A défaut d’avoir hérité des talents d’escrime de mon père, j’avais gardé le rythme journalier de nos entraînements et la rigueur qui le caractérisait tellement. Je me levai, buvais un verre d’eau et entamé directement par un échauffement simple, mais efficace, suivit d’une séance d’entraînement classique et complète et un peu d’étirement à la fin pour bien terminer. Une mécanique bien huilée, presque chronométrée. Je me levai, buvais un verre d’eau et entamé directement par un échauffement simple, mais efficace, suivit d’une séance d’entraînement classique et complète et un peu d’étirement à la fin pour bien terminer. S’ensuit un petit-déjeuner copieux, en lisant un bouquin sur un quelconque artiste martial ou un héros célèbre - en somme quelque chose d’un chouïa motivant pour débuter la journée avec de belles perspective.

Après une bonne douche, j’ai pris l’habitude de passer un coup de balai dans le studio puis je quittai l’appartement en direction de l’académie. C’était mon premier jour, je ne voulais pas arriver en retard, aussi, je pris les devants et parti avec un petit quart d’heure d’avance. Normalement, et si j’avais bien calculé, il ne me fallait qu’un gros quart d’heure pour arriver à l’académie, en prenant mon temps. Donc, une petite demi-heure avant les débuts des premiers cours, j’entamai ma marche vers mon nouveau lieu d’entraînement.

Évidemment, je ne savais pas trop à quoi m’attendre donc je me suis préparé du mieux que j’ai pu : un sac à dos rempli d’affaire de cours, des cahiers et une trousse bien complète ; deux katanas en bois ceinturés ; de la nourriture au cas où - deux sandwichs et deux parts de gâteaux de la veille. Sans prendre la peine de choisir le chemin le plus optimal, j’avais quand même établi un chemin qui me convenait et que j’avais déjà arpenté pour être sûr de ne pas être en retard. Autant dire que je mettais toutes les chances de mon côté pour arriver à l’heure sereinement.


L’académie Asakusa était pour moi un lieu dans lequel je devrais faire mes preuves pour ensuite avoir un certain certificat qui me permettrait de faire montre de mes capacités à mon père. J’avais déjà pu l’apercevoir à plusieurs reprises, sans vraiment m’attarder dessus. Au contraire, elle avait émergé quelque temps après l’annonce du nouveau continent et des super pouvoirs. Rapidement, c’était devenu un endroit prisé et je n’aimais pas trop ce genre de coin, privilégiant les coins plus calmes. Aussi, je ne m’étais jamais vraiment aventuré à l’observer avec intérêt. Je fus donc surpris de voir à quel point le complexe était vaste et high-tech, loin de l’idée de ce que je me faisais d’une académie. J’imaginais cela plutôt comme un très grand dojo dans lequel les académiciens apprenaient à maîtriser leurs pouvoirs. Des sortes de longs couloirs remplis de salles cubiques dans lesquelles un professeur dictait des séries d’exercices à ses élèves. Pour le coup, je tombais des nues en voyant tout ce qu’elle avait à offrir et me perdis dans cette contemplation. Happé par toutes ses nouveautés, je me baladais dans les couloirs, et même dans le jardin clos, autant dire que les minutes s’étaient égrainées beaucoup trop rapidement.

Malgré cela, j’avais quand même réussi à trouver l’endroit où je devais me diriger et j’y allais d’un pas rapide et certain, car j’allais manquer de temps. C’est là qu’elle me bouscula. La blonde avait peu ou prou le même âge que moi, en tout cas elle avait carrément la vingtaine. Enfin bref, sa voix vint me sortir de mon analyse et elle semblait se diriger au même endroit que moi.



Ni une ni deux, je pris les devants pour nous mener, elle et moi, à la suite de notre aventure. Je pouvais facilement paraître distant, mais il fallait dire que c’était probablement la première fois que je parlais à une inconnue de mon âge en dehors des élèves de mon paternel. Autant dire que moi et les interactions sociales, ça faisait deux, mais je savais ce que je devais faire pour ne pas paraître non plus trop rustre.



Nous n’étions pas loin de notre ligne d’arrivée et je voyais encore des gens qui rentraient dans la pièce, aussi fus-je soulagé de savoir que nous ne serions pas trop en retard…

Un bâillement ostensible raisonna à travers le couloir parmi une multitude de bruits de pas. Cela faisait un petit moment déjà que Yori guettait l’arrivée de deux personnes en particulier près de sa classe. S’il avait cru que la tâche serait assez simple dans l’ensemble, la tendance des deux individus à traîner en chemin était tout à fait horripilante. À vue de nez, ils étaient bien partis pour sécher leur premier jour de cours, ce qui était tout à fait ridicule aux yeux du jeune adulte qu’il était. Certes, beaucoup pourraient pointer du doigt cette hypocrisie s’ils ne craignaient pas une visite à l’hôpital, mais il fallait savoir que même un cancre notoire comme lui avait assez de bon sens pour prendre la température avant de tenter un coup pareil. Bien entendu, les nouveaux ne risquaient clairement pas une expulsion compte tenu du manque cruel d’effectifs assignables à l’exploration d’Antiqua. Toutefois, c’était loin d’être la seule punition qu’un enseignant pouvait exercer, loin de là. Le voyou qu’était Takagi en était parfaitement conscient, trop, même… Poussant un soupir désabusé, il ne put que se lamenter sur l’interdiction de fumer en intérieur alors que les derniers élèves entraient en classe.

Ce fut alors qu’il remarqua du coin de l’œil une paire quelque peu étrange se dirigeant dans sa direction, ce qu’il ne tarda vraisemblablement pas à associer au travail lui ayant été confié. Ils étaient ensemble ? Ce n’était clairement pas prévu. Ils n’étaient pas censés se connaître, pourtant… Seules deux minutes s’étaient écoulées depuis le début supposé du cours, et rien n’avait véritablement commencé à l’intérieur, en toute franchise. On pouvait donc dire qu’ils étaient arrivés pile à l’heure. Bien sûr, c’était une bonne nouvelle pour eux, mais il n’y avait rien de bien là-dedans pour le type au bonnet. Il était trop tard pour leur expliquer les ficelles de la classe D sans les mettre réellement en retard... Si ça ne tenait qu’au voyou, il n’en aurait évidemment rien eu à faire, mais il ne voulait franchement pas rentrer au dortoir avec des dents en moins pour quelque chose d’aussi stupide. Reporter la mission à plus tard lui semblait donc être le choix le plus judicieux… D’un autre côté, s’il le faisait réellement, cela voudrait dire qu’il aurait des explications à fournir à son supérieur, et ce n’était pas non plus une option envisageable. Si la bonne réponse dans toute cette histoire lui apparaissait assez évidente en soi, cela ne la rendait pas plus attrayante du tout. Ce fut donc avec le cœur lourd qu’il quitta le mur sur lequel il était adossé pour interpeller Daisuke et Kan.



Pour ne pas se faire complètement ignorer, le voyou s’était avancé de sorte à se trouver pile sur la trajectoire des deux autres élèves. Il arborait un sourire amical au demeurant, ou tout du moins ce qu’il considérait en être un. Aussi, il tâchait de ne pas se montrer menaçant ou autoritaire. Après tout, son but était de mettre en confiance ses interlocuteurs, et il comptait faire le nécessaire pour y arriver. C’était en partie pourquoi il les avait si gentiment conseillés sur la marche à suivre dans le futur avant d’entrer dans le vif du sujet :



Ayant dit ce qu’il avait à dire, le cancre notoire attendrait seulement la réponse de ses interlocuteurs par politesse avant de les inciter à aller en classe. Ils risquaient vraiment d’avoir des problèmes s’ils traînaient plus que cela, et ce serait pour cette raison qu’il leur emboîterait le pas dès que possible.

L’entendre m’appeler par mon prénom fut un peu surprenant. Il fallait dire que mis à part ma mère et ma sœur, très peu de gens m’appeler par mon prénom. Mon père ne m’adressait jamais vraiment la parole. Il donnait des consignes, comme s’il parlait à un mur et ses élèves et ses proches avaient tendance soit à éviter de m’interpeller, soit ils m’appelaient monsieur, comme pour le paternel. Aussi, l’entendre de la part d’une quasi-inconnue eut l’effet de me rendre encore plus nerveux. J’essayais néanmoins de ne rien en montrer et continuai à suivre la route qui menait à notre salle de cours.

Aussi, quand elle expliqua qu’elle avait du mal à se retrouver dans son propre quartier, je ne pouvais le croire. C’était sans aucun doute une formule de politesse, pour me remercier de l’aider. Je n’arrivais pas à imaginer une personne saine d’esprit se perdre dans un endroit aussi proche que les quelques rues autour de sa maison. C’était, pour moi, le minimum. Je ne pouvais pas me dire une seconde que je serais venu à l’académie sans connaître plusieurs chemins pour y venir, et même, faire un footing dans le quartier me paraissait évident ! En fait, je me posais même la question si elle essayait de se moquer de moi. J’évitai tout de même d’y penser, ne voulant pas la juger trop rapidement.

De toute évidence, je n’aurais pas vraiment le temps d’en savoir plus, car nous arrivions et juste avant d’entrer, nous fûmes arrêtés par ce qui semblait être un de nos aînés. Je n’eus que le temps d’écouter ce qu’il avait à nous dire et à le détailler de la tête aux pieds que la jeune blonde m’attira derrière elle pour rentrer en force dans la classe. Elle avait répondu d’une manière si brusque et totalement différente que lorsqu’elle s’adressait à moi que j’eus la vague impression qu’elle connaissait le gars en question. Pour toute excuse, car je me sentais mal à l’aise, je fis un signe de la main au gars tandis que je me laissais porter par Seimei.

Avant de zyeuter la pièce et les autres élèves et, éventuellement notre prof, je voulus m’assurer d’une chose auprès de celle que je venais à peine de rencontrer, comme si le mal-être qu’elle avait laissé paraître me touchait déjà.



Presque étonné moi-même, par tout ce que je venais de dire, je voulus de suite me rétracter… Mais j’hésitai et je tournai la tête vers tous les autres et senti mon corps et mon visage se réchauffer très - trop - rapidement…

Il ne faudrait en tout et pour tout qu’une dizaine de secondes à la paire nouvellement arrivée en classe pour se rendre compte d’un fait évident : Yori n’avait pas menti sur le caractère de leur instituteur. De son accoutrement à son expression, tout chez ce professeur criait une sévérité qui n’était probablement pas sans rappeler celle d'un quelconque ainé d’une ère décidément révolue dans ce pays. En d’autres termes, il ne semblait clairement pas du genre à laisser passer une entorse au règlement sans un sermon digne de ce nom. En l’état, les pitreries de Daisuke et Kan avaient peu de chances d’avoir trouvé grâce à ses yeux. C’était même tout le contraire compte tenu de ses propos peu accueillants. Les deux concernés devineraient sans peine que le Héros devant eux aurait déjà sévi s’ils n’en étaient pas encore à leurs tâtonnements dans ce nouvel environnement qu’était sa classe. Au final, il s’était juste contenté d'une remontrance indirecte à la limite de la boutade. Il y avait fort à parier que le moment où il abandonnerait cette approche subtile serait celui où les deux apprentis regretteraient amèrement leur légèreté. Les autres élèves, une quinzaine environ, apparaissaient surtout amusés par la proposition audacieuse de Daisuke, un d’entre eux se permettant même un sifflement. Aussi, une rapide inspection des lieux permettrait aux médaillés de bonze de remarquer des inscriptions sur le tableau indiquant le nom et le surnom de l'homme censé les guider au succès, : Nakahara Yoshio, Rising Blossom.








La mention de son nom sortit le cancre de sa stupeur, et il s’efforça de ne pas lancer un regard noir à Kan et Daisuke lorsqu’il fut obligé de passer près du duo. Il ne comprenait clairement pas d’où venait l’animosité de cette fille à son égard, pas plus que celle du grand dadais avec ses provocations à la noix. C’était la première fois de sa vie qu’on l’ignorait aussi allègrement et, pire encore, qu’on crachait sur sa gentillesse à ce point. Certes, il n’était pas sympa si souvent que ça, mais il ne faisait pas les choses à moitié quand il se décidait à l’être. En réalité, Yori avait déjà prévu d’emmener les nouveaux dans les coins les plus cools du campus, et il réfléchissait même à payer pour la jeune fille. Cette dernière partie n’était évidemment pas dans un but désintéressé, mais ce n’était pas non plus comme si un verre ou deux l’aurait engagée à lui rendre la pareille de toute façon… Dans les faits, il comptait seulement user de la manière douce pour leur enseigner comment les choses fonctionnaient dans le coin. Malheureusement, son plan semblait être tombé à l’eau avant même d’avoir commencé… De toute façon, il n’était clairement plus d’humeur conciliante : si ces tourtereaux tenaient tant que ça à manquer de respect à leurs ainés, ils en auraient pour leur argent. Prenant sa place habituelle dans le fond, le jeune adulte usa de son habileté et de son expérience dans le domaine pour saisir son téléphone au nez et à la barbe du professeur. Il comptait assurément envoyer plus d’un texto durant ce cours.

La situation m’échappait carrément. J’avais prévu d’arriver en avance, me présenter tous simplement et m’installer dans un coin histoire de ne pas trop attirer l’attention. Je ne souhaitais pas vraiment, en venant ici, me faire des amis ou véritablement sociabiliser. Mes intentions premières étaient d’apprendre à maîtriser mon pouvoir et à réussir cette fameuse expédition qui me permettrait d’en boucher un coin à mon paternel. Néanmoins, à peine deux minutes avaient changé diamétralement mes attentes en véritable calvaire. J’avais déjà senti que ce que je venais de dire tout haut allait me hanter pendant des jours, aussi je voulus surveiller si quelqu’un avait vraiment écouté ce que j’avais dit à Kan. Cependant, et là c’était sûr, tout le monde présent avait tout entendu et tout bien capté. La honte !

Par contre, dans tout ça, j’avais la confirmation de la jeune femme pour qu’on fasse la visite. L’espace d’un instant, je fus soulagé qu’elle ne refuse pas mon invitation, mais durant tout le monologue de notre professeur, j’essayais de faire abstraction de tous les sentiments qui m’enveloppaient. Je l’écoutai alors se présenter et je me suis dit qu’elle ne me paraissait pas du tout complexée par les événements. Ça me paraissait invraisemblable, car j’imaginais sans mal toute la pression qui pouvait peser sur ses épaules et pourtant, elle enchaîna en approchant du tableau pour écrire son prénom et dévoiler un peu sa vie privée. Elle arriva même à rétorquer au professeur quelque chose concernant son prénom et son nom. Pour ma part, c’était certain, je n’aurais rien dit et serais allé le voir en fin de cours pour rectifier ça directement avec lui, plutôt que risquer de le décontenancer devant ses élèves. C’était sans doute une vieille habitude que j’avais pris pour éviter de décrédibiliser mon père. Cela étant, j’appris que nous étions à peu près dans la même situation et que nous vivions tous deux aux abords de l’académie.

Quand elle eut fini d’expliquer qui elle était, je sentis mon cœur battre la chamade. C’était mon tour. Il fallait que je fasse concis et précis. J’avais préparé un petit truc, mais le trac et la situation me fit perdre un peu mes moyens. “Bonjour ! Je m’appelle Daisuke !” Non, pas bonjour, salut ?! Ah !!



Je gesticulai dans tous les sens et monopoliser trop l’attention à mon goût et plus je parlais, moins je me sentais à l’aise alors pour combler les vides, j’enchaînais sans m’arrêter. A vrai dire, je ne savais plus quoi dire, mais je continuais de parler. Je tournais mon regard vers tout le monde et ma vision s’obscurcissait lentement, au point de ne voir aucun visage, mais juste des silhouettes. Je ne sais pas si le professeur s’en était rendu compte, alors je continuais, espérant être “sauvé” par quelqu'un ou quelque chose. “Que quelqu’un m’arrête, répétai-je dans ma tête”.

Son ton, autoritaire au possible, ne souffrait d’aucune hésitation, et il avait même usé d’une partie de ses pouvoirs pour appuyer son propos. En effet, des particules de lumière bleutées furent produites lors de son geste et prirent promptement leur envol. Inoffensives, elles s’arrêtèrent précisément devant Daisuke, se dissipant pour lui signifier qu’il était temps de se calmer. Le médaillé d’or avait le sentiment que celui de bronze leur aurait déballé l’intégralité de sa vie dans le cas contraire. Il était à noter que l’enseignant n’avait pas pour habitude d’user de son don de cette manière ; l’étonnement et le malaise général de la classe en témoignaient d’ailleurs clairement. Cependant, il avait jugé qu’il était plus que temps de rappeler à l’ordre ces nouveaux venus dont les pitreries semblaient incessantes, et même croissantes, en vérité. Monsieur Nakahara pouvait fermer l’œil lorsqu’ils bousculaient légèrement un cancre. Il pouvait aussi leur pardonner un retard léger. Il n’avait cure d’être corrigé sur quelque chose d’aussi trivial qu’un nom qui finirait probablement sur une autre pierre tombale richement décorée. Il pouvait aussi laisser passer une tentative ratée de faire son intéressante au tableau. Il était même arrivé à tolérer une invitation galante à la limite de l’exhibitionnisme.

Toutefois, s’il y avait une ligne à ne pas dépasser, c’était en ce qui concernait ses cours. Le temps lui étant alloué était plus que précieux, et il avait déjà perdu quatre minutes entières. C’était d’autant plus aggravant à ses yeux sachant qu’il avait opté pour une séance question au lieu de commencer le cours d’emblée afin de laisser une petite chance aux retardataires de ne rien rater. Il avait même eu la générosité de les laisser se présenter malgré leur retard pour éviter une potentielle ostracisation. Qu'avait-il reçu en retour ? Une énième perte de temps ! Aurait-il été si compliqué de dire son nom et d’aller s’asseoir comme tout le monde ? Ce jeune homme pensait-il réellement pouvoir survivre sur Antiqua s’il continuait sur cette lancée ? Il n’était même pas capable de se débrouiller dans un environnement aussi contrôlé qu’une classe lorsqu’on lui donnait des consignes simples ; c'était ridicule. Yoshio fondait pourtant de grands espoirs en cette nouvelle recrue. Il était censé être un futur soldat versant son sang fièrement pour leur belle nation, et il n’était même pas capable de se présenter correctement ! Si même l’héritier d’un dojo aussi célèbre que celui des Hashino était aussi peu résistant au stress, quelles étaient les chances de survie du reste de cette classe ? Jusqu’où la jeunesse d’Edo était-elle tombée ? Plus que de la colère ou de la déception, Daisuke et Kan avaient réussis à désespérer leur professeur en même pas cinq minutes.



Takagi était plus qu’étonné par ce revirement de situation. Lui qui pensais devoir faire des pieds et des mains pour avoir la chance d’accomplir sa mission, voilà qu’une opportunité en or lui était servie sur un plateau d’argent. Avec un peu de chance, il n’aurait même pas besoin de se salir les mains… Se levant de sa place, il alla jusqu’à la porte pour attendre Daisuke. Le même sourire amical qu’un peu plus tôt était dessiné sur son visage, et le voyou semblait assez calme dans l’ensemble. Dans les faits, il n’était pas pressé, car il savait que l’autre était désormais obligé de le suivre. À trop jouer avec le feu, il avait fini par se brûler. Vu la réaction du professeur, les deux nouveaux avaient vraiment réussi à le mettre en rogne dès le premier jour.

Beaucoup de choses étaient différentes dans l’académie, par rapport au dojo de ma famille. Déjà, le professeur n’était pas mon père. Cette seule différence faisait que je me sentais mal à l’aise. J’avais toujours reçu mes ordres du paternel. À l’école, c’était encore différent, les profs n’étaient pas du genre à donner des ordres, mais plutôt des instructions, des recommandations. Au final, je m’attendais à trouver en tant que chef de file un homme de la trempe de mon père, aussi j’avais quelques à priori à son sujet et, sans l’ombre d’un doute, je me rendis compte que j’avais raison. Ensuite, il y avait la multitude d’élèves différents qui changeait l’ambiance du tout au tout. Que ce soit Seimei Kan qui semblait être très libérée et peu intéressée par les on-dit ou Ou Takagi Yori qui, lui, semblait plus se trouvait du côté des délinquants que des élèves standards. Au final, les seuls avec qui j’avais eu des interactions étaient diamétralement opposés aux élèves du dojo. L’ambiance en était donc changée, indubitablement. D’ailleurs, l’ambiance générale de l’académie était à des années-lumière de celle de mon chez-moi. Là-bas, c’était en quelque sorte mon territoire, l’endroit où j’avais grandi, l’endroit où mon père essayait de m’élever au rang de maître de dojo, à sa place. C’était un coin que je connaissais comme ma poche, l’endroit où je vivais en somme. Ici, en plus de devoir tout découvrir, je devais le faire la boule au ventre, l’angoisse d’échouer en fond.

Comble de la détresse, je m’étais vu être directement mis en avant alors que c’était tout l’inverse que je souhaitais. Aussi, je m’emmêlais rapidement les pinceaux et exagérai légèrement ma présentation. Je ne saurais dire si le prof essaya de me faire taire pour mon bien ou parce que ça le dérangeait, mais son intervention me fit comprendre que j’étais allé trop loin. Je remarquai que ma respiration était saccadée, comme si je sortais d’un entraînement intensif et j’essayai de reprendre mes esprits lorsque Rising Blossom m’intima de sortir me débarbouiller. Un instant, je ne compris pas vraiment ce qu’il sous-entendait alors quand il demanda à Yori de m’accompagner, je fus un peu perplexe. Pire, je n’en avais pas envie ! Pour autant, je sentais bien que sa demande n’attendait aucune réponse, si ce n’était de sortir. Je voulais pleurer. Je ressentais les sanglots me serrer encore plus le ventre, remonter jusqu’à la gorge et, sans demander mon reste, je pris le parti de quitter la pièce et de traverser le couloir.

J’avais vu où se trouvait les toilettes, quelques minutes avant de croiser Seimei Kan, aussi je n’attendis pas que Yori passe devant pour prendre leur direction. J’avais honte et je savais clairement que tout était de la faute de mon père ! Que ce soit à cause de lui que j’avais pris cette décision ou à cause de lui que je n’étais pas capable de me sentir bien en société, tout était de sa faute ! Je voulais fuir, encore, et trouver un endroit où je pourrais me passer de toute cette complexité. Mais ça aussi, j’avais trop peur. Qu’est-ce qui pouvait m’attendre ailleurs, de toute façon ? Rien. Du moins rien qui pouvait m’attirer. Aussi, je n’avais pas vraiment le choix, j’étais bloqué. Le professeur Nakahara avait raison, un peu d’eau sur le visage me permettrait de décompresser. J’allais respirer…

S’il s’était attendu à un manque d’entrain flagrant de la part de Daisuke à l’idée de se retrouver seul à seul avec le gars dont il s’était payé la tête deux minutes auparavant, Yori n’avait clairement pas prévu de commencer une course poursuite. Certes, il comptait profiter de la situation pour faire les gros bras tout du long, mais c’était la première fois que quelqu’un le fuyait avant le début du numéro d’intimidation. Face à cette situation, le délinquant avait tout naturellement commencé à se demander si ses fréquentations avaient fini par déteindre sur lui, s’il était enfin devenu un cador. Malheureusement, il redescendit bien vite sur terre : il savait pertinemment que ce n’était pas aussi simple, que l’aura que dégageaient ses collègues n’était pas quelque chose qui se gagnait du jour au lendemain. Suite à ce constat amer, les deux élèves arrivèrent enfin devant les toilettes des hommes les plus proches. Daisuke semblait réellement avoir pris connaissance des lieux avant d’être allé en classe… C’était à la fois un choix judicieux et une triste erreur compte tenu des événements récents, mais Takagi ne s’arrêta pas longtemps là-dessus. En théorie, le brun aurait dû suivre son camarade de classe inexpérimenté à l’intérieur et en profiter pour lui expliquer ce qui devait l’être, mais quelque chose le turlupinait. C’était la piètre prestation de sa cible, ou plus précisément l’expression prise après celle-ci… Monsieur Nakahara savait évidemment se montrer sévère, mais ses feux d’artifices de tout à l’heure étaient loin d’être menaçants : Hashino n’aurait donc pas dû perdre son sang-froid pour si peu, à fortiori s’il était le petit malin que Yori s’était imaginé.

Repensant à leur interaction passée et aux événements ayant suivi, le voyou ne tarda guère à arriver à une conclusion simple : Daisuke n’était pas un plaisantin, mais une chiffe molle. C’était le genre de gars qui se soumettait inconditionnellement à l’autorité et qu’on pouvait entraîner sans problèmes dans son jeu en forçant un peu… Il y avait fort à parier que son geste suite à la bousculade n’était pas une provocation, mais une tentative maladroite de calmer le jeu. Il venait peut-être d’un dojo célèbre, mais s’endurcir physiquement et s’endurcir mentalement étaient deux concepts différents dont l’homme des rues avait parfaitement conscience. Les mots du professeur n’étaient peut-être pas emprunts d’hostilité à son égard, pas plus que les rires  de la classe, mais cela devait être plus que suffisant pour mettre à mal le mental d’une personne fragile… En somme, Hashino était un mouton, et la seule personne à l’origine de la colère froide du voyou était la dénommée Seimei. En d’autres termes, Yori était passé à deux doigts de se défouler sur un gars qui ne le méritait pas réellement. Lâchant un soupir, il passa la main dans sa poche, en sortit une boîte de cigarettes, et fit le nécessaire pour s’en allumer une. C’était clairement mal vu de fumer en intérieur, et peut-être même interdit – il ne s’en rappelait plus. Cependant, ces choses-là ne l’avaient jamais arrêté auparavant, et il avait franchement besoin de décompresser vu la tournure improbable des événements. Aussi, il finit par entrer dans les toilettes sur un coup de tête. Cherchant des yeux le nouveau, il se surprit à lui parler de façon familière, comme s’ils étaient amis.







Monsieur Nakahara ne semblait pas particulièrement étonné par le départ spontané de son élève, pas plus qu’il ne montra des signes de colère ou de tristesse. Il avait gardé la même expression sévère tout du long, cette même expression qui ne laissait jamais entrevoir à ses élèves son ressenti profond. Toutefois, cela ne voulait pas dire qu’il était indifférent à tout cela ; c’était même le contraire, car il s’inquiétait, il s’inquiétait du sort que réservait Antiqua à pareil homme. Dans les faits, il se demandait s’il était réellement possible de former une telle personne pour en faire un Héros digne de ce nom. Malgré tout, il n’était pas prêt d’abandonner de sitôt. D’abord, parce que c’était la tâche lui ayant été confiée par ses supérieurs et par son pays. Ensuite, parce que leurs ancêtres avaient bien réussi à trouver un moyen de forger le Katana à partir de métal de mauvaise qualité. Enfin, parce que la demoiselle ayant récemment grossi les rangs de sa classe semblait sérieusement vouloir assister à son cours. En vérité, il s’était attendu à ce qu’elle continue ses pitreries et insiste pour suivre Hashino, ce pourquoi il avait d’ores et déjà préparé une réplique cinglante à son encontre. Néanmoins, Seimei Kan n’était peut-être pas le cas désespéré auquel il s’était attendu. Bien entendu, elle manquait clairement de manières, mais cela pouvait aisément se corriger avec le temps. La sincérité, en revanche, était une de ces qualités qui se perdaient facilement et se gagnaient ou regagnaient difficilement. En l’état, celle de la jeune fille avait l’air réelle, assez tout du moins pour donner un peu d’espoir à l’enseignant quant à ses chances de survie. Se dirigeant promptement vers le tableau, Yoshio effaça les écrits précédents et y dessina une carte en un temps record. Pas une once d’hésitation ne se sentait dans ses mouvements, et ils étaient si rapides et précis qu’il n’était pas bien difficile de deviner qu’il les avait pratiqués encore et encore pour arriver à ce résultat.



S’assurant d’avoir leur pleine attention de ses élèves, monsieur Nakahara usa de son pouvoir pour créer devant lui des sortes d’hologrammes. Ces derniers prirent diverses apparences humaines allant d’un homme portant une armure médiévale à une femme vêtue aux habits asiatiques en passant par un homme en pagne. Après cela, il continua sur un ton grave pour accentuer ses propos.



Prenant une pause pour laisser le temps à ses élèves de digérer ces informations, Yoshio fit apparaître une énième forme. Cette fois-ci, il s’agissait d’une sorte d’animal surdimensionné difficile à identifier. Aussi, il repositionna les hologrammes précédents pour donner l’illusion d’un front commun face à la créature.

Me débarbouiller me fit le plus grand bien. J’avais l’impression d’avoir le visage en feu et me jeter de l’eau sur le visage me rafraîchit les idées. Le prof avait eu raison de m’envoyer prendre l’air, j’avais vraiment dérapé et le temps que Yori me rejoigne dans les toilettes, je pris le temps de revenir un peu sur tous les événements qui venaient de se dérouler. Si, dans l’absolu, il ne s’était rien passé de grave et de véritablement important, j’avais le sentiment que la situation pouvait à tout moment dégénérer et rendre ma vie complètement impossible. Aussi, j’essayai de réfléchir à tous les éléments qui avaient pu déclencher cette subite crise de panique. J’avais déjà de nombreuses idées qui pouvaient soutenir cette théorie, mais c’était sans aucun doute le manque de sociabilité que j’avais pu avoir en étudiant sous la coupe de mon père et le manque d’autonomie aussi. Il y avait aussi cette incertitude qui, des fois, me paralysait. Au final, c’était très simple, j’avais été emmené dans un terrain que je ne connaissais pas et je n’avais pas su m’adapter assez rapidement. Je devais donc revoir ma façon de procéder, en évitant d’avoir un plan trop “parfait” qui risque de s’effondrer à la moindre anicroche. Plus facile à dire qu’à faire.

Néanmoins, je gardai encore quelques séquelles de cette désillusion et quand l’autre élève se permit de me rejoindre, j’avais encore le cœur qui battait la chamade. Je n’allai pas m’en sortir si facilement, n’est-ce pas ?! Je pris une serviette dans mon sac et m’essuyai le visage pour être présentable. Cependant, je fus choqué intérieurement qu’il me propose une cigarette. À vrai dire, j’avais déjà lu le règlement intérieur de l’académie et il était interdit de fumer dans l’enceinte de l’établissement - hors certaines conditions évidemment. Je ne cherchai néanmoins pas à le sermonner, mais à le comprendre. Il ne me la proposait pas dans l’idée que j’étais un fumeur ou quoi que ce soit, et j’avais entendu nombre de rumeur qui sous-entendait que fumer aider à décompresser. En tout cas, il l’approuvait par ses dires. Je ne pouvais que le croire. Si ça fonctionnait pour lui, c’était tant mieux. Mais pour ma part ?



Je me frottai nerveusement le cuir chevelu. A dire vrai, j’avais bien besoin de décompresser, mais l’idée de fumer ne m’enchantait vraiment pas, au contraire. Déjà, j’avais bien conscience que fumer était à la fois nocif et onéreux, je ne pouvais pas me le permettre financièrement et au niveau de la santé, c’était véritablement une grosse connerie. De plus, je savais pertinemment que cela ne serait pas du tout adapté à mon pouvoir. Si je me transformais en animal avec un odorat particulièrement développé, l’odeur de la cigarette ferait tout sauf m’aider. C’était, sur tous les points, une erreur d’accepter. Pourtant… Pourtant… J’avais une monumentale envie de le suivre dans sa connerie ! Etait-ce parce que je voulais faire bonne figure devant lui après la déculottée que j’avais reçu quelques instants plus tôt ? Un moyen de m’intégrer plus facilement ou peut-être une façon de décompresser, un peu comme lui ? Je ne savais pas du tout, pourtant plus j’y pensais, moins je voyais que c’était une bonne idée ! Aller ! Y a des moments, la rationalité faut la mettre de côté !



Je crois que je me souviendrais toujours de cette première cigarette. Non pas parce que ce fut un moment vraiment inoubliable en soi, mais surtout par ce qui arriva dès la première bouffée. Savez-vous vraiment ce que ça fait d’entamer sa première clope ? On sent de suite que quelque chose ne va pas, votre corps vous le dit et vous le montre en l’espace d’une seconde, il sent l’intrusion de la fumée dans les bronches et ne la veut pas. Aussitôt, vous essayez de vous en sortir et donc… Vous toussez comme pas possible. C’était ce qui arrivait généralement, je crois. En tout cas, je le savais et pourtant ça ne m’empêcha pas de tousser comme si je venais de boire la tasse. La gorge irritée et l’air bête, je la proposai à nouveau à Takagi.

Comme auparavant, monsieur Nakahara avait jugé bon d’user de ses capacités pour donner une aide visuelle à la classe. Dans ce but, il avait converti la créature en êtres humains en costumes cravates pour indiquer leur provenance moderne, et il avait fait en sorte de donner l’impression que les nouveaux arrivants et les anciens se regardaient de loin. Toutefois, un individu de chaque côté au hasard quitta sa ligne pour s’approcher de l’autre jusqu’à finalement sceller leurs actions d’une poignée de main – ou tout du moins, un geste qui semblait en indiquer une. Tout semblait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu’à ce qu’un homme en pagne commence à brandir son arme de façon indiscriminée. La poignée de main connut alors une fin brutale, et tous les hologrammes à l’exception de celui de l’attaquant et d’un homme en cravate se dissipèrent comme le signal d’arrêt d’un peu plus tôt. L’indigène se mua dès lors en une sorte de nomade portant des habits similaires à la fourrure du monstre.



Marquant une courte pause pour laisser le loisir à ses élèves de deviner la réponse, le médaillé d’or reprit au passage son souffle avant de continuer son explication. Durant celle-ci, les deux figurines lumineuses restèrent parfaitement immobiles cette fois-ci, comme si elles attendaient bien gentiment leur tour.



Au lieu de terminer sa phrase, Yoshio opta pour un exemple plus concret et d’autant plus choquant. Ainsi, un mouvement rapide du nomade fut suivi par l’envol d’une tête. Bien vite, la représentation du Modernien se dissipa pour ne laisser place qu’à un homme en fourrure fêtant sa victoire, son épée pointée vers le ciel. Seules des particules de lumière à ses pieds témoignaient encore de l’existence passée de sa victime. La disparition du dernier hologramme laissa place à un silence pesant qui régnait désormais en maître dans la salle. Néanmoins, l’effet dramatique étant passé, l’enseignant décida de continuer son cours sans plus attendre.









À dire vrai, Yori s’était attendu à ce refus, et il n’en fit pas réellement grand cas. Peut-être qu’il aurait pu inciter Daisuke à accepter en insistant un peu, mais cela aurait été aussi futile que contre-productif. Beaucoup pensaient qu’il était un idiot à cause de ses résultats scolaires plutôt catastrophiques, mais il y avait une différence entre échouer et ne pas essayer. En l’état, le délinquant était plutôt du genre à ne pas faire d’efforts quand il ne le souhaitait pas. Évidemment, cela faisait de lui un infâme paresseux. Toutefois, il n’en était pas pour autant stupide. Il était tout à fait à même de comprendre que chacun avait sa propre façon d’atteindre une certaine paix intérieure. Fumer ne semblait juste pas compter parmi les moyens de prédilection de son vis-à-vis, et ce n’était définitivement pas un mal. Si sa réaction d’un peu plus tôt pouvait indiquer qu’il ne supportait pas un refus, il n’en était rien : ce n’était pas tant de s’être fait rembarré qui l’avait froissé, mais bel et bien la désinvolture crasse avec laquelle Seimei l’avait envoyé paître en public. Le fils Takagi avait une certaine fierté, et il tenait beaucoup à son image. Le manque de respect de la nouvelle devant toute la classe était donc quelque chose qu’il ne pouvait décemment pas laisser passer, aussi bien d’un point de vue personnel que de celui de sa bande.

Alors qu’il réfléchissait encore à ce qu’il pouvait dire pour éviter un silence gênant, le revirement soudain de Daisuke le prit de court. Il se demandait bien ce qui avait pu lui faire changer d’avis… Peut-être voulait-il se prouver quelque chose ? Yori pouvait le comprendre si c’était le cas. Après tout, il avait passé sa vie entière à essayer de faire cela. Si le délinquant avait prévu de donner une cigarette entière au petit timide sous ses yeux, il se ravisa finalement en se rendant compte qu’il ne semblait avoir aucune expérience en la matière. Aussi, il lui passa la sienne à la place, s’attendant à moitié à retrouver celle-ci au sol dans quelques instants. Cependant, Hashino semblait mieux se débrouiller qu’il ne l’aurait cru. En y repensant, cela devait être dû à sa constitution supérieure à la normale. D’un autre côté, le cancre l’avait peut-être simplement sous-estimé. Au moins, il s’estimait heureux de ne pas avoir vu l’autre rendre son petit-déjeuner au sol comme il avait pu le faire lui-même une décennie auparavant.



Il avait prononcé ces mots sur un ton amusé, mais pas moqueur. Son expression faussement amicale de tout à l’heure avait laissé place à une autre plus naturelle. Il se disait que trainer avec ce petit gars pouvait être sympa. Tout du moins, il s’imaginait bien l’aider à sortir de sa coquille un de ces quatre. Néanmoins, ses sentiments étaient une chose, et sa mission en était une autre. Il se devait d’accomplir cette dernière avant de penser à se la couler douce. Bien entendu, rien ne l’empêchait de faire les deux à la fois, mais sa dernière tentative de concilier effort et réconfort s’était faite cracher dessus. Il préférait donc ne prendre aucun risque cette fois-ci, et la situation était propice à son objectif vu qu’ils venaient de briser la glace.



Marquant une petite pause pour prendre une bouffée de sa cigarette et l’expirer, il continua sans se départir de l’expression sérieuse peu caractéristique qui s’était glissée sur son visage récemment. Au passage, Hashino pourrait remarquer que si son interlocuteur n'était plus d'humeur à plaisanter, il ne faisait aucun effort pour paraître menaçant non plus.



Laissant tout le loisir à son interlocuteur de comprendre le sens de ses paroles, Takagi ne tarda guère à lâcher un nom qui – Daisuke le comprendrait bien vite – s’imposerait probablement comme une des constantes du séjour de Dents-Deux-Sabres à l’Académie Asakusa.

Je ne pensais pas réitérer la connerie d’aujourd’hui, mais force était de reconnaître que l’initiative de Takagi avait eu le mérite de détendre l’atmosphère qu’il y avait dans les toilettes. Il fallait dire que notre première entrevue ne s’était pas nécessairement passée sous les meilleurs auspices. Le fait que Seimei l’est rabrouée si rapidement et froidement avait fait naître chez moi un sentiment de honte et je ne savais pas trop comment m’y prendre à nouveau avec lui. Autant dire que le fait qu’il est de lui-même crevé l’abcès qui nous déliait me permit de poursuivre dans la communication. Néanmoins, ce fut évidemment l’histoire de la cigarette qui nous permit de nous rapprocher suffisamment pour qu’il puisse s’ouvrir à moi comme il le faisait.

Pour le coup, je restai muet, je voyais qu’il voulait aller au bout de son argumentaire, et même si j’avais souhaité à un moment lui dire que je n’avais réellement aucun grief à son encontre, je le laissais terminer. Il insista lourdement sur le fait que sa demande, même si elle cachait quelques secrets, n’étaient pas du genre à faire dans la violence - tant physique que psychologique. De mon point de vue, je n’avais pas du tout compris cela comme ça et j’avais été plutôt été étonné de la réaction de notre homologue. Néanmoins, j’acceptai ses explications sans faire montre d’un quelconque étonnement renouvelé. Je l’écoutai, comme on pouvait écouter un supérieur ou un collègue, lorsqu’on vous expliquez quelque chose d’important à savoir au sein d’une entreprise ou d’un nouveau lieu dans lequel on va passer de nombreuses heures. Autant dire que j’assimilai ce qu’il disait avec attention et retenais avec intérêt le nom du boss de la classe. Hasegawa Katsu. Ce n’était pas un nom que je connaissais, à priori, mais je pouvais me tromper. J’avais quelques difficultés à m’y retrouver dans les noms, comme cette fois où j’avais appelé Toshiya Sageyama… L’embrouille… Surtout que Sageyama était là, lui aussi. La honte ! Évidemment, le paternel était déjà là.



Je répétai son nom à haute voix, mais sans grande conviction. Après tout, je n’avais aucune idée de ce qu’il voulait dire par “boss de la classe”. Dans l’absolu, je n’avais pas du tout pris conscience qu’il pouvait y avoir des gens qui pourraient se payer le luxe d’amener dans l’académie des notions comme des chefs ou des leaders. En fait, j’étais venu en imaginant que tout le monde était dans un état d’esprit similaire au mien, sans penser qu’il y aurait des petites frappes qui essaieraient de jouer au boss. Pour autant, je savais que ma vision des choses était encore particulièrement déconnant lorsqu’il s’agissait de relation humaine, aussi je n’hésitai pas à en demander davantage à mon vis-à-vis.



Je ne m’attendais pas, de la part du fumeur, qu’il me donne une explication exhaustive, mais un minimum de détail ne serait pas de refus. D’ailleurs, j’ajoutai à ma demande un signe de la tête pour lui faire comprendre qu’on pouvait quitter les toilettes pour rejoindre la classe. Il aurait sans doute tout le loisir de me faire son topo avant qu’on arrive dans la salle qu’on avait quitté quelques minutes plus tôt. Après tout, on n’avait pas besoin de se précipiter comme j’avais pu le faire pour la quitter.

Yori avait prononcé ces mots sans l’ombre d’un doute, et pour cause : il se souvenait encore distinctement de tous les exploits de Katsu. C’était tout simplement le petit prodige de l’académie, à tel point qu’il serait sans doute encensé comme tel si ses travers n’étaient pas de ceux qu’on voulait cacher sous le tapis. Bien entendu, il ne s’était pas frotté à tous les élèves en filière Héroïque ou encore aux professeurs, mais ce titre restait plus que mérité aux yeux du cancre. Il l’avait déjà vu à l’œuvre par le passé, et ce n’était absolument pas comparable aux numéros des gars qui se la jouaient parmi leurs camarades. Beaucoup avaient essayé de lui piquer son titre officieux de « boss », et tous s’y étaient cassé les dents. Expirant une bouffée de fumée, le Takagi suivit le nouveau hors des toilettes ; cela ne le tentait pas spécialement de raconter son histoire dans cet endroit précis. Il n’abandonna toutefois pas sa cigarette, ce qui leur vaudrait quelques regards en coin principalement dirigés à son égard. Il n’en ferait évidemment pas grand cas. Le pire pouvant lui arriver plus tard serait de se faire remonter les bretelles par le prof, une chose dont il avait l’habitude de toute façon.



Laissant ces qualificatifs contradictoires et pourtant véridiques planer dans l’air, il continuerait peu de temps après. Il estimait que cette courte pause était suffisante pour permettre à son vis-à-vis de saisir où il voulait en venir. Toutefois, par sécurité, il décida d’appuyer davantage le ton. Un malentendu serait plus que dommage dans ce cas-ci compte tenu des conséquences potentiellement irréversibles qu’il entraînerait.



Le dernier passage était un bluff, Katsu n’était jamais allé aussi loin au sein d’Asakusa. Il y avait cependant un fond de vérité ; Yori se rappelait parfaitement de l’état pitoyable dans lequel le Vilain de l’autre jour avait fini… Ce n'était pas joli. Le boss était peut-être forcé de faire profil bas à cause de son dernier coup de gueule, mais il ne saurait trop tarder à refaire parler de lui. En attendant, le Takagi lui servirait de messager jusque-là : il voyait cela comme une belle opportunité d’enfin faire partie d’un crew sérieux, d'entrer dans la cour des grands.



Jetant son mégot de cigarette au sol à une vingtaine de mètres de la classe, le délinquant souhaiterait au revoir à Daisuke d’un geste de la main. Il aurait bien entendu pu se charger lui-même de passer le message à Kan comme c’était prévu, mais il avait franchement besoin de décompresser pour l’instant. Il ne voulait pas faire une scène, d’autant plus qu’il pouvait largement se montrer généreux cette fois-ci. Après tout, c’était une fille, et elle ne pouvait pas savoir à qui elle avait affaire. Ces circonstances atténuantes avaient conduit le voyou à lui laisser une chance de rectifier le tir. Il était bien entendu trop tard pour avoir une relation positive, mais le Takagi pouvait au moins accepter d’enterrer la hache de guerre si elle faisait preuve d’un brin de sincérité dans sa démarche. Cependant, le cancre destinerait finalement quelques mots basés sur son expérience personnelle au Hashino avant son départ.

Il avait fallu que ça tombe sur moi. C’était peu ou prou les mots que je me suis dit lorsque Takagi m’abandonna pour me laisser rejoindre la salle de classe. Je suppose que le prof s’attendait à son absence, car il ne me questionna pas sur ce sujet et me laissa m’installer tranquillement. De mon côté, je me remémorais un peu tout ce que mon homologue avait pu me dire, concernant sa bande et les desseins de celle-ci et sur la fille qui avait fait son entrée en même temps que moi. Autant dire qu’il m’avait donné du grain à moudre, aussi, je fus content que Seimei Kan me fasse un topo de son point de vue. Même si j’avais écouté d’une oreille distraite, j’avais eu quelques moments d’absence que ses explications permirent de gommer. Je lui souris donc et la remerciant.



Mais, comme pour enfoncer le clou encore un peu plus, elle aborda le sujet que je voulais déjà oublier et laisser de côté : mon entretien avec Yori. Je n’avais pas grand-chose à dire, en réalité, j’essayai donc d’être le plus concis et précis possible. Je ne voulais surtout pas parler du fait qu’il m’ait dit de m’éloigner d’elle, d’ailleurs, je ne voulais pas la juger aussi rapidement que lui - comme elle avait pu le juger aussi vite. Je me sentais un peu tiraillé à l’idée de devoir choisir un camp, mais je savais aussi que je pouvais aussi bien choisir de rester neutre. Ce serait juste un chouïa plus tendu. Du moins, c’était ma vision des choses à ce moment-là.



Je voulais l’informer qu’il l’attendait pour des excuses. C’est vrai que j’avais voulu protester un peu plus tôt, mais je n’avais pas osé. Je m’étais dit que c’était peut-être une blague que je n’avais pas saisie, mais c’était sans doute la partie des dires de Takagi qui tournaient le plus dans ma tête. Je ne savais pas comment l’exprimer sans participer à cette petite guéguerre improvisée et, de mon point de vue, assez risible. Non, je ne savais pas trop comment lui dire…



Ca me donnerait bonne conscience. Je me répétais ça en boucle pendant que je lui expliquais la situation. Cela étant, je ne savais pas trop comment elle allait réagir et je restai un peu en retrait dans la discussion dès lors, comme si je souhaitais qu’elle prenne l’initiative. Cela étant, j’avais une dernière question à lui poser avant d’en terminer.



Je n’arrivais pas à mettre de visage sur ce nom et cela m’embêtait et je ne souhaitais pas aller vers les autres membres de la classe pour demander ce genre d’information. J’imaginais déjà les ragots fleurir et dire des trucs du genre que je voulais l’affronter ou que je voulais me mettre à son service. Avant de savoir comment réagir face à ce genre d’énergumène, je voulais au moins voir ce qui émanait de lui. Me faire ma propre impression, en somme…

C’était Ken Izumi, ou monsieur Izumi comme l’appelait le professeur, qui s’était permis cette remarque aisément couverte par les discussions des autres élèves. Cela ne se voyait peut-être pas de prime abord vu qu’il se trouvait derrière Kan et Daisuke, mais il lançait des regards discrets vers eux de temps à autre. Ils n’avaient aucune idée de la gravité de la situation, pas vrai ? La majorité des simplets lui servant de camarades n’étaient pas au courant non plus, d’ailleurs. Ils avaient beau se concentrer sur la supposée amourette des deux nouveaux ou d’autres ragots similaires – gloussant à souhait au passage –, ils ne se seraient clairement pas permis cette légèreté s’ils savaient. Seuls lui et quelques autres élèves bien placés avaient été en mesure de témoigner de la scène ayant directement précédé l’entrée des deux nouveaux. On disait que les idiots n’avaient peur de rien, et c’était bel et bien l’image que renvoyaient ces tourtereaux aux yeux du guitariste. Que leur était-il donc passé par la tête lorsqu’ils avaient bousculé le cul-terreux ? Certes, Yori avait le genre de tronche qu’on aimait frapper à souhait et la personnalité qui allait avec, mais quelle idée de lui manquer de respect dès le premier jour ? Il restait leur senpai envers et contre tous, et il s’était même conduit comme un être humain décent pour une fois. Évidemment, ce délinquant mijotait sans doute quelque chose à ce moment-là, mais le duo n’aurait pas pu deviner cela sans un don de médium. Alors pourquoi avaient-ils si stupidement secoué ce nid de guêpes qu’était la bande de Katsu ? Ken ne comprenait vraiment pas.

De toute façon, cela lui importait peu en vérité ; il était clairement plus pressant de parer à la tempête qui risquait de s’abattre sur eux deux – et surtout sur les gens autour, lui-même en particulier – lorsque le tyran reviendrait. C'était rageant, mais le musicien devait admettre qu'il n’était pas de taille à lutter contre Katsu. Ce n’était pas faute d’avoir essayé à de multiples reprises, pourtant. Il était de loin celui qui s’était le plus dressé face aux demandes ridicules de ce yakuza de pacotille, et il était par conséquent l’individu ayant le plus morflé dans la classe. Pour autant, il ne renonçait pas à triompher de cet ennemi juré, car il en valait de son honneur. Le Héros en herbe qu’il était ne pouvait tout simplement pas supporter les regards dédaigneux et les injures dirigées à son encontre par le concerné. Lui, faible ?! Impossible ! Ken avait beau perdre encore et toujours à chaque défi lancé, ce n’était pas sa propre force le problème, mais celle de son adversaire : ce type n’était tout simplement pas humain. L’Izumi était le premier à dire que goûter à l'amertume de la défaite était naturel lorsque l'on se frottait à ce genre de monstres. Cependant, il ne se prosternerait pas même si c’était le cas, son ego le lui interdisait.

Comment pourrait-il se regarder dans un miroir s’il acceptait de servir de paillasson à un autre ? Comment pourrait-il lever la tête haute une fois diplômé s’il avait passé sa formation entière à fuir ses problèmes ? C’était tout bonnement impensable pour Ken. Le souci étant qu’il avait parfaitement compris qu’il ne servait à rien de s’acharner bêtement contre le mur représenté par leur « boss ». S’il espérait lui faire ravaler ses sornettes, il n’y avait pas trente-six solutions : il devait apprendre les spécificités de son pouvoir sur le bout des doigts et le mettre pleinement à profit. Autrement dit, l’élève ambitieux qu’il était devait étudier et s’entraîner à fond pour ressortir vainqueur de cette rivalité à sens unique. Tout naturellement, il s’était mis en tête de se ronger le frein le temps de gagner du galon, et la chance semblait lui sourire puisque cette décision coïncidait justement avec la « pause » intermittente de Hasegawa. Malheureusement, voilà que ces deux nigauds s’étaient pointés tous sourires pour remuer d'eux-mêmes la vase. Présentement, il était difficile de déterminer si la bête des marais sommeillant au fond allait se concentrer sur ces pauvres hères où s’il y aurait des dégâts collatéraux. En tout cas, Ken ne pensait pas que cette histoire pouvait bien se terminer ; et il hésitait clairement entre aller foutre une mandale à ces demeurés, les prévenir du pétrin dans lequel ils s’étaient fourrés ou observer tout cela de loin. Après tout, vu les bribes qu'il avait réussi à capter de loin, Yori semblait vouloir régler cette affaire à l'amiable au lieu de solliciter la participation de Katsu.

Je me doutais un peu de la réponse que Seimei Kan allait me donner quand je lui avais parlé de ce rendez-vous, mais je me sentais obligé de lui en parler, ne serait-ce que pour éviter une quelconque confusion. Néanmoins, je n’appréciais pas me retrouver entre deux fortes têtes comme eux deux et je préférais largement me retrouver simplement à l’écart et les laisser régler leurs problèmes eux-mêmes. Pour le coup, je pouvais aisément comprendre leur points de vue, même si je ne le partageais pas. De mon point de vue, ce n’était qu’une petite anicroche qui n’aurait pas du aller si loin, mais cela semblait prendre des proportions bien trop grandes pour que je puisse véritablement intervenir. Autant dire que mon rôle de messager me suffisait largement, dans cette histoire. Loin de moi l’idée d’inciter à la discussion ou à l’affrontement. Force était, néanmoins, de constater que mon homologue, le fumeur, avait de mon point de vue, le trait d’esprit de vouloir entériner cette histoire. Ce n’était clairement pas le cas pour elle, qui semblait y trouver au contraire un affront qu’elle ne pouvait pas supporter.

Je restais silencieux et un peu hébété quand elle m’assimilait à eux, comme si j’étais un délinquant qui voulait jouer les caïds. Toute cette histoire commençait vraiment à me dépasser et m’exaspérer. Aussi je ne fis que garder le silence, essayant de remettre de l’ordre dans mes idées. Elle ne resta cependant pas longtemps concentrée sur moi et s’orienta vers un autre gars qui s’était exprimé. Je l’avais moi aussi entendu, et j’avais compris sans difficulté que sa réflexion nous visait, mais j’avais pris le parti de ne pas relever. Je ne cherchai aucunement les embrouilles, néanmoins je voyais que la jeune femme n’était vraiment du genre à se laisser marcher sur les pieds et qu’elle avait tendance à voir le mal partout, tandis que je tentais, de mon côté, de ne pas faire de vague. Après tout, ce n’était que notre premier jour dans ces locaux prestigieux.

Le type, un gars aux cheveux bleus, s’était permis de s’exprimer comme s’il essayait de nous faire comprendre que notre comportement n’était pas approprié. Evidemment, j’en avais conscience ! Que ce soit notre arrivée tardive ou mon petit manège lors des présentations ou même lorsqu’elle s’était rapidement pris le chou avec YORI TAKAGI, nous n’avions pas forcément fait bonne impression. J’avais sans doute négligé quelque chose, et l’idée de me mettre à dos le “boss” de la classe rendait les choses de plus en plus chaotique. Alors, quand elle se tourna lui pour le confronter, j’étais d’abord resté silencieux. Je me disais qu’intervenir n’aurait fait qu’envenimer les choses. Par contre, je sentais que même sans cela les choses ne se tasseraient pas d’elles-mêmes, j’intervins donc rapidement après Seimei Kan.



J’essayais maladroitement d’amorcer un semblant de dialogue, pour éviter qu’un quelconque quiproquo ne s’installe et rende nos interactions avec les autres élèves impossible. Je ne savais pas trop par quoi commencer, ni même si mes mots ne rendraient pas la conversation inaudible ou difficile, mais je devais au moins essayer, chose que je n’avais pas réussi à faire depuis le début de la journée.

Les différents événements de la journée tendaient à me rendre fébrile, frustré et impatient. J’étais persuadé que si cette promenade avait eu lieu plus tôt dans la matinée, j’aurais su ronger mon frein et resté à l’écart. Mais mon esprit était embrumé, empli de question et de contradiction. Je n’arrivais pas à tout gérer et je sentais que la situation m’échappait complètement, comme si je vivais la journée de quelqu’un d’autre. Saisissant tout cela, je sentais mon corps s’échauffer comme un symptôme de honte ou d’effort intense, mon cœur battre plus que de raison. Mes muscles se crispaient et ma vue se focalisa sur le gars qui s’était permis sa remarque…

Ken fut pris de court lorsque Seimei s’adressa à lui de ce qui lui semblait être nulle part. Il n’avait pas pensé à voix haute, si ? Ce fut alors au tour de Daisuke d’intervenir alors que le guitariste hésitait sur la marche à suivre. Selon toute vraisemblance, il avait effectivement pensé à voix haute… Ça aussi, c’était une bonne blague… Se ressaisissant tant bien que mal, l’Izumi opta pour une approche calme et posée. Il lui arriva souvent de monter sur ses grands chevaux, surtout dans le doute, mais la temporisation du Hashino avait eu l’effet escompté, à savoir calmer le jeu. Bien que souvent impulsif, le jeune homme avait su s’assagir durant les semaines précédentes : c’était naturel vu le nombre de bleus que sa grande gueule lui avait valus. De plus, il comprenait que prendre les nouveaux de haut ne risquait pas de les encourager à l’écouter. Or, empêcher les choses de dégénérer entre eux et la bande de Katsu était la priorité. Il serait dommage de les voir finir dans un sale état… Certes, l’aide qu’il comptait leur donner n’était pas désintéressée, mais c’était toujours mieux que rien. S’éclaircissant la gorge pour cacher sa gêne, le musicien se présenta en bonne et due forme.



En vérité, le médaillé à la veste rouge ne pensait pas y être allé si fort que cela. Il pensait être en droit de se sentir exaspéré puisque ses interlocuteurs faisaient apparemment leur possible jusque-là pour se faire remarquer – et pas en bien, malheureusement. Toutefois, il se doutait un peu qu’ils ne le faisaient pas exprès, la maladresse de Daisuke était assez évidente quand on y réfléchissait. Si le jeune homme était un peu curieux du genre de vie qu’avait pu mener le concerné pour en arriver là, il ne risquait pas de faire une enquête. Ce n’était ni ses oignons, ni la raison pour laquelle ils conversaient.



Ce dernier point était, à son sens, l’euphémisme du siècle. Ken pourrait passer des heures entières à critiquer la bande de Katsu, bien que les mauvaises langues diraient que c’était surtout parce qu’il était mauvais perdant. En tout cas, il pensait que n’importe quelle personne sensée finirait tôt ou tard par partager son avis à leur sujet. Remarquant qu’ils n’étaient plus très loin des terrains, Ken tâcha d'aller droit au but. Après tout, leur conversation toucherait inéluctablement à sa fin lorsque le cours reprendrait.

J’avais du mal à vraiment comprendre le binôme. Certes, je savais qu’on pouvait avoir quelques rancœurs contre une personne, la preuve en était ma relation avec mon père, mais elle remontait à loin et s’était installée lentement, insidieusement, dans notre quotidien. Comme une mauvaise graine, elle poussait sans qu’on ne s’en rende compte et un matin on se rendait compte qu’elle fleurissait et qu’elle faisait tache au milieu du jardin. Pour moi, c’était un peu comme ça que je parvenais à décrire fidèlement ma relation tendue avec mon paternel. De fait, je n’arrivais pas à comprendre comment Seimei ou même Ken pouvait être aussi prompt à réagir ainsi. Néanmoins, j’arrivais à la même conclusion que l’autre membre de notre classe : faire profil bas.



Je ne souhaitais pas seulement faire profil bas pour éviter les problèmes par peur, mais simplement par “bon sens”. J’avais la certitude que mes journées dans l’académie se passeraient mal si je commençais à me faire des ennemis dans tous les sens. Ce n’étaient sans doute pas les intentions de Seimei, mais elle semblait être du genre à réagir au quart de tour et cela me semblait un peu disproportionné. Cependant, je n’en faisais pas grande cause et voulais rester proche d’elle autant que possible. Aussi, je tentais de maintenir un certain calme pour lui éviter d’avoir elle aussi des problèmes. Après tout, c’était la première élève avec qui j’avais partagé du temps depuis mon arrivée. Il s’était installé une sorte de fraternité entre nous et je pouvais sans difficulté imaginer ma sœur à sa place. Sans doute avaient-elles toutes les deux des mimiques ou des habitudes qui faisaient qu’elles me faisaient penser l’une à l’autre et inversement.



Pour l’occasion, j’aurais carrément préféré que Yori soit présent. J’étais persuadé que cela aurait pu délier la situation, mais sa fuite avait rendu les choses beaucoup plus compliquées qu’elles ne l’étaient de mon point de vue. Cela étant dit, je ne pense pas que Ken aurait réagi de la même manière et nous nous serions retrouvés dans une configuration totalement différente. Peut-être même que les choses seraient pire en réalité ? Au final, je n’essayais pas de faire des suppositions trop importantes et me concentrai sur les choses concrètes.

J’aurais bien ajouté un “pour ma part, je passe”, quand Ken assuma ses intentions plus ou moins hostiles en l’encontre de Yori et sa bande. Après tout, il n’avait pas été si menaçant que ça. Je préférais éviter de créer des conflits là où il n’en existait pas. Mais pour le coup, je restais muet et j’opinai du chef comme pour acquiescer à ses propos.

J’en oubliais presque que nous étions simplement en train de changer de salle pour notre cours, mais une sorte d’illumination vint me frapper quelque temps avant d’arriver à notre destination.



Je voulais lui poser tout un tas de question plus ou moins personnelles, comme "quels sont tes pouvoirs, comment les maitrises tu ? As tu déjà combattu des criminels ?" etc… Mais j’avais le sentiment que ces réponses viendraient d’elles-mêmes, soit au fil des discussions qui suivraient soit au détour d’un cours, aussi me limitai-je un peu quant à la teneur de mon questionnement.