Madame Jin. Une fois à l’intérieur, la Jang serait accueillie par une odeur atypique avant même de pouvoir étudier les lieux. La pièce en question ressemblait plus à l’arrière-boutique d’une herboristerie qu’à une infirmerie. Quant à son parfum caractéristique, il s’agissait de la senteur caractéristique myriade d’herbes et d’épices mélangées les unes avec les autres. Certains qualifieraient l’odeur en question d’agréable là où d’autres la trouveraient plutôt inconfortable. Une chose était sûre, néanmoins : elle était là pour rester puisqu’elle s’était infiltrée dans les moindres recoins de la pièce, y compris les quelques meubles présents. Invitant les médaillés de bronze à prendre place sur les sièges au coin de la pièce, la vieille dame s’affairerait à saisir plusieurs bocaux de son armoire qui était fermée à clé, au même titre que la salle quelques instants auparavant. Après cela, elle ouvrirait le réfrigérateur, dont elle sortirait une pochette contenant un liquide carmin auquel l’assassine n’était pas étrangère. Madame Jin se mettrait dès lors au travail, préparant un des remèdes miracle dont elle avait le secret.

La Naksoo ne répondit pas à l’insinuation et laissa planer le doute sur ses intentions aux yeux de Madame Jin. Néanmoins, le comportement de cette dernière était assez surprenant. Qu’elle se laisse ainsi aller à la plaisanterie voulait dire beaucoup selon Manwol. C’est-à-dire que Xiaodan devait venir suffisamment souvent à l’infirmerie pour que l’infirmière se prenne d’une véritable affection à son égard, expliquant le comportement particulier qu’elle avait avec lui, tout comme Monsieur Jin se montrait plus aimable et engagé avec certains élèves. Il n’y avait pas à crier au favoritisme, c’était simplement le propre des relations humaines que certains atomes crochus s’assemblent là où d’autres se repoussent. En dépit des efforts et d’une conscience d’objectivité, il est impossible de traiter de la même manière chaque personne. Et ce n’était de toute manière pas ce que désirez la « Jang ». Elle s’amusait juste du fonctionnement de la société, des relations sociales. L’infiltration, en tant que concept, nécessitait de se fondre dans une communauté, un environnement, et il fallait savoir y trouver une forme de satisfaction pour rendre le quotidien intéressant. Si elle n’était pas la plus bavarde et qu’elle avait en horreur beaucoup de comportements « modernes », cela ne changeait pas le fait qu’elle trouvait par ci par là de quoi s’amuser dans les comportements des uns et des autres. La demoiselle hocha finalement la tête et suivit la vieille dame jusqu’à ce qu’on pourrait qualifier d’arrière-boutique. Un sourire amusé illumina le visage de « Sejeong », ce qui ne manquerait pas de se faire remarquer.

Les médicaments et toutes ces choses c’était bien beau, mais pour une femme qui tenait tant à préserver les traditions et l’ « ancien temps », celui qui avait été écrasé par la mondialisation et la contemporanéité, l’herboristerie était bien quelque chose à préserver. Manwol préférait être soigné ainsi que par ces cachets blancs. Les séances d’acuponctures de Kangcheol au retour de certaines missions lui manquait d’ailleurs. L’odeur pénétrait ses narines, venant tapisser sa cloison nasal et embaumer l’esprit de la meurtrière dans une mélancolie savoureuse. Le mélange d’épices et d’herbes venait ainsi chatouiller son esprit et l’apaisa quelque peu. Cela intriguerait peut-être madame Jin, la « Sejeong » ne venait pas se faire soigner directement mais préférait prendre un peu de temps pour observer un à un les bocaux et autres contenants où se trouvaient plantes, cataplasmes et autres mixtures curatives.

-Du Jiaogulan, du Dong Gua Pi, de l’herbe du tigre, même du bois harongue il me semble… commenta-t-elle en repérant quelques plantes qu’elle connaissait grâce à son éducation qui lui avait d’ailleurs permis d’apprendre à concocter quelques poisons basiques à partir de plantes. Cela me rappelle des souvenirs.

La jeune demoiselle ne tint pas véritablement compte des remarques de la vieille dame, décidant de répliquer avec une certaine sincérité pour décrire une réalité qui contrastait avec les mœurs modernes de la jeunesse.

-Si vous vous inquiétez que je trouve un mari, cela n’a pas d’importance. Si je dois me marier, ce sera dans l’intérêt de la famille et par un accord établis, une bonne vieille alliance matrimoniale. Quant à mon corps, je préfère le traité comme une serpillère et qu’il soit à même de me faire survivre que de devenir l’esclave du confort et de la facilité. Pour faire face à ce monde impitoyable, il faut être en mesure de compter sur soi-même et cela nécessite des sacrifices. Je ne suis pas une fille comme les autres après tout. On peut me dire archaïque ou arriéré, mais au moins je suis parvenu à m’émanciper de nombreuses fatalités de la modernité.

Elle chercha alors le regard de la vieille femme.

-Vivre d'amour et de bonheur n'est pas mon destin, déclara l'assassine en faisant un timide sourire.

Madame Jin devait s’avouer quelque peu surprise de voir une jeune femme reconnaître aussi facilement des herbes médicinales. C’était un savoir qui se perdait de nos jours au profit d’une médecine toujours plus à la pointe de la technologie. C’était naturel compte tenu de l’efficacité et de la distribution des médicaments modernes, mais Cuifen trouvait tout de même déplorable que plus de jeunes ne s’intéressât pas à ce sujet. La société avait tendance à oublier que bon nombre de remèdes contemporains comptaient les dites herbes parmi leurs ingrédients. De plus, savoir reconnaître ces plantes pouvait s’avérer d’une importance capitale dans une situation de survie en terres inhospitalières. Ce n’était pas pour rien qu’on apprenait aux futurs explorateurs à reconnaître les plantes utiles découvertes sur Antiqua. Au mieux, elles pouvaient leur servir de bouée de secours dans des cas extrêmes ; au pire, cela ne faisait jamais de mal de ramener davantage d’échantillons sur le continent.



Les yeux jusqu’alors rivés sur la mixture en train de mijoter s’étaient posés sur la demoiselle, leurs regards se croisant momentanément. Pour cette raison, Madame Jin n’eut aucun problème à cerner le sérieux de son interlocutrice. Cette dernière se pensait spéciale – pas comme les autres, pour reprendre ses termes. Ce n’était pas la première fois qu’elle entendait ces mots sortir de la bouche d’une fleur venant à peine d’éclore. Pareils commentaires étaient plutôt du genre à dessiner un sourire désabusé, voire moqueur, sur les traits de cette apothicaire ayant vu des dizaines de printemps défiler sous ses yeux. Pourtant, à l’opposé de la Jang, aucun sourire ne vint s’immiscer sur son faciès. Loin d’être les élucubrations d’une énième dévergondée se croyant le centre du monde, les paroles de la future diplômée étaient strictement véridiques, au point qu’il eût fallu être aveugle pour la contredire. Cela n’avait rien avoir avec son statut surhumain, son parcours académique ou même son comportement excentrique à la limite du déraisonnable. Non, il s’émanait d’elle une sorte d’aura qu’on ne risquait pas de trouver chez un individu ordinaire.

Cela n’avait rien de surnaturel, bien entendu : cela tenait plus de la force de caractère, du charisme. C’était une intuition, mais l’épouse de l’instructeur Jin était convaincue que la jeune femme sous ses yeux ferait parler d’elle dans le futur, en bien ou en mal. Les résultats parleraient d’eux-mêmes. En attendant, il incombait à la cheffe du corps médical de la remettre sur pieds en vision de la prochaine expédition. Soupirant, elle divisa le remède qu’elle venait de concocter en deux parts égales et présenta des verres pleins aux patients. La mixture rougeâtre pleine d’herbes n’était pas sans rappeler une soupe, à ceci près que l’odeur et le goût ne ressemblaient à rien de similaire en vérité. Grâce à son ingrédient principal, la concoction accélérait la guérison de façon surnaturelle, un fait dont les deux bourreaux du travail étaient plus que conscients. La boisson étant brûlante, ils furent amenés à la consommer avec parcimonie, laissant la place à une petite discussion au cours de laquelle Sejeong découvrit que seuls elle et ses coéquipiers semblaient essayer de recruter leurs camarades aussi activement.



Peu après cette dernière remontrance, les deux adversaires furent finalement amenés à se séparer. Pas de grande accolade ou quoi que ce soit du genre, ils étaient loin d’être assez proches pour voir ce d’idée ne serait-ce qu’effleurer leurs esprits. Néanmoins, Xiaodan se permit d’offrir un salut traditionnel à la demoiselle. Ainsi, il courba modestement l’échine, poing contre paume, sans aller assez bas pour indiquer autre chose qu’un profond respect, le genre de lien unissant deux guerriers, ni plus ni moins. Ainsi se déroula le second au revoir de la Bulage d'Imjin et du Fauve Bleue de Mungpo.









Comme promis, les camarades de chambres s’entraînèrent ensemble dès que possible. Si la Jang pouvait marcher plus ou moins normalement, sa jambe encore douloureuse l’empêcherait de réaliser la moindre acrobatie durant les quelques jours précédant son diplôme. Cependant, son plan initial de créer des cibles d’eau restait dans ses cordes, et elle serait sans doute surprise de constater que pas un seul de ses projectiles n’avait échappé aux nuées ardentes libérées par son amie. Ce jour-là, Fireflies avait montré que sa réputation de faiblarde venait bien de sa gentillesse, non pas de ses capacités. Elle était tout à fait au point au niveau technique, il ne restait plus qu’à savoir si elle arriverait à mettre son don à profit lors de l’expédition contre les hordes de monstres les menaçant. Réduirait-elle l’opposition en cendres ou bien se paralyserait-elle encore par peur de blesser autrui ?






Le major de promo avait brièvement dévisagé la demoiselle, qui s’était à peine retenue de se réfugier derrière Sejeong, avant de poser tour à tour son regard sur la Jang et le Yan. La tension était palpable, mais contre toute attente, ce fut un sourire confiant, dénué de malice, qu’il avait destiné à la nouvelle venue avant de prononcer des paroles se voulant somme toute rassurantes. L’ambiance malaisante régnant dans l’ancien temple avait alors fondu comme neige au soleil, laissant entrevoir l’espoir d’une véritable coopération entre ces futurs diplômés. Ils n’avaient pas réussi à recruter plus de monde, mais un comité réduit n’était pas nécessairement un désavantage compte tenu de la nature de leur alliance. Sans surprise, ils passèrent les jours suivants à travailler leur travail d’équipe, et s’ils manquaient clairement de cohésion par moments, ils semblaient à première vue digne de s’appeler une équipe. Il ne restait plus qu’à voir si ces liens fragiles perdureraient au moins jusqu’à leur retour ou si Antiqua viendrait à bout des quelques bons sentiments ayant pu se tisser entre eux.




La dernière semaine à l’Académie Xiaolong était passée en un clin d’œil. Comme le reste de l’année, elle avait été marquée par son lot d’événements pour les élèves de la classe de Sejeong, dont une séance de cours un peu spéciale avec leur professeur. Ce dernier s’était permis d’inviter certains résidents de Meilong, un village dont les habitants n’étaient autres que des Héros à la retraite. Ils avaient en temps normal pour mission de se conduire peu ou prou comme le feraient les peuples d’Antiqua afin de préparer les élèves pour des futurs contacts diplomatiques. Néanmoins, c’était en tant que seniors que les dites personnes s’étaient présentées à la classe cette fois-ci. Ils avaient fait l’effort de raconter leurs expériences personnelles sur le nouveau continent en répondant à toutes les questions aussi précisément que possible. Même l’instructeur Jin s’était pris au jeu et avait raconté les histoires de ses élèves ; certaines étaient épiques, d’autres tragiques. Une chose était sûre, toutefois : la fin du cycle scolaire était imminente.

Ce jour-là, les élèves obtinrent finalement leurs diplômes sous fond d’hymne nationale. La majorité de leurs expressions n’étaient pas marquées par la peur ou l’appréhension comme les plus cyniques l’auraient pensé. Alors que le discours du directeur battait son plein, ils étaient déterminés à déjouer les pronostics et à revenir en vie de sorte à honorer leur patrie. Les coéquipiers de la Jang l’entouraient, chacun avec une expression propre : Cai avait une poker face, Meixiu souriait nonchalamment, Meng était impatient d’en découdre, et Dandan semblait avoir pris son courage à deux mains, bien que des tremblements intermittent ne trahît malgré tout une certaine appréhension en son for intérieur. Du haut de l’estrade leur faisant face, Song Jin faisait face à sa classe de la même manière que le reste du corps professoral. Il avait un sourire chaleureux, et il faisait de son mieux pour croiser un à un les regards de chacun de ses disciples. C’était sa manière de leur souhaiter bonne chance une dernière fois. Les jeunes gens sous ses yeux étaient enfin prêts à prendre leur envol.